L'architecte
de David Greig

critiqué par Jean Meurtrier, le 25 juin 2007
(Tilff - 49 ans)


La note:  étoiles
Black Out
Léo Black est un architecte reconnu en Ecosse. Il a conçu quelques années auparavant la cité d’Eden Court, ensemble de tours disposées en cercle et reliées par des passerelles. Ce projet idéaliste à l’origine est loin d’avoir tenu ses promesses pour diverses raisons liées principalement au manque de moyens. Voilà pourquoi Sheena Mackie, représentante des locataires d’Eden Court, tente de convaincre Léo de trouver un vice à son ouvrage pour le faire détruire. Mais l’architecte ne compte pas signer l’arrêt de mort de son œuvre autrefois primée, pour des manquements dont il n’est pas responsable.
En marge du travail, le climat au sein de la famille Black ne se révèle guère épanouissant. Léo entretient une bonne relation avec sa fille Dorothy qui l’assiste à son travail. Il rencontre cependant quelques difficultés à tisser des liens avec Martin qui ne s’intéresse à rien et peine à trouver sa voie. Léo sent également son couple se fragiliser. Il a du mal à établir un dialogue sensé avec sa femme Paulina, une sorte d’écolo méfiante et maniaque.
Martin fuit ce contexte familial et s’adonne à des rapports homosexuels avec un certain Billy. Ce dernier s’attache, s’oppose au fatalisme de Martin qui ne veut pourtant pas entendre parler d’amour. Dorothy, angoissée chronique, arrive difficilement à éprouver des sentiments. Elle est prise en autostop par Joe, un camionneur, avec lequel elle va essayer de se découvrir elle-même. Joe a du mal à comprendre ce mélange de froideur, de curiosité et d’impudeur. Pendant que les enfants se cherchent, Léo s’emploie à combler les fissures de son mariage qui se lézarde.
Cette longue pièce est clairement une métaphore de l’érosion des utopies, de leur mauvaise mise en pratique. Eden Court, librement inspirée des menhirs de Stonehenge, ressemble aux Cités Radieuses imaginées par Le Corbusier et érigées dans les banlieues françaises. Refaire Eden Court s’apparente à refaire les bases d’une société à l’échelle humaine. Pour illustrer la tendance universelle qu’est la mort des utopies, les membres de la famille Black, à l’exception de Léo, se montrent également désabusés, donnant lieu à des dialogues de sourd.
Au milieu de la représentation, les spectateurs suivent en parallèle trois face-à-face où se confrontent enthousiasme et désillusion. Martin est en quête de pureté et d’idéal, mais n’imagine pas la perfection de ce monde. Constamment rejeté, Billy va en faire les frais. Bien que moins pessimiste, Dorothy se comporte de manière plutôt déshumanisée face à un Joe philosophe et ouvert. Enfin, Léo se heurte à un mur quand il s’adresse à Paulina, refermée comme une huître, qui ne s’occupe que de broutilles afin d’éviter les conversations embarrassantes.
La troupe qui compte s’attaquer à «L’architecte» doit faire preuve d’ingéniosité car cette œuvre se prête plus à une version filmée qu’à une pièce de théâtre. Les scènes s’enchaînent parfois frénétiquement, sautant d’un décor à l’autre. Le message de David Greig passe bien et le ton est juste. Cependant la lecture laisse une impression un peu glauque et mitigée qui n’est pas uniquement due à la gravité du sujet de la pièce. Un petit manque d’humour peut-être…