Bleu comme l'enfer
de Philippe Djian

critiqué par Dirlandaise, le 29 juillet 2007
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Toute cette violence...
Ned et Henri sont deux paumés qui décident de vider la caisse du restaurant où ils se sont arrêtés pour casser la croûte. Ils sont pris en chasse par trois flics complètement tarés : Franck, Le Gros et Will. Ils se font épingler presque tout de suite et Franck, après les avoir passés à tabac décide de les emmener chez lui et de les attacher dans sa salle de bain. Ils les a presque oubliés lorsque Carol et Lily débarquent chez lui. Lily veut le quitter et c'est le temps des explications. Mais Franck est un violent sanguinaire et il ne tarde pas à cogner sur Lily et à la violer sur la table de la cuisine. Il l'a dans la peau et ne veut rien savoir d'une séparation. Carol l'assomme et les deux filles libèrent les prisonniers. Les quatre s'engouffrent dans la voiture de Lily et partent ils ne savent trop à quel endroit mais qu'importe. Mais Franck est un tenace. Il ne lâche pas sa proie aussi facilement et s'engage dans une poursuite infernale, accompagné de ses deux collègues qui prennent un plaisir sadique à la situation. Et c'est le début d'une aventure qui mènera le lecteur au plus profond de l'enfer.

Il ne fait pas dans la dentelle Philippe Djian. Toute cette violence est tout simplement épouvantable et il n'épargne pas le lecteur au contraire, il en rajoute. Tout est décrit dans les moindres détails et c'est une expérience terrible qu'il nous fait vivre. Loin de s'améliorer, la situation des personnages se dégrade à mesure que les pages sont tournées et tout cela finit dans un bain de sang et une folie démentielle. Mais comme c'est bien écrit, avec une efficacité rare et un style direct qui vous rentre dedans et ne vous lâche plus une seconde. Ce n'est pas un livre, c'est un phénomène, une descente aux enfers, une virée de tous les diables, une débauche d'émotions et de brutalité animale, des êtres humains transformés en bêtes furieuses débordant d'amour mais aussi dévorées par une haine implacable qui s'exprime par le biais d'une violence inouïe, incontrôlable, qui les mène au bout d'eux-mêmes et de leur destin.

Un livre coup-de-poing qui n'est pas à laisser entre toutes les mains car la violence et le sexe y prennent une large place. Mais c'est une grande expérience de lecture pour ceux qui auront le courage de plonger dans cet enfer !

" Le corps commençait à prendre de la vitesse, des petites pierres dégringolaient avec lui, par moments un aigle se détachait du cuir et fondait dans la nuit, tous les trois ils tendaient l'oreille, ils pouvaient rien faire d'autre, ils entendaient surtout les cailloux qui ricochaient et explosaient, des pierres à feu, Ned se tourna vers le flic, il dut faire un effort effroyable pour ne pas sauter sur ce mec et l'envoyer valdinguer avec l'autre, mais c'était vraiment impossible de toucher un mec qui tenait ses dents dans la main comme une mémé et puis les gens sont tellement merdeux des fois, tellement MERDEUX, ils vous scient les jambes, il faut des jours pour s'en remettre quand vous avez affaire à un MERDEUX et ils courent les rues. "
Eden noir. 9 étoiles

Effectivement le tout premier roman de Djian, et on sent déjà tout ce qui fera le style de l'auteur au fil de son oeuvre. Tout ce qui ravira ses fans inconditionnels (dont je suis) et ses plus vifs détracteurs qui trouveront tous les arguments pour détruire l'auteur. Les femmes, l'alcool, les coups foireux, la destinée de gens qui vont droit dans le mur sans airbag. Que c'est bon un Djian de cet acabit. Même si parfois de gros défauts apparaissent au fil des pages, l'ensemble est conforme au talent de Philippe Djian. L'auteur s'est approprié avec talent les codes de la littérature américaine et les a habilement retournés comme un gant pour nous amener livre après livre à la construction d'une oeuvre indispensable dans le paysage littéraire.

Hexagone - - 53 ans - 19 juillet 2010


Premier roman 6 étoiles

Premier roman publié par Philippe Djian, en 1983 (après le recueil de nouvelles « 50 contre 1 »). Ma critique, réalisée en ce temps ( 83 … j’avais … bon n’y pensons même pas !), aurait été toute autre. A coup sûr. Nouveauté d’un style de narration, audaces des images et des mots, l’arrivée de Djian à cette époque a forcément dû être un tremblement de terre.
Ecrite vingt-cinq après sa sortie, ma critique aura malheureusement un ton plus désabusé. Bien sûr le style de Djian est toujours là, déja là plutôt ! Bien sûr son imagination féconde et les attitudes « impolitiquement correctes » de ses personnages aussi. Le problème, c’est que ces caractéristiques, elles ont été rabâchées dans l’essentiel de ses ouvrages ultérieurs. Ces personnages, essentiellement mûs par le sexe et prèts à la violence, on en a vu défiler sous sa plume !
Du coup, ce qui était révolutionnaire en 1983, sans nul doute, rentre dans le rang, un rang serré, maintenant. Dommage ! Je comparerais la situation à celle du rap : celui qui a créé le premier rap était novateur et créateur. Mais la transformation en genre décliné à l’infini n’a pas de sens. Il y a un peu (un peu) de cela à mes yeux avec Djian (même si j’aime toujours autant le lire _Dieu que c’est compliqué !).

« En fait, c’était sa troisième bière, il se demandait s’il allait pouvoir la finir. Il était onze heures du matin et le soleil harponnait les bagnoles qui glissaient sur l’autoroute. Il avait mal dormi, il avait vu un coupé rouge vif grimper sur les glissières, juste devant eux, et les morceaux de ferraille qui s’envolaient, et l’explosion, ils étaient passés à travers les flammes.
- Ah, dis donc … merde ! avait grogné le chauffeur.
En se penchant vers le rétro, Henri avait vu la lune qui commençait à prendre feu. Ils avaient roulé toute la nuit et l’autre avait parlé toute la nuit, c’était un gros type avec une voix aiguë, désagréable, pas moyen de fermer l’oeil, les filles placardées dans la cabine le faisaient bailler. Et maintenant, il y avait cette bière à finir, il regardait son verre d’un air idiot, les petites bulles qui éclataient sous son nez. Il y avait juste un couple au bar, une blonde qui rigolait très fort quand le type la touchait, il essayait de lui glisser une main entre les jambes, elle voulait bien mais elle gesticulait sur son tabouret, … »

C’est le départ du roman, de la carrière de romancier de Djian aussi. Et ça donne bien le ton général : écriture géniale, préoccupations … redondantes, qui tournent autour de l’alcool, de la drogue couramment et quand il y a un être du sexe faible, ce sont les fesses qui apparaissent en premier. Pour un premier roman, en 1983 c’était assurément novateur. Depuis Philippe Djian nous l’a beaucoup réécrit …
Cela dit, si la violence ne vous fait pas peur (c’est typiquement le genre de bouquin que je n’irais pas voir transcrit à l’écran, pour les scènes de violence récurrentes), c’est du très bon Djian. Il a fait pire depuis ! (et je continue à le lire …)

Tistou - - 68 ans - 18 mars 2008