Des anges mineurs
de Antoine Volodine

critiqué par Jurassic, le 30 mars 2007
(Fraisans (Jura) - 69 ans)


La note:  étoiles
Narrats et murmurats...
Un livre constitué de 49 « narrats », petites nouvelles traversées par des personnages plus ou moins constants, des ourses accouchantes et le narrateur.
Une inquiétante anticipation de notre monde : post-industriel, mais dévasté écologiquement ; post-étatique, mais dirigé par des vieilles immortelles ; post-humain, tellement les hommes sont devenus rares et déformés génétiquement.
Un univers brumeux, poussiéreux, caillouteux. Une écriture trouble et troublante, suffocante : notre toute fin dernière sera minérale.
Au coin de cet obscurcissement du monde, on croise parfois les fantômes stylistiques de Kafka, de Garcia Marquez, voire d’Alfred Jarry, pour de rares passages fantaisistes.
Une forme certes rugueuse, hermétique, mais un excellent livre d'une grande folie poétique et émotionnelle. Etonnant Volodine.
Album-photo du désastre 9 étoiles

Je n’ai pas vu le film « Stalker » dont il est fait mention dans une critique précédente, mais les quelques images ou extraits qu’on en trouve laissent penser que le monde qui y est décrit ressemble assez au monde post-exotique dans lequel ces 49 narrats nous plongent. Un narrat, c’est un instantané, un polaroïd avec des couleurs pourries, des gens trop rouges, un ciel trop gris et un décor désolé. Mais quelque part dans la photo, une lumière parfaite, c’est l’ange. L’auteur nous dit qu’il y a un ange dans chacun de ces 49 textes; croyons-le… ce qui n’est pas évident tant la désolation règne dans ce livre.

On y croise un peloton d’exécution composé d’archi-vieilles qui délibèrent sur le sort à réserver à leur fils de chiffons, jugé pour avoir réintroduit le capitalisme. D’audacieux capitaines partent en exploration (est-ce dans l’espace ou dans le temps ?), ils découvrent des choses aussi extraordinaires qu’un homme qui lave sa voiture, évènement bien improbable dans ce monde où il ne reste pas de voiture, plus d’eau, quasiment plus d’humains sans doute, et où le bien le plus extraordinaire semble être devenu la vitre (un peu à cause d’une poussière permanente balayée par les vents).

Je ne pense pas que ces narrats forment un ensemble décousu, bien au contraire. Ils jettent chacun un éclairage sur un monde finissant magistralement envisagé par l’auteur. La lecture est peut-être difficile, certes parfois, mais extrêmement marquante.

Guigomas - Valenciennes - 55 ans - 13 décembre 2013


De Volodine à Tarkovski 8 étoiles

Antoine Volodine, Des anges mineurs (Points Seuil, P918, 1999) :
Quarante-neuf voix traversent ce livre, y compris celles d'un chien et d'une alouette. Quelques pages sont consacrées à chacun de ces anges perdus. L'auteur nous narre un fragment de leur vie dans les décombres, longtemps après une catastrophe majeure. Il suffit d'une phrase pour que l'on bascule dans l'irrémédiable.
Le ciel est sombre. Une poignée d'humains survit, mais ils sont dans un état étrange. On croise des errants, d'improbables voyageurs du temps, englués dans des villes mortes, comme des scaphandriers pour qui marcher ou respirer demande un énorme effort. Certains se cherchent dans des marchés pouilleux, parmi des éclopés en haillons… D'autres se connaissent, se retrouvent. Tous sont mus par de bizarres pulsions de vie, familières mais décalées. Des fragments de discours révolutionnaires nous parviennent, contradictoires. Des rumeurs de cannibalisme circulent entre les immeubles abandonnés.
Il pleut du sable, on peut se noyer dans le bitume. Dans la steppe alentour, des grands-mères de trois cents ans donnent vie à un être fait de chiffons. Elles lui chantent des litanies venues du fond des âges. Rien ne se déroule comme prévu. L'humanité s'éteint.
Les siècles passent sur la taïga, sur les forêts. Tout se dilue. Mais qui rêve qui, ici ?
Dans une atmosphère onirique, le lecteur hypnotisé navigue au ralenti entre Tarkovsky, Ballard et le Terry Gilliam de L'Armée des Douze Singes. L'auteur creuse entre les êtres une distance cruelle, qui rend précieux les rares contacts charnels, et il porte aux détails du décor une attention aigüe. Ainsi, il insuffle du magnétisme à ses visions du futur, et développe une esthétique de la ruine et de l'extinction. Ses tableaux du désastre dégagent une force peu commune.
"… un regard où le noir était transparent, où quelque chose de désespérément intense flambait…"
J'ai avalé quelques cachets de Volodine, ils avaient un goût de poésie rouillée. Depuis ce jour, les gens sont différents, ils se comportent de façon irrationnelle. Le temps ne s'écoule plus de la même façon. La nuit, les objets eux-mêmes, comme mon téléphone, se mettent à gémir.
"… l'étrange est la forme que prend le beau quand le beau est sans espérance…"

