Alberte
de Pierre Benoit

critiqué par Antinea, le 12 mai 2007
(anefera@laposte.net - 45 ans)


La note:  étoiles
Faire les choses dans l'ordre...
Alberte devient veuve jeune et s’en va couler les longues années qui lui restent à vivre dans la solitude de sa maison de campagne de Maguelonne. Là, elle mène la vie paisible d’une femme en deuil respectable, noire de vêtements, retirée du monde, mais vide de tout sentiment de tristesse. Ce mari perdu, elle ne l’a jamais aimé. Elle ne l’avait pas choisi, il était son mari, voilà tout, et le père de sa fille, deux fonctions pour lesquelles Alberte le respectait. Leur fille, prénommée Camille, aura sans doute un destin plus reluisant : débrouillarde et vive, elle fait des études loin de la propriété familiale. Alberte n’est pas triste de manquer ainsi les années de jeunesse de sa fille qu’elle ne voit qu’à l’occasion de rares vacances, elle sait que c’est pour son bien, cette liberté. Les jours s’égrènent pareils aux précédents à Maguelonne, les mois et les saisons, bientôt dérangés dans leur cycle immuable par les nouvelles de la guerre qui éclate. Camille n’apparaît plus que sporadiquement, elle participe à l’effort de guerre. Puis, en 1917, elle revient à Maguelonne, mais cette fois, elle est accompagnée : son fiancé, Franz, et leur auto, un bolide-prototype qu’ils ont mis au point tous deux. Ils restent plusieurs semaines dans la propriété afin de préparer leur mariage. Alors que la jeune femme convainc sa mère de quitter ses vêtements de veuvage et de se faire belle, Franz perfectionne l’auto en pensant à l’après-guerre et au profit qu’ils pourront en tirer. Et à mesure que les jours passent, Alberte se dit que sa vie dans le monde a été courte, courte et misérable… Le contact des jeunes gens la transforme, l’embellit, l’épanouit… et Franz…
Voici le portrait d’une femme convenable qui a sacrifié son bonheur sur l’autel des apparences. Alberte n’a pas vécu que déjà elle doit s’enfermer dans un deuil qui ne l’émeut même pas. Alberte n’est pas veille que déjà elle vit seule dans une grande maison vide sans famille, parfois prise du regret de ne pas avoir assez profité de la vie. Alberte n’a que quarante ans et déjà elle voit sa vie se terminer dans cette maison. Mais Camille, et surtout son fiancé Franz, cet homme « interdit », vont raviver malgré elle sa jeunesse, sa beauté, ses sentiments… et de terribles souffrances.
Le récit est écrit du point de vue d’Alberte qui voit son destin changer d’une horrible manière mais qu’elle accepte. Les passages introspectifs sont étonnants de vérité. L’histoire est tragique et j’avoue ne pas avoir su que penser à la fin, victime ou complice de sa propre destinée ? Ce n’est pas un livre léger. A lire donc en de bonnes dispositions.
L'aveuglement des sentiments 8 étoiles

CL m'a fait découvrir cet auteur à l'occasion du cinquantenaire de sa disparition. Sans fioriture mais avec une écriture précise et fleurant bon le début du siècle passé, il réussit à nous embarquer dans des trajectoires personnelles parfois mystérieuses parfois plus banales mais toujours prenantes. Ici il s'agit de la tragédie de cette femme qui à 40 ans, s'élevant au dessus des carcans de sa condition, commence enfin à vivre. Mais non sans avoir commis la pire des trahisons et la pire des complicités. Les aveux d'Alberte dans une société encore marquée par les conventions n'en demeurent pas moins saisissants à notre époque plus libérée.

Elko - Niort - 48 ans - 5 mars 2013


Un roman de grande qualité ! 9 étoiles

Tout d’abord, pour que ce soit très clair entre nous, il faut que je vous dise que Pierre Benoît est un romancier que j’ai lu quand j’étais adolescent et que, du coup, chaque fois que je lis ou relis un roman de cet auteur je suis comme transporté dans mes années collèges, les temps lointains où je découvrais le bonheur de lire… Cela pourra donc marquer ma critique qui correspond aux impressions d’une seconde lecture, presque quarante ans après la première…

Il est dans les usages de dire que ce roman, Alberte, publié en 1926, est un drame sentimental, familial ou féminin. Pourquoi pas ! Mais je serais tenté de dire que c’est aussi un roman profondément humain et policier. Oui, policier car il y a bien une énigme, une mort, des gens qui en profitent… C’est aussi une confession, c’est d’ailleurs surtout une confession puisque le roman est écrit à la première personne, Pierre Benoît prenant la place de cette fameuse Alberte…

Alberte est une femme de son temps, une bourgeoise sans ambition, sans fantasme ni rêve, une pauvre femme sans espérance. Il faut dire que son veuvage à 32 ans ne l’aide pas beaucoup. Elle s’enferme dans ses habits noirs, comme cela se faisait à l’époque, sans se poser plus de question. En agissant ainsi, elle passe inaperçue, elle reste à sa petite vie…

Sa fille Camille est presque son opposée, la jeune femme dynamique qu’elle n’a jamais été, qu’elle ne sera jamais. Camille a accepté de partir faire des études, elle est allée à Paris pour devenir une véritable femme solide et efficace. Elle veut exister, elle veut être… et elle envisage un instant que sa mère pourrait bien changer, être là à ses côtés, la rejoindre à Paris…

Alberte va nous raconter sa vie avant Camille, de façon assez rapide, puis le roman commence réellement quand Camille arrive dans la maison familiale, en province. Elle n’arrive pas seule, elle est accompagnée par Franz, son fiancé, un ingénieur automobile…

Nous sommes à la fin de la première guerre mondiale, Alberte a une petite quarantaine, Franz l’âge des certitudes et Camille de l’innocence…

Les autres éléments de l’histoire doivent être découverts au fur et à mesure de la lecture. Très rapidement le lecteur est pris par un triple questionnement : Alberte est-elle stupide ou manipulatrice ? Camille est-elle dans une phase d’autodestruction ? Franz n’est-il pas un grand usurpateur ?

En fait, le drame est plus banal, les faits plus logiques, Alberte plus victime de son éducation, de son passé, de sa vie…

Je n’ai certainement pas lu le roman comme la première fois, mais j’avoue que c’est pour moi un des meilleurs de Pierre Benoît. Je le trouve beaucoup plus fort que lorsque j’étais adolescent et c’est probablement parce que le sort d’Alberte me concerne plus qu’à l’époque…

Shelton - Chalon-sur-Saône - 68 ans - 8 avril 2010