Djinn Djinn, tome 1 : Le sortilège de Sa'âdât
de Ralf König

critiqué par B1p, le 2 août 2007
( - 51 ans)


La note:  étoiles
Vous reprendrez bien un peu de Kamasoutra ?
Avant de parler de la bédé, il faut d’abord que je vous parle de Ralf König. Je parie que vous n’en avez jamais entendu parler et je dois donc combler un vide certain dans votre culture.
Alors faut savoir que Ralf König fait comme qui dirait de la bande dessinée gaie. C’est quoi m’sieur dame ? C’est de la bande dessinée avec plein d’hommes qui aiment les hommes dedans et occasionnellement aussi des filles qui aiment les filles. Est-ce un manque à votre culture ? Pas sûr parce qu’il faut bien dire que le genre est surtout dévolu au porno avec la mise en scène des fantasmes les plus échevelés de la manière la plus explicite possible.

Et puis, il y a Ralf König (pas le seul, mais nous ne parlerons ici que de lui pour la commodité de l’exposé svp merci).

Bon évidemment, autant le dire tout de suite : dans Ralf König, il y a aussi du cul, et encore plus d’histoires de cul, sinon exclusivement. Mais Ralf König a la particularité d’envelopper ses fantasmes dans des histoires (ô originalité !), et des histoires toujours hilarantes et pertinentes (on ne rafle pas le Prix du Scénario au festival d’Angoulême 2005 pour rien, m’sieur dame). Pour être encore plus précis, disons que Ralf König est un observateur amusé des mœurs homosexuelles et des habitudes de toutes les personnes qui gravitent autour (papa, maman, les voisins, la copine hétéro célibataire, les métrosexuels, les bisexuels honteux, les transgenres etc. etc.). Ajoutez à ça un trait caractéristique volontiers caricatural, et mon tout est un dessinateur dont les œuvres sont presque passées dans le circuit mainstream (pas dans le grand public, mais au moins chez le marchand de bédé du coin qui doit forcément le connaître).

Bon alors voilà.

Et le livre, me demandez-vous, m’sieur dame ?
Ah ben ouais c’est vrai merde j’allais oublier.

Peut-être pas le meilleur (pensez plutôt à « Comme des Lapins » récompensé à Angoulême), mais le dernier que j’ai lu.

Cette histoire complètement abracadabrante partirait il y a longtemps, très très longtemps :
Du temps du Bagdad lumineux, des califes richissimes et de l’Islam resplendissant. Alors que l’Occident se complaît dans la fange du Moyen-âge, une expédition est envoyée vers Aachen chargée des mets les plus raffinés destinés à Charlemagne. L’Europe semble en effet avoir bien besoin d’une bonne dose de finesse…
Dans le chargement, une théière où a été enfermé un Djinn champion incontesté du Kamasoutra. Occupé jusque là à satisfaire les concubines du Grand Vizir en réalisant les attouchements les plus sublimes, les plus sensuels et les plus électrisants que le raffinement amoureux ait inventé, il est sacrifié par les mâles jaloux de sa sensualité paroxystique.

Cette histoire complètement abracadabrante aboutirait hier en Allemagne où la théière refait surface avec un contenu (presque) intact, toujours aussi ardent au travail chez grand-mère ou dans le lit d’un fétichiste expert en photocopieuses.

Pour brouiller encore plus les pistes, on pourrait dire que l’histoire part d’encore plus loin : d’un Mollah rabougri qui veut que les femmes musulmanes portent des sacs poubelle sur la tête et dissimulent leur corps entier sous du tissu noir. Alors, un eunuque adepte des chaussures à talons aiguille se vengerait d’une telle obsession mortifère et s’arrangerait pour faire passer au Mollah le goût de la moralité pour des siècles et des siècles.

J’arrête là parce que sinon ça va devenir trop difficile à suivre. Y a quand même 160 pages de bande dessinée, ça ne se résume pas si facilement que ça.

Pour être complet, sachez que Ralf König tire sur tout ce qui bouge : les intégristes, les hétéros coincés, les fétichistes mous du genou, les Occidentaux, les maris qui disent qu’ils vont quitter leur femme et les maîtresses qui les croient, etc. avec une verve et un sens du décalage parfaitement hilarants qui fait décidément tout le piquant des bandes dessinées de König.
Pour être complet, sachez que Ralf König a été inspiré par les Contes des Mille et Unes Nuits et essaye de traduire de ci de là toute la sensualité des récits originels. Et il y arrive dans une certaine mesure, en se permettant de temps en temps de transcrire l’un ou l’autre poème, autant d’odes à la beauté qui prouvent que l’Orient a été, à une certaine époque, le berceau de la volupté et du plaisir.

Le tout donne un foutoir tour à tour rigolard et charmant, qui garde le cap et tisse une histoire cohérente (malgré les nombreuses circonvolutions) à suivre dans le tome 2 à venir.

Terminons cette chronique en cherchant quelques titres alternatifs possibles. Vu le foisonnement de « Djinn Djinn », c’est bien mérité :

« Le bonheur est dans la théière »
« Non à l’infusion, oui à l’effusion ! »
« Vous reprendrez bien un peu de Kamasoutra ? »

Avec plaisir m’sieur dame…