Un lundi soir de novembre, juste après le festival des Utopiales 2005 à Nantes, Gess voulait voir "Stalker" de Tarkovski, projeté au Katorza, et nous l'avions accompagné. Le film était présenté par Antoine Volodine, dont je connaissais quelques titres chez Denoël, mais sans avoir lu un de ses romans plus récents parus chez Minuit. Sobre, présent, il parlait calmement.
Je n'avais pas revu Stalker depuis 1983, à Londres (c'était l'après-midi, dans un salon aux fauteuils jaunes effondrés, au second étage d'un vieux pub réaménagé). Comme devant une œuvre d'art, c'est à chaque fois une expérience marquante. Le film déroulait des passages que j'avais oubliés. Des dialogues revivaient avec une acuité qui me paraissait plus juste. Les acteurs étaient habités par les questions que naguère je me posais.
Aujourd'hui, je laisse mon regard glisser sur les terrains vagues, sans plus rien désirer. Je m'attarde à contempler les murs rongés par l'humidité. Je vois des silhouettes solitaires dans les ruines, des fantômes sur les chemins, autour d'une zone dangereuse. J'aime leur beauté antique. Dans ce film, comme dans Nostalghia, je sais qu'une image viendra, un mot, un éclair, qui m'aidera à mieux comprendre le monde, et qui adoucira mes tourments. Je devine que, dans sa quête, l'auteur a trouvé une flamme essentielle, un espoir.
Dans un documentaire passionnant, Une journée d'Andrei Arsenevitch (1999), Chris Marker décrypte les symboles du langage cinématographique de Tarkovski (la boue, le lait, la dentelle, la peinture, la lévitation…). Des années après, j'ai toujours en mémoire une scène fascinante : Tarkovski raconte qu'il a récemment interrogé, pendant une séance médiumnique, l'esprit de l'écrivain Boris Pasternak, décédé en 1960, à propos de ses films à venir. Dialogue avec un fantôme, conversation ectoplasmique, c'est troublant et révélateur. On part d'une fiction apocalyptique et on arrive en plein fantastique. Décidément, les frontières sont floues.

(16 juillet, "L'anguille", journal 2008)

Lepatou - - 65 ans - 13 janvier 2009


Un monde qui se découd… 10 étoiles

Pour enchaîner sur la lecture de Math h ; oui, c’est décousu, on peut dire ça, si on le dit du monde crépusculaire et onirique où ces voix nous plongent. C’est une lecture un peu ancienne pour que je puisse argumenter, d’autant plus que l’écriture de Volodine laisse peu de champ à la logique de mon argumentation. Il faut, pour entrer en post-exotisme, faire quelques deuils, dont celui de la raison, du lieu commun ; il faut accepter d’être, au plus profond de soi, dérouté. Ensuite, après ces « narrats », on entrera avec plus de facilité, et un immense plaisir, dans les « entrevoûtes » de Nos animaux préférés, ou dans celle d’Avec les moines-soldats, de Lutz Bassmann, probable hétéronyme de Volodine – dont je me demande à présent s’il n’apparaît pas, dans Des anges mineurs. Faute d’un commentaire plus précis sur le texte, je me dédommagerai donc d’un extrait :

