Ciel au-dessus de Bruxelles (Le), tome 2 : ... [après]
de Bernard Yslaire

critiqué par Le rat des champs, le 2 mai 2007
( - 73 ans)


La note:  étoiles
Beauté absolue
Chaque fois que j'ai entre les mains un nouveau livre de Bernard Hislaire, je me demande jusqu'où ira ce génie? C'est beau à tomber... Une histoire d'amour toute simple dans une chambre de l'hôtel Hilton de Bruxelles, entre une kamikaze islamiste et le jeune Khazar Irwin Stern, au moment où les Américains envahissent l'Irak. Un amour pur, absolu, transcendant, remontant à la nuit des temps, plus exactement à moins 659 avant Jésus-Christ à l'époque babylonienne. Déjà en ce temps reculé, les paroles de John Lennon étaient d'actualité: "Imagine all the people"... La fragilité de Fadiya, sa détermination, celle d'Irwin, toute en sourire et en finesse, la beauté du dessin, l'intelligence et la subtilité du scénario, tout, absolument tout concourt faire de ce livre un des plus aboutis de cet immense artiste. Les détails sexuels sont montrés crûment ce qui peut faire réserver cet album à ce qu'on appelle un public averti, mais ce n'est pas important, la vraie obscénité n'est pas celle du sexe, c'est celle de George Bush qui se fait coiffer et fait des grimaces avant d'annoncer au monde qu'il a envahi un pays innocent, c'est celle du sang répandu pour le pétrole, celle de la lâcheté occidentale, celle de la violence stupide, si vous me pardonnez ce pléonasme. Ce livre clôt un cycle de deux tomes, d'une manière extraordinaire de beauté et de spiritualité. Je ne vous en dirai pas plus, sauf qu'il est extrêmement rare que je sois époustouflé à un point pareil par une bédé. Du très très grand art, une narration qui conjugue une sagesse immémoriale à une très grande force et une beauté stupéfiante.
Obscène ? 6 étoiles

Dans ce second tome, Yslaire veut choquer et si ce n'était pas assez évident, il nous mettra les points sur les "i" dans une postface largement dispensable et déjà évoquée dans une critique précédente à laquelle je joins ma voix aux reproches faits à l'oeuvre.
Comme dans le premier tome, on se retrouve face à une belle ode à la paix, un "faites l'amour, pas la guerre" crié avec beauté et conviction. Cependant, malgré tout le talent dont l'auteur dispose et qu'il met volontiers au service de son message, celui-ci n'en reste pas moins un brin simpliste et dépourvu de grande originalité. Yslaire atteint pourtant plus ou moins son but et on verra en effet toute la beauté du monde dans ces dessins faisant plus que frôler l'érotisme tandis que les images de la RTBF sur l'invasion de l'Iraq et de Bush s'apprêtant à prendre l'antenne seront de loin les plus choquantes.
Tout ceci est donc très bien, mais est encore une fois plombé par un symbolisme trop classique et envahissant. Comme dans sa postface, Yslaire veut vraiment s'assurer qu'on a bien compris que la guerre, c'était pas un très joli truc, surtout celle en Iraq, et qu'avec un peu plus d'amour, le monde serait meilleur. Alors, on nous ressert les papillons et John Lennon qui chante à tue-tête jusqu'à Babylone en 649 avant notre ère dans une scène, encore une fois, largement dispensable. Oui, c'est un problème éternel dont la solution est la même à Babylone, à l'est de Berlin, en Iraq et à un check-point israélien (dans un épilogue qui répond au prologue du premier tome avec les même gueules de soldats qui aboient dans des uniformes différents - et en moins bien). Le message, encore une fois, est beau. Mais il est un peu lourd, traité avec trop d'insistance.
Et puis, dans tout ce symbolisme, on avait, dans le premier volume, espéré trouvé des énigmes : d'où viennent vraiment Erwin et Fadya, sont-ils vraiment des "Eternels" qui parcourent le monde et les époques, que s'est-il passé dans les cinq jours entre la rencontre d'Erwin et Fadya et le début de la guerre, Erwin existe-t-il vraiment, Fadya est-elle morte...? Finalement, on se demande si Yslaire a vraiment les réponses où s'il n'a fait que parsemer son oeuvre d'éléments fantastiques pour lui conférer une vague auréole de mystère...
Dommage, donc : une belle idée mais peut-être un manque de matière. Yslaire pousse un joli cri contre la guerre mais tombe trop souvent dans la facilité et le plombe même par ce qui ressemble un peu trop à du remplissage. Un bel effort tout de même qu'on aimerait salutaire. Sans trop y croire pourtant ; c'est le problème de cette BD...

Stavroguine - Paris - 40 ans - 5 juin 2009


Il pleut des bombes et de l'amour sur Bruxelles 8 étoiles

Dans ce second tome se développe l’intensité de l’amour, sa crudité saine, son pouvoir peut-être illimité, en opposition à l’absurdité. L’auteur se veut choquant et, à l’image du bed-in de John Lennon et Yoko Ono, dessine l’amour en pansement du monde.

Le graphisme d’Yslaire me touche toujours, la manière dont il met l’évidence en page. Néanmoins, le dessin des visages parfois oscille entre grâce et agressivité dans le trait. Légère déception.

Comme pour le premier tome, et à plus forte raison dans celui-ci, je regrette qu’il ait récupéré l’idée du bed-in de John & Yoko. Il est bon d’en rappeler la vertu pacifiste, peut-être pas de s’en faire un manteau pour s’assurer une réussite de l’impact émotionnel. Comme je regrette aussi sa maladresse à jouer de la crudité dans l’amour, dont il ne parvient pas tout à fait à maîtriser la crédibilité (une jeune musulmane intégriste et alourdie d’une pression familiale intense, se transforme-t-elle si facilement en amante sans pudeur ni complexe, aux gestes experts, jouissant alors même qu’elle perd sa virginité ?).

Passage peut-être inutile : une ouverture vers un passé lointain, à Babylone, aux prémices de cet amour mille fois vécu. Extrait trop en décalage avec le reste et qui n’apporte pas vraiment de force à l’ensemble, donne juste l’impression d’avoir changé de chaîne, malencontreusement… Dommage.

Dernier regret : que l’auteur se soit senti obligé de justifier, expliquer sa démarche par une note en fin d’ouvrage. Justification ? Assurance de mettre le doigt sur ses intentions ? Quoi qu’il en soit, une BD de cette qualité devrait parler d’elle-même et ne rien exiger d’autre de son créateur.

Et pourtant, que d’intensité induite. Que de beauté. On en a plein les yeux et le cœur. Pourquoi donc bouder son plaisir quand un auteur va si loin dans l’émotion ? Peut-être est-ce une forme d’exigence envers une créativité qu’on sait exceptionnelle.

Une lecture passionnante, une image réellement forte, des personnages hors du temps, « désancrés », touchants, éthérés et vraiment séduisants.

Oui, on en a plein les yeux et le cœur…

Bluewitch - Charleroi - 44 ans - 11 mai 2007