1945-1968 La photographie humaniste
de Laure Beaumont-Maillet, Dominique Versavel

critiqué par Jlc, le 12 mai 2007
( - 81 ans)


La note:  étoiles
La nostalgie est toujours ce qu'elle était
La Bibliothèque Nationale de France a organisé, il y a quelques mois, une très belle exposition sur la photographie humaniste de 1945 à 1968. Fugacité d’une manifestation dont reste un remarquable catalogue composé de superbes photos de Boubat, Doisneau, Brassaï et bien d’autres, mais aussi de courts essais révélateurs de ce que fut ce mouvement qui n’en était pas un.

La photographie humaniste est née en 1945 d’une double rupture : rupture technique avec les expérimentations plastiques des années 20 et 30 et rupture sociétale avec la période de l’occupation, de l’humiliation, de l’épuration aussi. Elle finira en 1968 sur une autre rupture créée par les évènements de mai qui vont radicalement changer notre regard sur la vie et le monde.

Mais qu’est-ce que la photographie humaniste ? Un courant très divers, sans théoricien, dont les fondateurs sont Cartier-Bresson, Doisneau et Ronis; un courant qui « privilégie la personne humaine, sa dignité, sa relation avec son milieu » pour reprendre la définition de la commissaire de l’exposition Laure Beaumont-Maillet.

La guerre a ruiné la France qui se reconstruit avec l’aide financière américaine. Mais si le bonheur de vivre se réapprend, les conflits sociaux sont nombreux et parfois violents, la décolonisation ne se fait pas sans drames, la guerre froide engendre un sentiment d’insécurité que certains se forcent d’oublier dans une fureur de vivre excentrique. C’est tout ce kaléidoscope de la société française que la photographie humaniste va refléter.

Ces photographes qui ont tous une culture artistique vont recevoir l’appui de l’Etat qui, à travers la Documentation Française ou le Commissariat Général du Tourisme, veut donner de la France une image flatteuse, effaçant les années noires. Ils seront aussi aidés par la presse, américaine en particulier, qui va leur commander des reportages et diffuser leur travail. C’est l’image d’une France poétique où l’identité culturelle et sociale s’affirme à travers un regard bienveillant sans être mièvre, nostalgique sans être triste, poétique et narquois, généreux et ironique. C’est la France des petites gens, des travailleurs, de la bonne humeur, un peu celle que les Américains veulent retrouver. Mais c’est aussi la France de la misère et des luttes, le temps où l’abbé Pierre lance son appel à « l’insurrection de la bonté ».

On photographie les lieux de vie car le décor est aussi important que le sujet. La rue où, avant la télévision, la vie se fait, le bistrot pour sa convivialité, les quais pour la flânerie, l’usine ou les taudis pour le constat documentaire. Images de proximité, de simplicité, d’un pittoresque qui ne sait pas encore qu’il va disparaître. Images de poésie où Cartier-Bresson répond à Aragon, Doisneau à Prévert ou Cendrars tandis que la mystérieuse Pierrette d’Orient joue de l’accordéon pour Doisneau, là bas à la Villette.
La photographie humaniste a une éthique fondée sur l’absence de voyeurisme ou de sensationnel et le respect pour la réalité qu’elle révèle, la spontanéité seule garantie de l’authenticité. D’où la polémique qui naîtra bien plus tard quand Robert Doisneau avouera avoir pris des modèles pour faire sa photo la plus emblématique, « Le baiser de l’Hôtel de Ville ».

La violence des conflits de cette époque se retrouve aussi dans les critiques qui reprochent à ces artistes de ne pas dénoncer avec suffisamment de force les injustices sociales et la misère et de se cantonner, disent-ils, dans l’évocation d’un monde vieillot et petit bourgeois. C’est là une vision bien partiale quand on regarde certaines photos sur la pauvreté ou les luttes, même s’il est vrai que le regard est toujours retenu, discret, jamais désespéré ou manichéen. Mais c’était un temps où le seul fait de travailler pour un journal américain vous cataloguait ipso facto, pour certains, comme un ennemi des classes laborieuses.

Ce mouvement n’est pas seulement français et on le retrouve dans d’autres pays. Par ailleurs bien des photographes qui travaillent à Paris sont d’origine étrangère, tel Brassaï, témoignant ainsi de cette France terre d’accueil qu’elle était alors. Mais c’est peut-être en France qu’il a le mieux traduit l’atmosphère d’une époque et diffusé cette image d’une France qui se veut éternelle, porteuse de ses valeurs humanistes, entre mythe et stéréotype.

Pour le grand photographe Marc Riboud, « Le regard est le signal ou l’amorce d’un échange ». Voir ou revoir ces photos, d’une grande qualité technique et artistique, faites de chaleur humaine, d’empathie, de douceur de vivre suscitent chez qui a connu cette époque une ombre de nostalgie. Non celle qui voudrait que « tout était mieux avant » mais celle du temps qui passe et de notre jeunesse enfuie. Qu’est devenue Josette de Gentilly, si joliment rieuse le jour de ses vingt ans à Gentilly, emportée par une farandole que l’image perpétue sans fin ? Où est ce petit garçon au sourire espiègle écoutant son grand père lui lisant les aventures de Tintin ? Vers quel destin s’en vont ces trois petites pèlerines sur cette route d’un hiver lorrain ? Et ces deux cœurs pour un même manteau, font-ils toujours la même promenade dans le jardin du Luxembourg ?
Oui la nostalgie est bien toujours ce qu’elle était mais elle est aussi l’espérance que ces photographies d’un temps englouti puissent émouvoir nos enfants et leurs enfants en leur montrant notre quotidien avec ce qu’il avait de joyeux, de malicieux, de solidaire, de tendre et de violent aussi et surtout d’espérance en l’avenir.

A regarder et bien plus encore à méditer.