Ghost World
de Daniel Clowes

critiqué par DomPerro, le 23 octobre 2006
( - - ans)


La note:  étoiles
Inhabiter le monde adulte
Ce n’est pas tout le monde qui aimera Ghost World, une bande dessinée de Daniel Clowes, car s’il s’agit moins d’une histoire racontée que d’une ambiance où règnent dans toutes leurs splendeurs le sarcasme et le mystère. Voilà pourquoi il est si délicat d’en parler.

Comme si tout cela existait à peine.

Illustrateur pour le Village Voice et le New Yorker, le nom de Daniel Clowes est aussi associé au cinéma où il a récemment signé le scénario de Art School Confidential, film réalisé par Terry Zwigoff, en 2006, ainsi que Bad Santa, trois ans plutôt. L’humour glauque et crade de Clowes peut se rapprocher de Douglas Coupland (Génération X) ou de Bret Easton Ellis (Moins que zéro).

Fin de l’année scolaire, deux adolescentes atypiques, Enid et Rebecca, ne veulent rien d’autre que partager un appartement en ville, loin des pauvres tarés de leur lycée. Malheureusement, Enid, qui est plus radicale et dramatique, se lie d’amitié avec Seymour, un homme plus âgé et un peu étrange qui n’a d’intérêt que pour son impressionnante collection de vinyles.

Cette BD expose huit histoires indépendantes d’Enid et Rebecca qui tentent en vain d’extraire une certaine poésie, quoique fragile, de leur quotidien morne. Chaque fin de chapitre s’ouvre sur une mélancolie de plus en plus inquiétante. Ainsi, plus la lecture avance, plus il y a un détachement, une errance vers un ailleurs… mais lequel ? Peut-être la lente déchirure entre l’adolescence et l’âge de raison, c’est-à-dire un moment douloureux où l’on est contraint d’admettre que les apparences dominent à l’intérieur d’un Ghost World. Et ce monde fantôme semble impossible à habiter, surtout pour Enid qui est beaucoup plus négative que son amie.

Le dessin de Clowes se caractérise par son équilibre flou entre le réalisme et le grotesque, aux couleurs en bichromie, en pastel et à ces attachantes figures déformées par l’absurdité ou par l’angoisse. Malgré son esprit mal tourné qui se refuse à toutes formes de bonheur normal et viable, Ghost World vous hantera longtemps après l’avoir lue.

N.B. Notez que vous pouvez également voir l’adaptation cinématographique de Ghost World, réalisé par T.Zwigoff, mettant en vedette Thora Birch et Scarlett Johansson.
Me rappelle des souvenirs 8 étoiles

Ghost World est une amusante (?) incursion dans l'univers de deux adolescentes cyniques, Enid et Rebecca, récemment graduée. J’ai accroché dès les premières lignes :

« Enid : Why do you have this?
Rebecca : What?
Enid : I hate this fucking magazine! These stupid girls think they’re so hip, but they’re just a bunch of trendy stuck-up prep-school bitches who think they’re "cutting edge" because they know who "Sonic Youth" is!
Rebecca : You’re a stuck-up prep-school bitch! »

C’est tellement moi dans les années 90 avec ma meilleure amie! Enfin, je n'étais pas aussi extrême que Enid, mais je me suis vraiment retrouvée dans le personnage. Les dessins et les textes de Daniel Clowes sont simples et efficaces.

« Josh: Aren’t there hundreds of places like this?
Enid : Not hardly! This is the Mona Lisa of bad, fake diners! »

« Enid (revisitant un parc historique qu’elle était allée dans son enfance) : God. I’m having a semi-religious experience! »

« Enid : Even if you just want something like a totally normal pair of shoes, it’s impossible! I’d pay like a million dollars for just a normal pair of black shoes! »

« Enid : God. I got into this big argument with John Ellis yesterday… […] He always accuses me of trying to look ‘cool’... I was like, "Everybody tries to look cool, I just happen to be successful..." What, does he thinks that most people are trying to look bad? »

J’ai lu la bande dessinée après avoir visionné le film avec Thora Birch et Scarlett Johansson. Il y a plusieurs différences, mais j’ai apprécié les deux.

Dans le genre « adolescents révoltés contre le monde entier », cette bande dessinée m’a fait beaucoup penser à L'attrape-coeurs de J. D. Salinger, un livre que j’ai beaucoup aimé aussi, même si la traduction semblait laisser à désirer. Pour Ghost World, je l’ai lu en anglais, mais je compte bientôt lire la traduction française pour voir. C’est une bande dessinée un peu dérangeante et pessimiste, mais ça a été un bon moment de lecture.

Nance - - - ans - 23 août 2008