Oeil-de-Serpent
de Rosamond Smith

critiqué par Montgomery, le 11 novembre 2006
(Auxerre - 52 ans)


La note:  étoiles
La forme peut bien changer, le fond reste le même
Présenté dans la préface comme un thriller écrit par l’un des plus grands écrivains américains contemporains, ce roman constitue un véritable « iceberg littéraire » avec une face émergée et une face immergée.

La face émergée d’abord. Il s’agit d’un thriller qui narre les efforts déployés par Michaël O’Meara, juriste dans un laboratoire pharmaceutique, pour sauver la tête d’un condamné à mort, Lee Roy Sears. Il y parviendra et prendra celui-ci sous son aile à sa sortie de prison, en lui permettant notamment de devenir professeur d’art-thérapie dans un centre communautaire. Malgré les risques évidents que cela comporte, il recevra même Sears dans son intimité afin de lui montrer comment vit une famille américaine normale. Extrêmement reconnaissant au début envers O’Meara, Lee Roy Sears en vient petit à petit à se retourner contre son bienfaiteur en l’accusant de ne pas l’avoir suffisamment soutenu lors de ses démêlés avec les responsables du centre.
C’est un bon thriller, le dénouement se dessine progressivement sous la plume de Smith : difficile de ne pas être triste pour O’Meara dont on pressent que la bonne volonté aboutira exactement au résultat inverse à celui escompté.


Côté pile ensuite. Derrière le pseudo de Rosamond Smith se cache en effet une très grande romancière américaine puisqu’il s’agit de Joyce Carol Oates. Surtout derrière le thriller se dégage une critique sévère de la société américaine: une des spécialités, sinon la spécialité, de la romancière.
Le personnage de Gina, l’épouse de Michaël, aussi belle que superficielle, qui place « sa confiance dans une litanie de noms : Gucci, Dior, Klein, Saint Laurent, Christian Lacroix, Borgese, Lancôme, Estée Lauder… » incarne ce que la société a de plus hypocrite et méprisable. Elle s’inscrit ainsi à rebours de son mari, un homme honnête rongé par un mystérieux sentiment de culpabilité, ou de Lee Roy Sears, ancien du Vietnam et, à ce titre, archétype de la victime d’une société qui assimile sans états d’âme l’être humain à un vulgaire kleenex.

On retrouve également le thème de la critique du système judiciaire américain et son corollaire, la vengeance privée, développé dans l’excellent dernier livre de J-C Oates publié en français « Viol / Une histoire d’amour ».

En résumé, je dirais qu’avant d’être un thriller ce livre est d’abord un roman de Joyce Carol Oates.