L'amour humain
de Andreï Makine

critiqué par Aaro-Benjamin G., le 25 novembre 2006
(Montréal - 55 ans)


La note:  étoiles
Un coup de poing
Avant ce roman, Makine m’avait séduit avec son lyrisme romantique et ses paysages de glace. Avec cet opus, c’est une rupture sans équivoque de cet univers. Nous sommes en Afrique lors d’un colloque sur le développement durable. Le narrateur partage ses souvenirs et nous fait part du parcours d’un jeune révolutionnaire angolais rencontré pendant une nuit de captivité.

La vie de cet homme consacrée aux idéaux communistes est surtout marquée par la violence. Entre les incursions des marxistes cubains et le fraternalisme russe implacable, l’Afrique devient un terrain de jeu morbide, témoin de toutes les ignominies. Toutefois, au milieu de l’apocalypse, l’amour survit.

L’écriture ciselée de Makine est particulièrement bouleversante lorsqu’elle décrit en détail les scènes atroces de guerres civiles. D’autant plus que l’intensité est soutenue du début à la fin sans nous laisser de répit. C’est un livre dur, très dur. Le titre trompeur ne nous prépare pas pour cette descente aux enfers, car si l’amour est un élément de ce récit, c’est le dégoût de l’humanité qui prédomine.

On connaît déjà les grands fléaux qui affligent l’Afrique. Le vol de ses richesses par des guérillas armées et l’exploitation de ses peuples. A cet égard, le roman n’apporte rien de nouveau. Sa force est de nous montrer un homme capable de conserver sa dignité quand tout autour plus rien ne l’y oblige.
Claivoyance 9 étoiles

Vingt-cinq ans après l’accession de l’Angola à l’indépendance et sa plongée dans la guerre civile, un homme, le narrateur, revient dans le pays où il a rencontré Elias Almeida, pendant l’enfer d’une nuit de captivité. Convié en tant qu’écrivain à un colloque sur le développement durable, il s’absorbe dans ses souvenirs, relatant le parcours de son ami, jeune Angolais idéaliste engagé dans l’insurrection du communisme.

L’histoire commence en 1979 dans un village angolais à la frontière du Zaïre. Depuis août 1975, la guerre fait rage entre les mouvements de libération qui se sont retrouvés dans un bref gouvernement de transition, après le départ des troupes de l’ancien colonisateur portugais. C’est ainsi que le MPLA marxiste d’Agostinho Neto s’affronte à l’UNITA de Jonas Sawimbi. Dans la pénombre d’une case, deux instructeurs soviétiques capturés par l’UNITA, attendent leur exécution. Le narrateur est l’un de ces deux hommes. Un troisième personnage gît à leurs côtés. D’entrée de jeu, l’Histoire s’installe sur le devant de la scène. Atroce, sans grand rapport avec les discours qui la théorisent. Ce sera le leitmotiv de ce roman. Le supplicié inerte vit encore. Au matin, avec ses deux compagnons, il est libéré par une unité cubaine engagée dans le conflit. Un solide lien d’amitié se tisse avec le narrateur, qui évoque maintenant la destinée de cet Angolais, Elias Almeida, né en 1950.

Il a onze ans au début des années soixante. Il vit dans la chaleur sensuelle et protectrice de sa mère, le père ayant pris le maquis. Il a entraperçu cette mère se prostituer pour le nourrir, puis être arrêtée par la police avant de revenir, clavicule cassée, corps broyé, mourante et bientôt morte. La scène de cet amour piétiné orientera sa vie pour toujours. Haine et révolte. L'enfant s'engage dans la Révolution, dans les guerres de libération africaines, côtoie Che Guevara et devient un redoutable agent militaire au service de l'Union soviétique. La Havane, Moscou, Zaïre, Somalie. On suit son destin tragique, de séances d'entraînement en coups de force, de coups d'état en coups fourrés. Sans illusion sur la cruauté humaine qui siège autant dans le camp des oppresseurs que des opprimés, il n'en continue pas moins de combattre sans relâche et avec héroïsme, y compris pour des causes perdues, même lorsqu’étant à Moscou, il vivra la mort de son président.

L'écriture s'engouffre dans le gouffre des révolutions, guerre froide, guerres civiles, dans les atrocités et absurdités de ce monde. Andreï Makine nous livre les images déroutantes d’une Afrique aux entrailles déchirées, aux membres dépecés entre tensions ethniques et idéologiques, morcelée par des combats que pilotent à distance les colosses de la guerre froide. Loin des ravages absurdes que provoquent l’affrontement des blocs, Cuba apparaît comme le pays de la mise en scène révolutionnaire où des idoles de carton pâte, montées sur de grands panneaux publicitaires, servent de décor à la harangue des orateurs.

Bachy - - 61 ans - 10 février 2007


Une surprise 8 étoiles

Un auteur découvert pour ma part, avec la lecture de "L'amour humain". Je n'ai pu me résoudre à écrire après l'avoir lu. "Besoin de quelques jours pour avaler tout ça" me suis-je dit, encore hébété. Oui, hébété, car lire ce livre avec le coeur ouvert, c'est accepter d'être touché, mais pas comme je le croyais au départ. Je me suis placé comme spectateur du beau, bien vite absorbé par la noirceur de l'Homme. Une suite d'images puissantes, placées avec justesse, soulèvent cette émotion en pics. Et c'est cette capacité de ramener une image très simple, mais si évocatrice, près de nous et qui contraste avec une grande bêtise humaine que l'auteur cherche à exprimer tout au long du roman. Un livre qui se déguste, qui m'a demandé un temps de réflexion pour que mon esprit assimile tout ce qu'on veut lui imposer. Un roman qui parle de communisme, de liberté, de mort et d'amour de l'humain. À lire.

Calepin - Québec - 43 ans - 11 décembre 2006