Petits ruisseaux (Les)
de Pascal Rabaté

critiqué par Bluewitch, le 16 mars 2007
(Charleroi - 45 ans)


La note:  étoiles
L'amour au 3e temps
On oublie souvent que, passé un certain âge, l’amour peut encore être autre chose qu’un thé à seize heure, qu’une émission de début de soirée, côte à côte et le chat sur les genoux, autre chose qu’un sourire humide et une prescription d’arthrose et de patience. Autre chose qu’une habitude d’attente. Autre chose qu’une nostalgie des débuts et le partage d’un pilulier.

Oui, l’amour est encore l’amour, celui où le trac noue l’estomac, où l’incertitude se mélange à l’excitation, où le corps se réveille pour un rien, où l’autre est attendu comme on attend sa ration de vie quotidienne. Même si cet amour a aussi l’allure de cheveux rares et de douleurs disséminées.

Dans « Les petits ruisseaux », Emile s’aperçoit combien son ami Edmond, fidèle compagnon de pêche, s’était chaleureusement ménagé un jardin secret. Adepte des rencontres par annonce, Edmond n’avait pas renoncé aux expériences faites de nouveautés et de piquant, malgré son troisième âge bien sonné. Lorsqu’Edmond passe de l‘autre côté, Emile laisse sa curiosité devenir un nouveau mode de vie, il se met à marcher d’un autre pas, à regarder la vie différemment, et à se dire que, finalement, ce n’est pas parce qu’on est plus proche de sa fin que de son début qu’on n’a pas le droit d’en profiter…

Beaucoup de charme et de sourires, un langage jeté avec la verve campagnarde de personnages souvent typés et attachants, une bonne conduction de l’histoire… Visuellement, ce n’est pas une BD ayant un attrait vraiment singulier, l’image est assez passe-partout, mais pas du tout gênante par rapport au récit. Un trait un peu tremblant, peut-être comme l’est l’écriture avec l’âge, peut-être comme ont arrêté d’être lisses ces vieux corps encore plein d’envies…
Un formidable pied de nez à la vieillesse 10 étoiles

C’est une histoire magnifique par un auteur de BD dont le talent n’est plus à prouver. Le trait y est encore plus minimaliste que dans ses productions passées, et sous une apparence faussement maladroite, les expressions et les attitudes des personnages sont hyper bien rendues. Et c’est peut-être cela le vrai talent : avec une économie de moyens, réussir à produire une histoire forte, à la poésie touchante et drôle, doublée d’une peinture acerbe des mœurs d’un village de province. Emile est extrêmement attachant par son humilité et sa candeur devant les découvertes qu’il fait sur lui-même.

Rabaté, fin observateur, vient briser tous les clichés qu’on peut avoir sur la vieillesse sans l’idéaliser, et ne fait que la rendre beaucoup moins glauque voire joyeuse. Il montre que l’aventure est toujours à portée de main, même à un âge de la vie où l’on serait plus enclin se résigner à attendre la mort, et que la déchéance est d’abord dans les têtes. Cette BD est un vrai petit bijou à découvrir absolument pour apprécier la vie et ses vraies valeurs, telle une invitation à profiter de tous les petits bonheurs du présent en se moquant du regard des autres. En somme, une fable libératrice et optimiste sur notre condition d’humains pathétiques pris dans les fers d’une société figée dans les préjugés et la bêtise.

