Waterloo
de Alessandro Barbero

critiqué par Micharlemagne, le 29 décembre 2006
(Bruxelles - 73 ans)


La note:  étoiles
Un médiéviste à Mont-Saint-Jean
Alessandro Barbaro est un médiéviste italien reconnu. La parution d’un ouvrage sur la bataille de Waterloo signée par cet auteur ne pouvait qu’exciter la curiosité. Comment un médiéviste, dont la nation n’a pas été impliquée dans cette campagne, allait-il se tirer du piège que constitue toujours un récit de la bataille de Waterloo – comme de n’importe quelle bataille sans doute ? L’auteur a pris le parti de raconter la bataille en partant des récits souvent inédits de participants appartenant aux diverses armées engagées dans cette bataille. Il cède donc à cette nouvelle mode qui consiste à raconter les batailles « à ras du sol » qu’a instaurée Keegan, dans « Anatomie de la bataille », notamment. Ce n’est finalement que continuer ce qu’avait fait H.T. Siborne quand, à la fin du 19e siècle, il publia les « Waterloo letters », constamment rééditée depuis. Mais Siborne ne publia que 503 lettres sur les 3 000 qu’avait reçue son père, William, lorsqu’il voulut représenter sur une maquette le « moment critique » de la bataille quand la moyenne garde monta à l’assaut de la ligne anglo-alliée, le 18 juin 1815 à 19.00 hrs. Mais tous ces témoignages provenaient exclusivement d’officiers britanniques et hanovriens encore survivant en 1834 – à l’exclusion notable des officiers belgo-néerlandais. Le duc de Wellington se montra extrêmement sceptique sur cette méthode, laissant entendre que la multiplication des témoignages entraînerait inévitablement des contradictions, d’autant que les fumées du champ de bataille rendaient l’action invisible par la plupart des participants. Lorsque William Siborne tira de ces lettres un ouvrage intitulé « Histoire de la campagne de France et de Belgique en 1815 », un officier de l’état-major néerlandais, le capitaine W.J. Knoop, écrivit en 1847 : « Nous croyons que d’une compilation des matières, fournies par chacun des témoins oculaires d’un grand événement, faite sans discernement, ne sortira le plus souvent qu’une image très informe ; mais ce dont nous doutons, c’est que ce soit là le chemin qui mène à la vérité. L’historien doit voir plus en grand, et vouloir former un tout du témoignage d’un grand nombre d’hommes, c’est risquer de ne produire qu’un exposé confus, contradictoire, infidèle des faits qui se sont passés ; parce que chacun des témoins se met trop en avant aux dépens de l’ensemble, et donne trop de poids aux choses dont il a été témoin, ou qu’il a vues de trop près. » C’était faire la critique de l’ouvrage de Barbero, un siècle et demi avant sa parution.
En effet, la compilation que nous donne Barbero est extrêmement documentaire, nous initiant notamment aux techniques de combat en 1815, lesquelles sont très loin des nôtres mais surtout de l’idée que nous nous en faisions. Par ailleurs, Barbero ne se contente pas de laisser parler les officiers, il écoute aussi le simple soldat. Mais le simple soldat, à son niveau, n’a pas bien compris tout ce qui se passait : il n’est pas plus renseigné que Fabrice del Dongo et l’auteur se laisse « piéger » par certains des témoignages qu’il a consultés ; il laisse passer de grosses erreurs qu’il ne corrige pas.
Ajoutons à cela que la juxtaposition de témoignages en style indirect finit par rendre la lecture assez indigeste. On finit par se perdre dans cette accumulation de données, d’autant que la traduction d’Elizabeth Auster est loin d’être impeccable : on y trouve à toutes les pages des tournures de phrases littéralement traduites de l’italien et incompréhensibles en français. Bref : un ouvrage indispensable pour l’initié mais que le simple amateur pourra oublier sans commettre un gros péché.