L'histoire de Chicago May
de Nuala O'Faolain

critiqué par Sahkti, le 11 octobre 2006
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
De l'Irlande à la grosse pomme
Chicago May... Une jeune femme irlandaise fauchée et paumée, qui quitte son île natale. Destination New York. C'est la démesure totale. Déjà rien qu'à bord du bateau l'emportant vers ce qu'elle espère être un Eldorado. Chicago May, c'est May Duignan, personnage réel fuyant Edenmore en 1890 à cause d'un vol et de la misère pour se réfugier dans Big Apple.
Arrivée sur place, elle se transforme en criminelle professionnelle, mais aussi en fille de joie et en danseuse. Chicago May, c'est un personnage aux mille facettes, assez attachante, capable de se faire aimer et détester à la fois. Elle a rédigé ses mémoires en 1928, un an avant sa mort, sous le pseudo de Mary Churchill Sharpe, un de ses noms d'emprunt. Des mémoires qui ont bien inspiré Nuala O'Faolain, une autre irlandaise exilée en terre américaine. La biographie est soignée, détaillée, emplie d'affection et de respect. L'auteur s'est documentée sur son sujet et petit à petit, l'empathie a gagné du terrain, ça se lit, ça se sent.
Chicago May a parcouru une partie de l'Europe et des Etats-Unis, Nuala O'Faolain nous invite sur ses traces. On refait le voyage, on tente de timides incursions dans la tête de la fougueuse mercenaire, on côtoie la prison, les maisons closes, les ruelles sordides, les bras aimants et les soirées de fête.
A l'aide de nombreuses recherches (un formidable travail!), l'auteur rend vie à May Duignan. Avec beaucoup de sensibilité et sans jamais porter de jugement sur sa personne ou ses actes. Ajoutons à cela le plaisir de lire quelques témoignages personnels de Nuala O'Faolain sur le travail fourni, sur ses impressions, sur la prison ou les maisons de plaisir et tout y est (même si je déplore un peu que ces appartés de l'auteur brisent le rythme des aventures de son héroïne). Pour faire de cet ouvrage une biographie ouverte et humaine, des lignes vivantes, non figées. Ce qui est toujours bienvenu dans un tel domaine.
Fortune et déchéance d'une aventurière 8 étoiles

Dans ce roman, Nuala O’Faolain raconte l’histoire de sa compatriote Chicago May, la célèbre aventurière, prostituée, détrousseuse, voleuse, arnaqueuse, …, après avoir lu sa biographie écrite par James MacNermey, et l’autobiographie rédigée par May Duignan, nom de naissance de Chicago May, elle-même. L’une étant écrite franchement à charge, l’autre étant très subjective, il était nécessaire pour Nuala de faire revivre cette héroïne sous son vrai visage, dans ses véritables forfaits et à travers ses authentiques aventures. Née à Edenmore, May fuit sa famille et son pays en emportant les économies du foyer, pendant que sa mère accouche de son cinquième enfant. Peut-être qu’elle ne voulait pas élever un bébé supplémentaire pendant que sa mère travaillait à la maison et à la ferme. Avec une bourse bien garnie, elle voyage en première classe, loge à Manhattan mais doit bientôt rejoindre un oncle dans le Nebraska où elle rencontre un hors-la-loi qu’elle épouse et accompagne dans ses mauvais coups. A cette époque, elle croise des bandits devenus légendaires dans le Far West comme les frères Dalton. Après que son mari est lynché lors d’un hold-up ayant mal tourné, elle se réfugie à Chicago pendant l’exposition de 1901, l’époque des célèbres gangs, où elle gagne son pseudonyme, découvre la prostitution et l’escroquerie des « pigeons » qui succombent à son charme.

Sous la pression de la police, de l’Agence Pinkerton, d’autres voyous, elle change souvent de résidence, de quartier, de ville, de pays et même de continent. Elle entreprend un long pèlerinage en commençant par New-York où elle connait la misère et une certaine forme de gloire en intégrant la troupe d’une revue. Elle voyage à travers le monde de la voyoucratie, tisse sa légende en volant, escroquant, détroussant, vendant ses charmes. Elle appartient à la corporation des voyous qui ont contribué à la légende de la conquête de l’Amérique. Elle a connu le grand banditisme, mais n’a fréquenté que les voleurs et les arnaqueurs, ceux qui n’avaient aucun scrupule pour s’enrichir rapidement sur le dos des moins vigilants. Ceux qui aujourd’hui encore ont besoin d’une arme pour se rassurer et votent pour des candidats pas toujours très recommandables.

