La touche étoile
de Benoîte Groult

critiqué par Bolcho, le 8 septembre 2006
(Bruxelles - 76 ans)


La note:  étoiles
Quand on s’éloigne d’une côte en bateau
« Les vieux n’ont pas seulement soixante-dix ans, ils ont encore leurs dix ans et aussi leurs vingt ans et puis trente et puis cinquante et en prime les quatre-vingt piges qu’ils voient déjà poindre. »
Les vieux cumulent en eux tous les âges de la vie. Benoîte Groult le montre en étant à la fois une vieille dame et sa fille, mais toujours une féministe…assez amère sur l’état actuel de la question. Et je partage cette amertume. Elle dénonce les stéréotypes toujours vivaces et à l’œuvre dès le plus jeune âge. Au passage, elle fait un sort aux dieux, louant ceux de l’Olympe (…), « joyeux coquins, jouisseurs et amoureux de la Création sous toutes ses formes ; ou bien les divinités païennes. Les autres, les monothéistes, fieffés machos égocentriques et despotiques, n’ont jamais rien compris au bonheur ». Elle fustige la mode revenue des talons aiguille dont le but est clair : « interdire aux filles le bonheur de courir, l’intégrité de leur corps, la liberté en un mot ».
Et elle nous transporte d’une époque à l’autre, explorant au passage le bouillonnement des années post-soixante-huitardes qui brandissaient la liberté sexuelle dans les couples : « Nous prétendons mépriser la jalousie qui en secret nous ronge les sangs ; nous souffrons en somme comme au temps de Racine, tout en professant les théories de Sartre et de Beauvoir ». Pas faux bien sûr, mais, et là c’est moi qui l’ajoute, au moins ne trompions nous jamais le conjoint : il était le premier informé, parfois même avant le tiers qui allait « bénéficier de nos faveurs ».
C’est surtout peut-être un livre qui nous parle de la vieillesse, des difficultés dans les vieux couples et de leurs « lassitudes devenues insolubles dans la tendresse », du fait que « A partir d’un certain âge, on ne tombe pas malade tout seul, dans un couple ». Et elle le fait avec humour. C’est à la fois déchirant et drôle. Sans doute même déchirant parce que drôle.
C’est un roman aussi, un excellent roman, avec des personnages qui vibrent en équilibre sur la vie. Mais l’argumentation est toujours là. Le plaidoyer toujours véhément. Contre la société anti-vieux, anti-femmes, anti-liberté. Elle nous parle tellement bien de nous-mêmes finalement, de nos craintes cachées mais communes, de nos amours imparfaites et complexes, de nos grandeurs et de nos lâchetés. Et aussi de l’horreur absolue des désamours de vieux…qui sont forcément sans appel.
La rage anti-connerie aboutit à des pages très drôles dénonçant la bêtise d’une certaine modernité. L’épisode de l’achat d’une nouvelle plaque de cuisson « à induction » est un délice. La vieille dame s’irrite parce qu’on lui a vendu un objet qui l’oblige à changer non seulement ses habitudes mais sa batterie de casseroles, et elle s’écrie, rageuse, que pour elle l’induction c’est le contraire de la déduction : « Pour moi, votre induction, c’est de la merde. Vous voyez, voilà un bel exemple : je généralise à partir d’un seul cas ! C’est ça, l’induction. »

Un très beau livre. Et je ne vous ai rien dit de la fin. On a rarement fait un fin qui en soit autant une.
Emouvant, c’est tout.
Un livre qui vous change un peu plus que les autres livres.

Mais sans doute l’apprécie-t-on encore mieux quand on traîne déjà quelques années derrière soi, parce que :
« Quand on s’éloigne d’une côte en bateau, on la découvre soudain différemment. Les criques, les caps, les plages forment peu à peu un ensemble qui n’est pas la somme de ses composantes.
L’âge aussi est une manière de s’éloigner : on commence à percevoir sa vie comme un tout, qui n’est pas forcément la juxtaposition des événements qui l’ont constitué. Chacun a retenti sur le suivant et le suivant l’a modifié en retour, si bien qu’on ne distingue plus hier ou demain, le commencement ou la fin de sa jeunesse, mais un tableau global d’où commence à se dégager une sorte de signification. »

Benoîte Groult, c’est une sacrée grande dame et elle nous a fait un sacré bon livre.
Savoir vieillir 8 étoiles

Vieillir implique de l'accepter et d'affronter le regard de l'autre, impitoyable, tant il semble porteur de condamnation. Doux-amer, tendre et ironique, ce livre permet de prendre du recul sur l'inévitable. Il n'est pas au mieux écrit, bien que ce style de type oral ait ses charmes. Il porte une belle morale, comme une réflexion intéressante sur la condition féminine.

