Bourlinguer
de Blaise Cendrars

critiqué par DomPerro, le 3 novembre 2006
( - - ans)


La note:  étoiles
Voyageur spirituel
L’extrait de la quatrième de couverture m’a tout de suite séduit. Comment peut-on rester insensible devant Rij ''une pouffiasse, une femme-tonneau qui devait peser dans les 110, les 120 kilos. Je n’ai jamais vu, écrit Cendrars, un tel monument de chairs croulantes, débordantes. Elle passait sa journée et sa nuitée dans un fauteuil capitonné, fabriqué spécialement pour elle et qu’elle ne cessait d’ornementer, d’enrubanner, lui tressant des faveurs, des nœuds, des lacets d’or et d’argent…''

Bourlinguer est le premier roman que j’ai lu de Cendrars. Et personne n’oublie jamais sa première fois. Un véritable coup de cœur !

Page couverture reprenant une toile de Fernand Léger, ami de Cendrars. Chaque chapitre porte le nom d’un port. Et les dédicaces fusent dans tous les sens : T’Serstevens, Picasso, John Dos Passos ou Henry Miller. Aussi, l’auteur termine chaque chapitre par ses notes destinées au Lecteur inconnu, une délicatesse qui permet de bien situer tout ce que raconte Cendrars : Une partie de son enfance à Naples, la mort tragique d’Elena, le tombeau de Virgile, sa passion pour le dressage des escargots, ses études en médecine, Picasso, Gustave Le Rouge, Rémy de Gourmont, Max Jacob ou Apollinaire.

''Écrire n’est pas mon ambition, mais vivre. J’ai vécu. Maintenant j’écris. Mais je ne suis pas un pharisien qui se bat la poitrine parce qu’il se met dans un livre. Je m’y mets avec les autres et au même titre que les autres. Un livre aussi c’est la vie. Je ne suis qu’un con. Et la vie continue. Et la vie recommence. Et la vie entraîne tout. Je voudrais savoir qui je suis ?''

''Un reporteur de Dieu'', lui répondrait Paul Morand.

Bourlinguer est un grouillement vivant de la condition humaine de cinq cents pages !
Blaise Cendrars, un chapitre dans chaque port 10 étoiles

Troisième volet de ses "Mémoires qui n'en sont pas vraiment" (dixit lui-même), "Bourlinguer", quel chouette titre qui sent bon les embruns, fait suite au grandiose "L'Homme Foudroyé" dans lequel Cendrars nous emmenait notamment dans le Marseille des années et l'univers des Gitans de la banlieue parisienne, et au grandiose "La Main coupée", dans lequel il nous embarquait au coeur de la Grande Guerre, dans son unité de la Légion Etrangère au sein de laquelle il a combattu (et perdu son bras d'écrivain, pas glop).
Avec "Bourlinguer", on se retrouve avec un livre curieux et, autant utiliser pour la troisième fois le même terme, grandiose.
11 chapitres nommés du noms de ports ("Anvers", "Rotterdam", "Venise"...), qui ne se passent pas forcément dans ces ports même si, la plupart du temps, quand même, si, 11 chapitres se passant à diverses périodes de la vie de Cendrars, mais en grande partie avant la Première guerre mondiale, donc le bonhomme nous offre ses mémoires à rebours.
Aucun inconvénient à ça, son écriture hallucinée et son sens du partage des émotions étant tel qu'il pourrait s'emmêler les pinceaux comme un vieil oncle alzheimerisé que l'on suivrait quand même le fil entortillé de ses souvenirs avec passion.

