Petites équivoques sans importance
de Antonio Tabucchi

critiqué par Jlc, le 17 novembre 2006
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Géographie du souvenir
Ces récits ont été publiés il y a une vingtaine d’années sous le titre « Petits malentendus sans importance ». Ils reparaissent aujourd’hui dans une nouvelle traduction, Antonio Tabbuchi ayant souhaité un plus grand respect de l’expression linguistique originale. Et il est vrai qu’une équivoque –« ce qui peut s’interpréter en différents sens ou ce qui n’inspire pas confiance »- n’est pas un malentendu, « divergence d’interprétation entre personnes qui croyaient s’être bien entendues », dixit le Robert.
Or Antonio Tabucchi est un écrivain concis où chaque mot compte. Cette traduction de Bernard Comment est tout à fait réussie tant le style est soyeux, les mots choisis, la phrase souvent éblouissante telle cette « liberté belle et superflue comme un amour contrarié », les décors suggérés en quelques notations comme Lisbonne où « d’ici peu la hâte des derniers passagers sera engloutie par l’heure du soir et il ne restera que la nuit silencieuse », les moments d’exception comme « cette heure immobile qui n’est pas indiquée sur le cadran, et toutefois légère comme un soupir, rapide comme un coup d’œil ».

Tabucchi a dit, dans un entretien, être un écrivain qui travaille avec lui-même, tout seul. Il se décrit comme un voleur d’histoires, écoutant ici ou là celles des autres, imaginant des suites à ces morceaux d’histoires captées au hasard de rencontres. Et ce monde imaginaire inventé par ce faussaire qu’est tout écrivain nous renvoie, mais de façon décalée et donc d’autant plus authentique, à notre vie.Ces onze récits sont extrêmement divers comme l’est cet écrivain qui refuse toute classification artificielle, ce qu’il réserve à la bureaucratie de la littérature : poète, essayiste, romancier, notamment de polars, traducteur. Mais tous sont parcourus par l’équivoque, trompe l’œil ou illusion, une certaine manière de voir, de comprendre la vie. Bien sûr, ces équivoques ne sont pas sans importance mais déterminantes et dont la solution se trouve parfois dans le rêve, seule échappatoire à une vie ratée ou un destin brisé. Il est toujours trop tard, ces histoires, même écrites au présent, appartiennent au passé et composent « cette géographie du souvenir » dont parle Tabucchi.

J’ai particulièrement aimé « Rébus », récit d’un amour d’illusion et d’une escroquerie bien réelle autour d’une Bugatti filant entre la Riviera, Biarritz et l’Espagne, histoire où le rêve est, comme bien souvent, un refuge.
« En attendant l’hiver » est une féroce satire de l’Ecrivain, vénéré, statufié, arrogant. Cet homme meurt, son éditeur se prosterne aux pieds de sa veuve pour publier les œuvres complètes du maître. Et que croyez vous que fit la veuve avec une délectation ironique ? Cette histoire aurait été suggérée à l’auteur par sa femme, ce qui pourrait être bien inquiétant si ce n’était une autre ironie.
« Anywhere out of the world » raconte superbement la fin ( ?) étrange d’un amour lui aussi bien étrange dans un étrange Lisbonne « paysage fait avec la lumière et le minéral, et le liquide pour les réfléchir ».
Il y a aussi l’évocation de ce gardien de prison qui, le jour de sa retraite, commet sa première « infraction au règlement », moment d’évasion, de liberté suffoquée. Toutes ces histoires méritent d’être lues, relues, savourées car, chez Tabucchi, comme souvent chez les très grands écrivains, il faut savoir lire entre et au-delà des lignes.

Ces histoires sont des instantanés, révélateurs de ce moment où tout s’est joué sur un rien, sans qu’on le comprenne bien, immédiatement. Ces tout petits détails qui font toute la différence, ces quelques secondes de hasard, ces mots voilés, ces regards qui se croisent comme les fils d’un tissu, ces rencontres à la frontière de l’imaginaire décident de toute une vie qui n’est rien d’autre qu’un « rendez-vous [dont] nous ne connaissons jamais le quand, le qui, le comment, le où ».

Hasard ou nécessité, souvenir et oubli, passé et présent, vérité ou illusion, doute et contradiction, vanité et vacuité, ironie et rêve font de ces récits un très beau livre, superbement écrit, important et que j’aime sans équivoque aucune.
Finesse et malentendus 9 étoiles

Ces équivoques prennent la forme d'escapades commandées et guidées par le hasard, qui crée des rencontres impromptues, fait réagir les personnages sur des malentendus, hiatus. L'atmosphère est tissée d'un halo de mystère et d'élégance feutrée, qui n'a pas été sans me séduire.
La lectrice et le lecteur se prêtent à s'interroger sur les causes et effets de ces rencontres, sur leurs issues. Les intrigues sont filées de manière assez ouvertes. Il est donc loisible de se laisser aller à son instinct, pour en imaginer davantage, ce qui n'est pas dénué de charme. Laissez-vous tenter.

Dans la collection Folio - bilingue, trois de ces nouvelles sont présentées, dans un volume intitulé Cinéma et autres nouvelles, présentant en vis-à-vis le texte original et sa traduction, du même Bernard Comment. Voilà de quoi travailler son italien de manière motivante.

Ce livre est donc à conseiller.

Veneziano - Paris - 46 ans - 4 août 2015