« …Il y avait trois ourses. La première avait rampé à l'écart, elle s'était affalée devant la cabine numéro 886. Vautrée de flanc contre la porte, elle léchait son unique bébé avec une sollicitude affectueuse qui nous tranquillisait. Les deux autres étaient gigantesques, pesaient une tonne et n'en finissaient pas de mettre bas. Sophie Gironde plongeait les mains entre les croupes et les pattes poisseuses, et elle tirait. Je prenais les oursons en charge, de petites créatures sans grâce, ruisselantes de liquides âcres, fripées, à peu près aveugles et inertes. Je les posais sur la bâche et pinçais le cordon ombilical de chacune d'elles, en m'efforçant de bien faire. Il fallait aussi sans tarder approcher le nouveau-né de la truffe maternelle, le tendre vers la langue et la bave maternelles et lui éviter ensuite d'être écrasé ou mordu. J'effectuais ces opérations à contrecœur. L'obstétrique n'a jamais été mon fort. Les ourses ahanaient et rugissaient et se retournaient d'un côté sur l'autre avec violence. Elles giflaient l'air, leurs pattes massives cognaient contre le mur de métal, éraflaient la peinture, cognaient. Nous trébuchions dans la toile cirée dont de tels mouvements rendaient la surface chaotique. Sophie Gironde était parfois renversée par l'ourse qu'elle assistait. Je devais alors en urgence la retirer de dessous l'avalanche de viande et de poils jaunâtres qui l'étouffait. Elle se remettait debout sans commentaire et reprenait la parturition là où elle avait été interrompue. Partout gisaient des oursons, des flaques de délivre, des flaques de salive et de sang.
Nous étions malpropres. La sueur nous aveuglait. Il aurait fallu renouveler l'air. L'ambiance de caisson étanche, les vapeurs fauves irrespirables jouaient sur les nerfs de tous et de toutes. La première ourse avait cessé de flairer son bébé et de le toiletter. Elle l'avait abandonné dans un coin, entre deux plis de la bâche, et, après avoir uriné, elle s'était soudain dressée de toute sa hauteur. Elle déambulait en grondant entre les portes coupe-feu et, de temps en temps, elle retombait à quatre pattes pour frotter sa tête contre une parturiente ou pour interroger du bout de la langue un des nouveau-nés qui ne lui appartenaient pas. Elle dominait l'espace réduit de la coursive, elle allait et venait, elle nous gênait.
Je m'aperçus enfin que quelque chose clochait vraiment dans notre entreprise, comme la dernière fois, vingt-deux ans auparavant, et comme souvent lorsque Sophie Gironde m'invitait à partager un moment de complicité. Quelque chose rendait irréelle la réalité que nous traversions ensemble. C'était le nombre d'oursons que nous extrayions du ventre de leurs mères. Chez l'ours polaire, les portées comptent d'ordinaire un ou deux individus, en tout cas jamais plus de trois. Or nous avions déjà autour de nous dix ou onze rejetons, et peut-être même treize ou quatorze, car dans la pénombre et le désordre il était devenu difficile de faire un décompte exact, et, de nouveau, Sophie Gironde s'activait sur la troisième ourse. Je lui fis part de mes doutes. Je ne sais pourquoi, je m'exprimais en recourant à des tournures de phrases et à des mots qui m'étaient étrangers, je disais prélart au lieu de bâche, je discourais sur les matrices d'une voix moite. Elle me lança un coup d'oeil en biais, mais ne répondit rien. On voyait nettement qu'elle ne croyait pas à mon existence. Je sentis sur ma nuque goutter une écume brûlante. La première ourse s'était approchée de moi, elle était cabrée au-dessus de moi et elle rauquait. »

Des anges mineurs, 3. « Sophie Gironde ».

Feint - - 61 ans - 19 septembre 2008


Sceptique... 2 étoiles

J'ai pas réussi à le finir... C'est décousu, pas particulièrement fluide malgré des histoires très courtes. J'ai vraiment essayé de m'accrocher mais impossible d'en venir à bout.

Peut-être que c'était juste pas un bouquin pour moi...

Math_h - Cahors - 38 ans - 18 septembre 2008