L'étrange destin de Wangrin
de Amadou Hampâté Bâ

critiqué par Oxymore, le 25 octobre 2006
(Nantes - 52 ans)


La note:  étoiles
Wangrin ou le scapin au service de l'humilité et de la ruse
Je découvre avec ce livre la littérature africaine et ce fut un vrai régal. Hampaté Bâ avait fait la promesse à Wangrin de raconter son histoire, ce qu'il a fait avec brio à mon goût.
Wangrin est donc ce héros pas tout à fait ordinaire, issu de la tribu Bambara et né à Noubigou au début des années 1900; il fut envoyé très vite à "l'école des otages" (école où les autorités françaises réquisitionnaient tous les fils de notables). Avec le rite de circoncision, Wangrin décida de prendre comme Dieu-protecteur Gongoloma Soké qui, comme bien des hommes, réunissait en lui à la fois qualités et défauts. Pétri de contradictions, Wangrin était à l'image de son dieu-protecteur un véritable "confluent des contraires".

Très vite Wangrin va s'avérer aussi rusé qu'intelligent et mettre ses talents à profit afin de dépouiller les riches colons français installés à Dakar, Yagouwahi, Dioussola et autres comptoirs d'afrique de l'Ouest. Moins vénal que généreux, la vie de Wangrin sera une comédie qui verra notre tendre héros aider les siens en usant de ruses aussi ingénieuses qu'un Scapin, d'entourloupes plus joyeuses qu'un Arlequin. Wangrin cherchera toujours à donner sans jamais vouloir recevoir et c'est ce qui le rendra le plus attachant.
Aimé de tous les siens, pauvres, aveugles, malades, Wangrin trouvera des ennemis en Romo Sibedi ou le comte de Villermoz notamment dont il se servira pour enrichir son commerce florissant et donner toujours plus aux siens dont la superbe belle-bichette.
Mais comme toujours le soleil finit par se coucher et la bonne fortune n'est jamais fidèle à Wangrin comme à tous; c'est une partie d'échecs et la philosophie d'un livre vraiment agréable et bourré d'allégories africaines, d'adages de sorciers, de gris-gris de marabouts et de rites colorés qui chantent l'Afrique.

Hampaté Bâ dans sa post-face nous précise que rien n'est ajouté dans ce livre, il y a référencé ici tous les dires d'un Wangrin qui s'est dévoilé à lui en toute sincérité, même et surtout quand il fallait avouer le moins avouable.
L’Afrique coloniale 6 étoiles

Wangrin a (réellement ?) vécu dans l’Afrique francophone où son intelligence lui a permis d’accéder au plus haut niveau d’éducation et de poste permis sous l’administration coloniale. Mais son intelligence, il l’a aussi mise à profit pour monter des arnaques, combines et astuces en tous genres, s’enrichir, se venger et prospérer aux dépens des colons français, mais aussi souvent de ses semblables. Un mélange de Scapin, d’Arsène Lupin et de Till Eulenspiegel à qui la chance prête main-forte de façon éhontée, jusqu’au jour où, sur le déclin, sa chance tourne.
On hésite entre détester le personnage pour son ambition sournoise, l’admirer pour son ingéniosité et lui reconnaître une certaine générosité, même si elle ne s’exerce qu’au profit de ses obligés, dans une pure logique clientéliste.
C’est plaisant, distrayant, instructif sur la période et le fonctionnement de l’Afrique coloniale.

Romur - Viroflay - 51 ans - 1 mars 2015


Au temps béni des colonies 10 étoiles

Il était une fois.
Amadou Hampaté Bâ est l'auteur malien par excellence. D'origine peule, il est né à Bandiagara au pays Dogon avec le début du siècle et il s'éteindra un peu avant lui.
Ethnologue et écrivain reconnu, il prononcera à l'Unesco cette phrase restée célèbre : "En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle."
Avec L'étrange destin de Wangrin il a recueilli puis mis sur le papier les mémoires de cet étrange Wangrin, personnage réel mais ô combien insaisissable, dans tous les sens du terme.
Interprète officiel des gouverneurs (du temps où l'AOF recouvrait le Mali, le Sénégal et d'autres colonies françaises), il aura consacré sa vie à monter des arnaques en tout genre, grugeant indifféremment ses compatriotes et les colons français, aux seules fins de s'enrichir et d'asseoir son influence.
Si la concussion, la malversation et la prévarication étaient des disciplines olympiques, nul doute que le sieur Wangrin aurait réussit le grand chelem sans forcer.
Drôle d'idée donc que de brosser ainsi le portrait d'un noir a priori peu sympathique ... mais dont on ne peut s'empêcher de suivre avec intérêt les aventures abracadabrantes (et pourtant bien réelles, Hampaté Bâ nous l'a dit), racontées au rythme des contes et légendes de la brousse mais avec un suspense digne d'un polar.
Il faut dire que les crimes perpétrés par l'infâme Wangrin ne sont jamais bien graves : il ne s'agit, après tout, que de trafics et d'argent, de l'argent des colons français venus s'enrichir en Afrique, juste retour de manivelle.
Et puis Wangrin se montre un étonnant connaisseur des ressorts de l'âme humaine, jaugeant précisément ses interlocuteurs, trouvant habilement leurs points faibles.
Enfin, tout cela est mené de main de maître es arnaque, au nez et à la barbe des gouverneurs français, roulés dans la farine de mil.
Il faut dire que Wangrin a été à bonne école : l'école des otages, comme on l'appelait alors, lorsque les colons réquisitionnaient de force les fils des notables de la brousse pour les avoir sous la main dans des écoles éloignées et ainsi s'assurer de la fidélité de leurs vassaux.
L'école des colons blancs coiffés du casque colonial :

[...] Cette coiffure ridicule ne faisait pourtant rire personne. Bien au contraire elle inspirait la peur. C'était en effet la coiffure officielle et réglementaire des Blancs, ces fils de démons venus de l'autre rive du grand lac salé [...] C'était un emblème de noblesse qui donnait gratuitement droit au gîte, à la nourriture, aux pots-de-vin et, si le coeur en disait, aux jouvencelles aux formes proportionnées pour les plaisirs de la nuit.

Finalement, dans ce monde peu sympathique (c'est l'époque de la Grande Guerre), Wangrin nous apparaît plutôt humain et passe presque pour une sorte de Robin des Bois de baobabs, un Robin des Bois qui volait beaucoup les riches et donnait un peu aux pauvres et qui, comme la charité bien ordonnée, commençait par se servir lui-même.
Les histoires d'argent comme les histoires d'amour finissent mal, en général, et l'on se prend à la fin de ces aventures truculentes, à regretter ce trouble personnage, l'écriture impeccable d'Hampaté Bâ et le rythme répétitif des contes de la brousse ...

BMR & MAM - Paris - 64 ans - 4 mars 2010