L'aigle
de Ismail Kadare

critiqué par Sahkti, le 24 juillet 2007
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Désillusions albanaises
Max est employé de banque, sa vie semble sans soucis, si ce n'est qu'un jour, lors d'une réunion, il n'a pas dit ce qu'il aurait fallu dire. Et nous sommes dans un pays où le régime en place veut que l'on parle pour dire ce qu'il convient d'être dit, selon les règles édictées, dans le respect du pouvoir. Alors voilà, parce qu'il n'a pas pris la parole ni joué les moutons de Panurge, Max suit la même route que des milliers avant lui, celle qui le conduit d'en haut vers en bas, dans le monde des exilés. Un autre univers, une société qui s'est mise en place et a appris à vivre presque comme avant. Seulement ça ne sera jamais comme avant, parce qu'il y aura toujours quelque part dans la tête l'envie de là-haut.
On raconte que des aigles géants permettraient de s'échapper de ce monde du néant. Qui sait...

En filigrane, c'est tout un régime que Ismaïl Kadaré dénonce, celui de l'Albanie, de cette bureaucratie à outrance, de ce régime qui impose même la pensée à ses ressortissants. Max est le symbole d'un peuple qui ne commet aucun délit mais doit payer le prix fort, au nom des principes et autres idéologies. Alors bien sûr, face à tant d'oppression, il y a l'espoir. L'espoir complètement fou ici de grimper sur le dos d'un aigle pour retrouver des cieux plus confortables. Allégorie de la fuite, de l'exil, de la promesse d'un monde meilleur, ailleurs. Et pourtant... on voit les squelettes revenir sur le dos des aigles, le voyage semble sans fin, c'est un ticket de non-retour.
Kadaré évoque avec subtilité cet espoir aussitôt déçu, cette croyage dans une amélioration de la condition humaine qui passerait par le départ vers d'autres contrées.
A travers ce texte qui ressemble à un conte cruel, Kadaré dénonce avec force le régime de Hoxha et les milliers de personnes persécutées et tuées à cause de la folie et du puvoir. Avec cette conclusion effrayante: on a le choix, alors en Albanie, entre mourir et mourir.
Un texte à lire, à découvrir et à apprécier; une écriture forte et soignée, un grand auteur à savourer.