Veneziano - Paris - 46 ans - 17 septembre 2017


Triste, si triste ! 5 étoiles

On peut aimer ce livre à 40 ans quand on est loin de l'âge de Benoîte Groult, enfin peut-être.
Sur moi, ce livre a eu un effet très éprouvant : j'ai eu l'impression de prendre 20 ans de plus. Ca m'a déprimée au plus haut point.

De plus, quand on a connu la Benoîte Groult d' il y a 20 ans, ses romans frais et gais, comment apprécier ce "jus" de chaussette.
Je n'ai rien compris, qui était qui, qui avait un amant en Irlande ??? Benoîte, je suppose.
C'est triste, car on dirait qu'il n'y a plus personne pour dire à Benoîte : écris pour toi, mais ne t'escrime pas à vouloir publier. Allez Benoîte, tu peux encore faire plein de choses, va en Irlande, balade-toi ! Mais n'inflige à personne ce type de récit déchirant : on ne peut être et avoir été !

Aria - Paris - - ans - 2 septembre 2009


Presto l'euthanasie légale 10 étoiles

Quel livre et quelle auteure! Le style alerte et authentique, le vocabulaire simple, mais juste. Les thèmes de la vieillesse et de la mort sont traités avec simplicité et élégance, ce qui n’est pas facile pour de tels sujets. J’admire beaucoup l’honnêteté et le courage de l’auteur. Ça nous dérange de nous faire dire la vérité sur ce que Benoîte Groult appelle les calamités de la vieillesse. C’est cruel de penser qu’on ne pourra les éviter. En même temps, de voir l’auteure si vivante et de constater qu’à 87 ans, elle ne renonce pas au plaisir de la vie, est plutôt réconfortant. Le leitmotiv de sa vie a toujours été le choix de la liberté, ce n’est pas étonnant qu’elle milite pour celui de mourir dignement et à l’heure qu’elle aura choisie. L’auteur donne la voix à trois personnages (au je) : Moira, personne imagée qui pourvoira à la sortie définitive d’Alice. Elle met du piquant dans l’histoire par ses réflexions. Marion, fille d’Alice, 30 ans. Elle a la facilité d’affronter deux amours à la fois sans trop faire souffrir. Alice, nom que se donne l’auteure. Elle s’en sert surtout pour décrire la déchéance de la vieillesse. Mais dans la vie réelle, si ce n’était de la maladie qui nous guette, il y aurait de bons côtés au vieillissement : les enfants et les petits-enfants deviennent plus prévenants et on laisse tomber les responsabilités et le stress de la vie active. À bien y penser, si l’euthanasie était légale et que j’étais aux prises avec des maladies dégénératives comme l’Alzheimer, le parkinson, ou d’abominables souffrances, j’opterais, probablement, pour la touche symbolique.

J’ai bien aimé le passage sur la relation mère/fille « le petit refuge où nous venions hors saison respirer l’iode et l’odeur du goémon.». Aussi des liens entre sœurs « ces fous rires contractés dans l’enfance. Il suffisait de se regarder pour repartir de plus belle ». Il faut avoir eu une bonne maman et bénéficier de frères et sœurs pour se remémorer ces bons moments. Et que dire des mentions de tout ce qu’elle a trop aimé « Xavier, Marion et Maurice. Trop aimé également le jardinage et pêcher à pied ou en bateau, avec Marion à l’île verte ». Alice a vécu une vie intéressante et mouvementée, sans oublier les 30 ans de lettres d’amour de Brian. Celui-ci entreposait toutes ses lettres chez son ami pour ne pas qu’elles tombent entre les mains de sa femme et de son fils. Alice se sentant incapable de les brûler, comme si sa culpabilité d’une liaison illicite lui paraissait « un encombrant cadavre ». Elle jeta les lettres dans cet océan Atlantique qui les avait tant séparés et si bien réunis.

Grâce à la lutte féministe qu’elle a menée, nous pouvons maintenant utiliser des noms de métiers, de grades et de fonctions au féminin. Merci, Madame Groult, pour cette lutte et cet excellent récit incluant l’humour tendre et drôle, qui m’incite à accepter les inconvénients de la vieillesse. Un prochain livre est peut-être en route, avec Belzébuth? Bien appréciée, cette nouvelle technologie.