Blue Boy - Saint-Denis - - ans - 30 décembre 2011


la vie commence à 60 ans.... 7 étoiles

J'ai honte de l'avouer mais c'est la première fois que je lis une bande dessinée de Rabaté ; et bien en l'occurrence je n'ai pas été déçu, bien au contraire. Un petit bijou ce livre. Cela commence par une partie de pêche et cela s'achève sur une partie de pêche, mais entre les deux, que d'aventures pour Emile, fringuant sexagénaire qui menait une vie paisible jusque là. Car c'est un autre regard sur les vieux, que dans nos sociétés modernes, nous avons rebaptisés "séniors" (sans doute parce que ce terme nous fait moins peur) que propose Rabaté. Si dès le début, la solitude, la monotonie et les enterrements des copains sont le lot d'Emile, Rabaté distille d'entrée un sujet, encore tabou, celui de la sexualité du troisième âge, à travers le truculent personnage d'Edmond.(Rabaté illustre d'ailleurs ces scènes avec beaucoup de pudeur et d'intelligence). Car "les petits ruisseaux", c'est bien cela, une claque donnée aux idées reçues, un vent de fraîcheur, et une leçon donnée aux autres (ah !! ce baiser fougueux sur le quai de la gare, page 92 -noter qu'au passage, cette bd comporte 94 pages- , sous le regard réprobateur des braves gens, comme l'aurait dit Georges Brassens). Un autre a chanté "la vie commence à 60 ans" et c'est vrai que Rabaté ne se prive pas de le prouver. A la vie monotone du début succède en effet, avec la fugue d'Emile, une renaissance, une résurrection qui fait plaisir à voir avec des moments très drôles (la rencontre avec les hippies). Cet album formidable est un hymne à la vie. Jamais on ne tombe dans la nostalgie, non au contraire, mais vers l'avenir. Merci Monsieur Rabaté pour ce magnifique album. A acheter d'urgence, à lire et surtout à relire.

Hervé28 - Chartres - 55 ans - 9 septembre 2011


D'eau douce en grain violent 9 étoiles

« Sex, on fera ce que l’on pourra, drug, surtout contre le cholestérol and rock’n roll, je suis meilleur en musette ».
voilà le sous-titre complet de ces petits ruisseaux, parole de vie quand le dernier silence s'approche : celui d'Edmond d'abord, qui non content de provoquer l'amour et la sensualité peint des nus d'après des modèles dégotés dans Play-boy, celui d'Emile ensuite, parti bécoter la grande faucheuse et échouant dans les draps d'une communauté Woodstock.

Il y a beaucoup à dire sur ces petits ruisseaux-là, ça vibre, ça secoue, ça virevolte et esquisse des pas de deux même avec des personnages qui traînent la patte ; c'est un hymne à la vie, plus encore qu'un éloge de la vieillesse, et de son dessin tremblotant, je rejoins là-aussi mes camarades, Rabaté nous donne à voir, à lire, à sentir cette vigueur si fragile d'un âge qui peut effrayer. Drôle, touchant, émouvant que sais-je encore, que (ne pas) vous dire que vous devrez découvrir vous-même : on n'est peut-être pas plus sérieux à 77 ans qu'on ne l'est à 17, la fin n'est pas achevée tant que persiste un souffle de vie, encore ; et au diable les tabous liés à ce troisième âge auquel notre société réserve souvent un triste sort, quand ce n'est pas une bien sinistre considération - le petit-fils d'Edmond, je lui filerai bien un coup de savate, parce que, eh bien, la seule question qui me semble valoir à poser à nos aînés, c'est peut-être, et cet album-là y répond : "et toi, qu'est-ce-que tu veux faire quand tu seras vieux?"

Clamence - saint quentin - 43 ans - 26 novembre 2009


L'estuaire des sentiments. 9 étoiles

Deux vieux papis, à la pêche, assis au bord, de l'eau devisent en comptant leurs prises. Leur vie s'écoule paisiblement, tout semble ordinaire. Et puis l'amour déboule dans la vie de l'un d'eux. Le vieux volcan qu'on croyait éteint reprend vie. L'amour avant la sexualité est le thème du livre. La fidélité jusque dans la mort. Et puis ce rejeton de vie, rescapé des vicissitudes , dont repart les grandes joies.
Un dessin poétique pour aborder ce thème, effectivement tremblant. Touchant par l'estocade des silences appuyés par le trait singulier. Une ambiance chaleureuse, les scènes de bistrot sont dignes des brèves de comptoir.

Hexagone - - 53 ans - 25 novembre 2008