Nuala O’Faloain coule la légende de Chicago Mays dans le moule corporel de cette fière irlandaise, elle donne chair et esprit à cette aventurière qui n’a jamais pu s’installer, a continuellement couru après les quelques dollars, livres, francs, qu’elle dépensait encore plus vite qu’elle les avait gagnés. Ce roman, c’est une page de l’histoire du banditisme international au temps de la naissance de l’Amérique, des Dalton, de Chicago à l’époque des gangs, de New-York au moment où la ville explose, des bordels du Caire et d’Alexandrie, des maisons closes de Londres et Paris et d’autres lieux mythiques encore…

Ce livre c’est aussi, un peu, un essai, une étude historique et sociologique, d’une population déracinée composée surtout d’Irlandais fuyant leur terre martyrisée par les Anglais. Une population évoluant dans la misère ou le luxe, quittant un taudis pour rejoindre un palace avant de finir en prison ou au bagne, vivant dans la plus grand dénuement dans des lieux sordides avant de se vautrer dans l’opulence et de retomber tout aussi vite dans la déchéance la plus misérable. Une population fière et hardie, aventureuse vivant au jour le jour en affichant avec arrogance un prestige et une fortune qu’elle n’avait pas.

Nuala n’aime pas cette population incapable de prévoir son avenir, mais elle en a pitié et éprouve pour elle une certaine compassion. Chicago May l’agace, c’est évident, mais elle voit en elle de nombreuses filles d’Erin obligées de quitter leur île en espérant trouver une vie possible et digne ailleurs et cet ailleurs c’est d’abord l’Amérique avec ses grands espaces qui s’ouvrent largement aux aventuriers courageux et aux téméraires. Elle laisse transparaître une véritable empathie pour cette fille à la recherche perpétuelle d’une vie stable qu’elle est incapable de mener. Son texte oscille sans cesse entre fascination et compassion, comme si elle regrettait que cette fière fille d’Irlande n’ait pas su utiliser sa forte personnalité pour imposer son choix de vie aux lâches qui l’ont exploitée, pour canaliser son énorme énergie, pour se garder des malfaisants, pour vivre un peu moins dans le présent pour anticiper un peu plus l’avenir. Nuala n’arrive pas à cacher tout ce que May évoque pour elle, tout ce qu’elle remue en elle, … et finalement elle rejoint James MacNermey quand il refuse de masquer la vérité tout autant que d’accabler la pécheresse :

« L’approche la plus charitable du sujet est peut-être de murmurer une prière pour elle et de ne pas la juger ». Ainsi soit-il !

Débézed - Besançon - 77 ans - 13 mai 2020


Prix Femina étranger 2006 7 étoiles

En 1890, May Duignan est une jeune fille irlandaise de 19 ans qui s'enfuit de chez elle la nuit où sa mère donna naissance à son cinquième enfant. Avant de quitter l'Irlande rurale pour rejoindre l'Amérique, elle n'hésite pas à voler les maigres économies de sa famille. Comment une jeune femme peut-elle survivre seule en Amérique à cette époque ? May, belle jeune femme séduisante aux yeux bleus et à la chevelure rousse, n'a que peu de choix pour survivre. De ce fait, elle connaîtra rapidement une vie de scandales et de crimes, en devenant peu à peu la criminelle célèbre sous le nom de Chicago May. Comme cela se faisait souvent à l'époque, May publiera elle-même ses propres mémoires de "criminelle" vers 1920.

C'est à partir de ce matériau que Nuala O'Faolain va se mettre sur les traces de Chicago May. Elle va également visiter les lieux où elle a vécu, compulser des documents d'époque (notamment sur les milieux du crime au début du XXe siècle), des dessins, des articles de journaux, des notes, des photos…

Nuala O'Faolain se définit également dans ces termes «J'étais une pas-grand-chose issue d'une lignée de pas-grand-chose, de ceux qui ne laissent pas de traces. Dans un pays catholique et conservateur, qui avait peur de la sexualité et qui m'interdisait même d'avoir des informations sur mon corps, je pouvais m'attendre à rencontrer les pires difficultés.».