Saumar - Montréal - 91 ans - 31 août 2009


Benoîte Groult et ses idées testamentaires 6 étoiles

La touche étoile est celle que l’on effleure sur son portable à la fin d’un message. Dans ce roman, avant d’appuyer sur sa touche étoile, Benoîte Groult nous livre ses pensées, ses combats, sa Bretagne, l’Irlande et tout ce qu’elle y a vécu.
Chapeau à cette octogénaire de nous claquer à la figure ce livre à la langue toujours verte et aux réflexions revanchardes contre le monde actuel. La touche étoile a obtenu le Prix DS magazine.
Benoîte Groult soliloque avec la Moïra, ce mot grec qui signifie « destin », que chacun suit sans pouvoir interférer. Elle dépeint la difficulté de vieillir, l’inanité de vouloir lutter contre le défi du temps, des années qui passent. Mais il y a tout le bonheur qu’elle a construit avant et qu’elle se plaît à évoquer.
Au-delà des problèmes sentimentaux qu’elle traite avec beaucoup de tact, elle nous présente le monde d’aujourd’hui avec ses innovations technologiques qui, pourtant, n’aident aucunement les personnes plus âgées. Et là, elle se lâche avec beaucoup d’humour. Plus aigrie toutefois lorsqu’elle fait allusion à son métier de journaliste et sa perte progressive de notoriété au fil du temps.
Hélas, cette défenderesse de la cause féminine inspire plus de pitié que d’admiration. Son amertume ne transpire que trop souvent et ne passionne vraiment pas le lecteur. En 68, elle devait convaincre, aujourd’hui elle n’est plus dans le coup !
Tantôt des dialogues incisifs, tantôt une réflexion philosophique sur notre destinée, tantôt des descriptions de Bretagne et d’Irlande, de la mer qui fait rêver… Benoîte Groult reste un grand écrivain.

Ddh - Mouscron - 83 ans - 19 novembre 2007


Délit de vieillesse 6 étoiles

Voici conté, avec beaucoup de sincérité et une bonne dose d'humour, une traversée du temps, qui évite les écueils de la bienséance et de la pensée conventionnelle. Il n'est pas facile de vieillir quand les regards indifférents des éternels jeunes vous renvoient dans les ténèbres, vous reléguant au rang de "Tutsis dans un monde de Hutus". Les amis disparaissent à tour de rôle, le conjoint navigue entre deux eaux et parfois le corps refuse obstinément d'obtempérer aux ordres qui semblaient des plus simples autrefois.

L'auteur aborde des thèmes sensibles qui empêchent trop souvent les esprits de tutoyer les étoiles lointaines. Un très beau récit sur les combats menés au quotidien par des êtres soumis à la rigueur du temps qui passe et aux facéties du destin qui désire que s'accomplisse, parfois en vain, la promesse d'une vie meilleur.

Heyrike - Eure - 57 ans - 11 septembre 2007


«Vieillir est un délit...» 9 étoiles

J'ai lu Benoîte Groult presque tout au long de ma vie et ce livre-testament est tout aussi percutant et pertinent que tout ce qu'elle a pu écrire...
Benoîte Groulx, Simonne Weill, Françoise Giroud, Marie Cardinal..., voilà bien de grandes Françaises qui ont profondément marqué ma génération.
Qu'il est bon de ré-entendre cette voix féministe au discours tonitruant alors que le dit discours n'est plus que murmuré...
Benoîte Groult, merci de ce délicieux cadeau inattendu...

FranBlan - Montréal, Québec - 82 ans - 14 avril 2007


Lucide et décapant 6 étoiles

Merci à Benoîte Groult d'avoir révelé avec tant de franchise et de tonicité les faiblesses liées à la vieillesse . Merci d'avoir aussi montré qu'un des privilèges de cet âge qui fait peur c'est de pouvoir se regarder en face et de parler de soi sans vergogne et en toute lucidité

Alma - - - ans - 24 novembre 2006


Un livre merveilleux et drôle 8 étoiles

Quel magnifique livre ! Moi qui n'ai (que) 37 ans, j'y ai pris beaucoup de plaisir. Benoîte Groult est drôle, férocement drôle même. J'imagine très bien les rapports charnels dont elle parle même si je ne suis pas encore concernée. C'est féministe mais si vrai. En bref, c'est un petit chef d'oeuvre. Et quelle énergie !

Mim - Onex Genève - 55 ans - 20 novembre 2006