Frère du précédent
de Jean-Bertrand Pontalis

critiqué par Jlc, le 18 septembre 2006
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Fraternité ou "frérocité"?
JB Pontalis qui fut élève de Sartre et Lacan est un psychanalyste venu, après la cinquantaine, à la littérature. Son dernier ouvrage a pour point de départ la relation difficile, complexe, parfois douloureuse qu’il eut avec son frère, aujourd’hui disparu, JF Pontalis. Ce livre n’est ni un règlement de comptes, ni un portrait ou un essai, encore moins un récit autobiographique intimiste. L’auteur parle de « livre-enquête ». Une enquête moins centrée sur la relation avec son frère que, plus globalement, sur les relations de ce couple tout à fait singulier que forment en général deux frères.

JF est l’aîné de quatre ans de JB. On les désigne par leurs initiales de prénom comme le faisait leur mère par souci d’abréviation ou pour ne pas marquer de différence entre eux (et donc éviter les différents ?). Alors que le cadet est effacé, l’aîné est brillant, très doué, charmeur. On attend tout de lui. Il ne donnera rien. Comment expliquer ce mystère du fruit sec ? JB Pontalis n’a pas de réponse toute faite et c’est pourquoi il écrit ce livre et parle d’enquête. JF eut une vie pathétique, enfermé bien vite dans son amertume, pratiquant l’autodestruction autant que la destruction de l’autre, son frère dont il fait un objet de haine, le niant en tant que sujet. Et pourtant, c’est lui, JF, qui dira un jour à JB : « J’espère que, si ton nom apparaît un jour dans un dictionnaire, j’y sois mentionné aussi comme « frère du précédent ». Formidable aveu, "feint ou sincère ? ", qui faisait du cadet son aîné. JB Pontalis a voulu aller au-delà de ces relations ambivalentes et a cherché dans la mythologie, l’histoire ou la littérature des exemples de couples de frères.

Tout commence avec Abel et Caïn, le premier meurtre de l’Humanité ayant été un fratricide, comme le seront par la suite toutes les guerres. L’existence d’Abel va se résumer à n’être que le frère de Caïn. Faut-il, se demande l’auteur, qu’un des deux l’emporte sur l’autre, l’anéantisse pour exister ?
Dans de courts chapitres, intitulés « Ces deux là », Pontalis raconte des histoires de frères puisées dans ses analyses, ses souvenirs personnels ou ses lectures. Ces frères sont souvent ennemis, tels ces Suédois que seule la mort réunira dans un même étreinte, « ce mot qui dit à la fois la lutte à mort et la violence intense de l’amour. » ou les héros du livre de Thomas Savage « Le pouvoir du chien » ou de celui de Maupassant « Pierre et Jean ».Ils sont plus rarement unis par une « proximité incomparable » ainsi que l’étaient les frères Van Gogh ou les frères Champollion. La relation peut enfin être plus subtile, entre amour déclaré et jalousie cachée comme celle de Marcel et Robert Proust.
Toute la difficulté vient peut-être du fait qu’avant d’être l’aîné (l’aimé) il a été l’unique pour se trouver dépossédé sans qu’il y soit pour rien. « Tout premier est jaloux du second, l’intrus. Le second est jaloux du premier arrivé. » Jaloux de quoi ? De l’amour de la mère voulu comme exclusif et qui ne peut plus être au mieux qu’un amour de préférence. « Je ne voulais pas la comparaison mais l’équivalence. »

JB Pontalis trouve mensongère l’expression « Je l’aime comme un frère ». Il voit dans l’autre expression « frères de sang » plus la genèse d’une histoire sanglante qu’une appartenance identique et revendiquée comme telle. Il fait sienne la formule de Flaubert « La fraternité est une des plus belles inventions de l’hypocrisie sociale ». La fraternité est une utopie et Pontalis trouve beaucoup plus de cas de « frérocité », telle celui des enfants du « Maître de Ballantrae », le chef d’œuvre de Stevenson. Il croit en revanche à la fraternisation entre les êtres, l’espace d’un instant et il en donne deux beaux exemples, l’un dans le chapitre « Zig et Puce », l’autre en évoquant ces soldats qui fraternisent après s’être battus et avant de se battre à nouveau.

L’enquête ne résoudra pas réellement l’énigme de cette étrange et incomparable relation. Entre le sourire et le rictus, l’auteur ne tranche pas.
Ce livre est très bien écrit, dans une langue parfaite, d’une superbe clarté. C’est plus le fruit d’un écrivain que d’un psychanalyste, même si les exemples choisis, les mots employés révèlent des jeux de mots déformants où je est (hait ?) un autre.
Pontalis ressentait le besoin d’écrire ce livre bien qu’il l’ait longtemps contourné, évité. Ceci se ressent dans sa façon d’aborder son histoire à travers le récit des autres. Mais n’était-ce pas la seule façon de retrouver l’image perdue, l’image brisée de ce frère tant aimé et probablement tout autant haï, le temps d’un livre, l’espace d’un instant de fraternisation ?