Deux femmes venues de rien, deux femmes exilées aux Etats-Unis, deux femmes en quête de liberté mais également en souffrance, Nuala O'Faolain ne pouvait que se sentir très proche de May Duignan : “Il y a sa vie en moi” nous confiera-t-elle.

Nous accompagnons donc ces deux femmes tout au long de ce récit : deux femmes qui savent ce qu'elles veulent mais qui connaîtront également le prix à payer pour y parvenir.

Sentinelle - Bruxelles - 54 ans - 29 décembre 2007


Un livre écrit au féminin 9 étoiles

L'histoire de Chicago May c'est une histoire vraie, celle des émigrants irlandais en Amérique, poussés à l'exil par la famine et leurs voisins anglais.
C'est aussi l'histoire, à la charnière du siècle, d'un Far-West finissant et d'une Amérique des villes naissante : Chicago, New-York, Detroit, ... avec leur cortège de misère, chômage, prostitution, drogues, banditisme, ...
L'auteure, Nuala O'Faolain, est femme et irlandaise : c'est à ce double titre qu'elle entreprend de revisiter la biographie de May Duignan, dite Chicago May.
Avec une écriture simple et rigoureuse qui prend toujours soin de distinguer les faits avérés et vérifiés des actes prêtés ou imaginés, soit par elle-même soit par les journalistes et écrivains de l'époque.
Ce qui fait tout l'intérêt de ce bouquin, c'est précisément le mélange, l'intrication entre le récit biographique des aventures de Chicago May (de Chicago à Rio en passant par Londres, Le Caire ou Paris) et les interrogations, digressions, hésitations, de sa biographe qui explore les rares matériaux encore à disposition de l'enquête.
L'histoire de Chicago May en cache donc une autre : celle de la quête de Nuala O'Faolain.
Une quête à la recherche de la personnalité de May Duignan, la femme qui se cache derrière ce « personnage » qu'est Chicago May.
La quête également de la compréhension des conditions qui sont à cette époque celles de ces émigrants irlandais en quête d'un monde sinon meilleur, peut-être moins pire que l'île qu'ils ont été forcés de quitter.
Les conditions des femmes, surtout, qu'un double ostracisme exclut deux fois de la société : parce que ce sont des irlandaises dans un monde dominé par les protestants anglais et parce que ce ne sont que des femmes dans un monde gouverné par les hommes (c'est aussi l'époque des suffragettes).
On en apprendra finalement assez peu sur cette figure de la pègre que fut Chicago May, qui gardera une grande part de son mystère mais on s'instruira beaucoup sur l'histoire sociale de la naissance du siècle (enfin, du siècle précédent, doit-on dire désormais).
Un livre écrit au féminin.

BMR & MAM - Paris - 64 ans - 22 août 2007


La mauvaise femme heureuse 9 étoiles

Il est surprenant de constater tout le travail que peut nécessiter une telle entreprise. O'Faolain a traversé l'océan pour aller lire la seule copie disponible de l'autobiographie de May et a cueilli tant bien que mal des informations un peu partout, sans toutefois être assurée de leur exactitude. Les deux ouvrages qu'elle a le plus consultés (l'autobiographie de May et celle de son ancien mari, Eddie Guérin) se contredisent régulièrement et May, un minimum soucieuse, s'est rarement faite photographier, sans compter le nombre incalculable de pseudonymes qu'elle a utilisés tout au long de sa vie.

Il en résulte une biographie subjective et émotive. Puisque May a exclu en grande partie les sentiments de son autobiographie, O'Faolain s'est prêtée à l'exercice en imaginant sa condition de femme criminelle au début du siècle. Les nombreux point en commun qu'on le sujet et l'auteur font de ce livre une oeuvre particulière, située quelque part entre le livre historique, la biographie romancée et le récit personnel.

Un livre unique, captivant, et triste.

Grass - montréal - 47 ans - 27 avril 2007