Il faut dire ce qui est, "Bourlinguer" fait fort : Cendrars avait le chic pour les longues phrases (que l'on suit sans soucis, cependant, sans perdre le fil, tiens, encore un fil, après celui qui achevait le précédent paragraphe de ma critique, c'est une manie), et ici, on en trouve quelques-unes de vraiment épatantes, et ce, dès le premier chapitre, "Venise". Certaines phrases, ici, font une, voire deux, voire trois pages entières, et par conséquent, occupent à elles seules l'intégralité d'un paragraphe tellement long qu'il prend une, voire deux, voire trois pages entières. Proustien. Mais malgré tout, fluide. Cendrars avait vraiment du génie pour ça. Avec "Bourlinguer", vraiment, il fait fort.
La longueur des chapitres est très aléatoire : une page pour deux chapitres ("Toulon", notamment), 130 pages pour le dernier chapitre, "Paris Bord-de-Mer", dédié à la lecture et à des souvenirs...sud-américains), et 200 petites pages pour l'immense "Gênes", dans lequel Cendrars nous offre un gros moment de souvenirs d'enfance, non pas à Gênes, mais à Naples, des souvenirs pas forcément très joyeux, et ce, entre une promenade dans Naples et une virée à bord d'un bateau de contrebandiers, vers Gênes.
Dans "Rotterdam", il nous offre une séquence de baston anthologique dans un bar à matafs. Dans "Anvers", il va voir les putes (dont Rij, décrite dans la critique principale sur CL, via une citation du livre). Dans "Hambourg", il nous narre un morceau de vie pendant l'Occupation, à Paris, où il apprend le bombardement de la ville allemande qu'il connaît bien. Dans "Bordeaux", il se retrouve à embarquer sur un navire, avec une mallette remplie de pognon en liquide (une "grosse galette")...
Très décousu, "Bourlinguer" est un chef d'oeuvre à lire absolument, mais la longueur de plusieurs des phrases pourra sembler éreintante à certains. A force de lire Cendrars, on s'y fait très bien.

Bookivore - MENUCOURT - 41 ans - 7 juillet 2021


Qualité littéraire 7 étoiles

Malgré d'évidentes qualités littéraires, je ne suis jamais réellement parvenu à rentrer dans ce livre qui sort de l'ordinaire. Récit autobiographique bien sûr mais on sent que les événements ont été transformés, manipulés, enjolivés ou parfois rendus plus tragiques pour permettre à l'écrivain d'en faire un livre.
Et cependant, je ne me suis intéressé que de façon lointaines à ces péripéties... trop de digressions, d'images, trop foisonnant, trop classique parfois tout en employant un langage contemporain. Structure atypique. A noter toutefois le dernier chapitre, Paris Port-de mer consacré à l'exercice de la lecture et ses rencontre avec des amoureux des livres, tout à fait passionnant.

Ces petits récits, allant de deux pages à plusieurs dizaines relatent des anecdotes de la vie de l'auteur, Blaise Cendrars qui, c'est le moins que l'on puisse dire, n'a pas eu une vie ordinaire. Il a fait tous les métiers, à rencontrer les plus grands artistes de son temps, était leur égal alors.. .il a été un peu oublié par son public, et même si son oeuvre sort désormais en Pléiade, il ne demeure une référence que pour les vrais amateurs de littérature.

Ce livre, si particulier, n'est sans doute pas la meilleure approche pour démarrer l'exploration de Blaise Cendrars, je lirai sans doute des romans plus connus comme Moravagine (la lecture de l'Or remontant désormais à trop d'années).

Vince92 - Zürich - 46 ans - 12 septembre 2013


Vivez donc, et qu'importe la suite! 8 étoiles

Bourlinguer est à la fois une oeuvre autobiographique, un recueil de nouvelles, un récit de voyage et une oeuvre philosophique. La philosophie de Blaise Cendrars est assez simple à exprimer - insouciance, vagabondage, absence du sens de la propriété... - et en même temps a été pour lui une source inépuisable d'enrichissement personnel. "N'ayez pas de remords, vous n'êtes pas Juge."
Blaise a bourlingué un peu partout dans le monde et chaque port est l'occasion pour lui de nous livrer des anecdotes amusantes et des pensées pertinentes sur le monde moderne. On y rencontre des hommes et des femmes qui ont compté dans sa vie, connus (Picasso, Modigliani...) ou pas.
Je n'ai pas trouvé la lecture aisée. Il faut évidemment se laisser bercer par la verve et la poésie ahurissantes de Cendrars mais l'imaginaire et le réel sont mêlés de façon si inextricable qu'un effort est demandé au lecteur. Les phrases sont longues et semées de descriptions très détaillées (par trop parfois à mon goût), quasi chirurgicales.
Mais l'aventure, la découverte, l'exaltation de la vie sont si fortes qu'on oublie vite cet effort pour ne retenir que le plaisir du partage d'une vie passionnante dans laquelle seule l'action n'a de sens.
"L'homme n'a qu'un choix: vivre!"

Cyrus - Courbevoie - 47 ans - 17 novembre 2008