Mokusei!
de Cees Nooteboom

critiqué par BMR & MAM, le 21 août 2007
(Paris - 64 ans)


La note:  étoiles
De la fascination pour le pays du soleil levant ...
On a déjà évoqué le «triste sort» des occidentaux tatamisés par le pays du soleil levant.
Des âmes perdues dans les limbes, ni tout à fait ici, ni complètement là-bas, mais qui nous auront donné de très beaux textes.
Comme le français Maxence Fermine avec Neige, l'allemand Richard Weihe avec Mer d'encre ou l'italien Alessandro Barico avec Soie.
Ou encore, côté BD, le français Frédéric Boilet.
Voici une nouvelle victime, un hollandais cette fois : Cees Noteboom avec (décidément ce doit être la règle !) un tout petit roman, presqu'une nouvelle : Mokusei !.
Et précisément, dans cette oeuvre, c'est l'occidental tatamisé qui est lui-même mis en scène en la personne d'un photographe hollandais qui tombe amoureux du Japon ou d'une japonaise, on ne sait pas trop et lui-même n'en sait sans doute pas plus.
[...] Il avait refusé d'éprouver la moindre déception et attribuait le doute qu'il refoulait avec tant d'efforts à la fatigue de vingt insupportables heures de vol. Quand on a pris la décision de se plaire quelque part, on y réussit généralement. Il avait trop investi dans ce voyage. [...] Il était au Japon. Il ne se laisserait pas voler son plaisir.
Avec un regard d'une dérangeante lucidité que porte l'auteur sur son héros et à travers lui sur notre propre regard d'occidental lorsque nous nous tournons vers le soleil levant.
[...] La plupart des Européens ou des Américains qui viennent ici [...] n'ont aucune véritable connaissance du Japon. Il savent que c'est « différent », mais le Viêt-Nam et la Côte d'Ivoire aussi sont différents. La différence du Japon est, je m'excuse ... différente. Mais comment le leur expliquer ? Ils ne parlent pas la langue et, dans la majorité des cas, ne la parleront jamais. Ils ont bien quelques vagues notions, mais ignorent tout de la civilisation japonaise. Peu leur en chaut d'ailleurs, car ils ont mieux : ils ont une certaine idée du Japon.
On touche là au mystère non pas de l'extrême-orient, mais de notre fascination occidentale pour cet extrême-orient.
Mais ce roman est aussi une toute petite histoire d'amour qui durera 80 pages et le temps de quelques voyages.
Une histoire forte cependant, où Cees Noteboom a su retraduire à la fois tout le désir mais aussi tout le désarroi de son photographe hollandais amoureux « d'une certaine idée du Japon ».
Un Japon (ou une japonaise, donc) idéalisé(e) depuis nos imaginaires occidentaux, où l'on croit trouver, où l'on veut chercher la pureté qui nous manque, un supplément d'âme en quelque sorte.
[...] Quand il eut fini, il dit : « Vous êtes très belle.» Cette phrase le charma par ses limites. Seuls comprenaient tout de vous ceux qui ne comprenaient que peu de mots. C'était très rassurant : entre gens de même langue, le langage gâchait beaucoup de choses, parce qu'avec la parole, pensait-il, commençait toujours le mensonge.
Si l'on veut bien nous permettre ce parallèle, pour nous c'est un peu la « version écrite » des images dessinées de Frédéric Boilet (comme Tokyo est mon jardin ou encore L'épinard de Yukiko).
Une pure apparence 8 étoiles

« Les tempéraments d’artistes n’ont aucune véritable connaissance du Japon », déclare De Goede, travaillant à l’ambassade de Belgique depuis plusieurs années, à son ami Arnold Pessers, le photographe hollandais qui n’y fait, lui, que des séjours plus ou moins prolongés. Le Japon est lié, pour les étrangers, à l’idée de pureté (de la calligraphie, de l’art du bouquet, de la nourriture etc.) « Ils ont lu un malheureux bouquin de vingt pages et se croient déjà bouddhistes, composent des haïkus dans le décor occidental de leur chambre d’hôtel. » Avant d’ajouter que le Japon est incompréhensible pour tout étranger, quel que soit le temps qu’il passe sur place. On a tort aussi de croire qu’il y a deux Japons, déclare le Belge. Pour les Japonais, le Japon est indivisible.

Ce préalable posé, on va revivre l’histoire d’amour brève, impossible et inoubliable de Pessers avec une modèle qu’il commence par photographier devant le mont Fuji en cherchant une harmonie équilibrée entre la femme et l’endroit. Cette femme aimée aura trois noms pour lui, le sien : Satoko, celui qu'il lui a donné : Masque de neige, et Mokusei, le nom « d’une des rares plantes odoriférantes du Japon ». Trois noms pour dire les masques successifs qui la dérobent au monde. Parce que ce qu’il vécut avec elle était « d’abord de l’amour et ensuite seulement de l’histoire », on connaîtra peu d’éléments de cette histoire, comme si elle était intraduisible en mots. On saura seulement ses contours, son contexte et que l’extase dans lequel il avait surpris son corps, il ne pourrait la provoquer chez personne d’autre. En la quittant, Arnold Pessers sait que son chagrin restera sans fin, qu’il s’usera avec lui. Comme le Japon, Mokusei est restée inaccessible, multiple et indivisible. Une pure apparence.

A signaler cet ajout à la liste des "occidentaux tatamisés par le pays du soleil levant" de BMR & MAM: Nuage et eau de Daniel Charneux (sur le moine et auteur de haïkus, Ryokan).

Kinbote - Jumet - 65 ans - 12 août 2011