Liberté conditionnelle
de Akira Yoshimura

critiqué par Oscar W., le 8 septembre 2006
(Bruxelles - 55 ans)


La note:  étoiles
Evasion psychologique d'une prison japonaise
Shiro Kikutani bénéficie enfin après quinze ans d'incarcération de la liberté conditionnelle, vu sa conduite exemplaire tout le monde est certain que sa réinsertion sociale ne fait aucun doute. Il est tout de suite pris en main par son tuteur Kiyoura chez qui il doit se rendre impérativement deux fois par semaine, impératif qu'il compte bien suivre à la lettre. La seule chose qu'il désire plus que tout, c'est de vivre une vie normale, si il est possible de redevenir " normal " après avoir vécu une si longue période dans une cellule aussi minuscule et d'avoir dû se lever pendant tout ce temps à heures aussi régulières, d'avoir pris tous ses repas à la seconde près et de s'être endormi quand le personnel pénitentiaire l'a exigé. Mais dans les années septante et quatre-vingt, le Japon a complètement changé et Shiro a de très grandes difficultés à s'adapter à ce nouveau mode de vie. Rien que d'acheter un parapluie demande une source d'énergie psychologique incommensurable. Prendre un escalator demande une dextérité insoupçonnée, payer une soupe miso demande une adaptation financière inimaginable. Shiro Kikutani veut absolument rester à Tôkyô non loin de son tuteur, mais il ira travailler à la campagne dans un élevage de poules où sa seule crainte sera d'être reconnu par quelqu'un et de passer pour un paria, alors que sa peine a bel et bien été purgée.

Akira YOSHIMURA nous dépeint dans ce somptueux roman non pas seulement la difficulté de se réinsérer dans la société mais plutôt dans une nouvelle société. Le Japon s'est complètement transformé en une bonne dizaine d'années ; non pas seulement pour des gens mis au bagne mais pour la grande majorité des Japonais. Le Japon est un pays de traditions ancestrales et pour certains d'entre eux il fût et il est très difficile de s'adapter à un tel changement. Ce renouveau du Japon est encore à l'heure actuelle (ce roman a été édité en 1988) difficile à accepter par grand nombre de Japonais. Au-delà de la conception psychologique et sociologique, ce roman est un chef-d'œuvre de pureté et d'attachement au personnage principal. Tout ce qu'il a pu faire de bon ou de mauvais, tout ce qu'il fait lors de sa liberté conditionnelle, on ne peut ni le juger ni lui en vouloir ; on peut juste lui dire qu'on reste avec lui.
Mise en cause du système carcéral et des modalités de la liberté conditionnelle 6 étoiles

Condamné à perpétuité, Shiro Kikutani obtient la liberté conditionnelle après avoir purgé plus de quinze ans de réclusion. Entré à la trentaine, il en ressort à 50 ans, dans un monde bouleversé qui a subi une accélération fantastique alors que dans le même temps, en prison, celui-ci s'écoulait lentement comme quasi figé.
Yoshimura nous introduit dans le vécu de son difficile processus de réinsertion, dans lequel interfère le souvenir de l'acte criminel qui l'a conduit jusque là.

L'auteur aborde là un double thème: celui de l'"institutionnalisation" des prisonniers après de longues années de détention, qu'il entrecroise avec celui de l'individu soumis à des pulsions incontrôlables.
Le roman vaut essentiellement, de mon point de vue, par le traitement, excellent et probablement documenté -il y a des détails qu'on n'invente pas, me semble-t-il - de ce thème de l'"institutionnalisation", thème fascinant et peu traité à ma connaissance si ce n'est dans un film culte "Les évadés" (*), auquel d'ailleurs j'emprunte ce terme pour exprimer cet état de soumission à l'ordre instauré par le système carcéral, cet état d'intégration, de dépendance totale qui fait que le prisonnier n'est plus apte à vivre en dehors sans ressentir un profond mal-être.
-"ces murs ont un effet bizarre. On les hait d'abord et ensuite on s'y habitue et plus le temps passe, plus on finit par en avoir besoin. C'est ça être institutionnalisé" (propos de Red, un des héros du film).
Kikutani parviendra à se réinsérer tant bien que mal dans la vie active mais ce cordon ombilical avec ses tuteurs que le système lui impose (obligation de visite, demandes de permission. . . ) deviendra finalement pour lui une nécessité dont il ne voudrait se libérer à aucun prix. A sa manière, il finira par se créer un univers qui n'est que le prolongement de son univers carcéral, une bulle dans laquelle il préfèrera s'isoler, à l'abri d'un monde extérieur d'autant plus hostile qu'il ne le reconnaît plus.

Quant au thème de l'individu victime de pulsions dangereuses qu'il ne parvient ni à expliquer, ni à contrôler, s'agissant d'un thème plus banalisé, il a beaucoup moins suscité mon intérêt; néanmoins, l'auteur a su introduire le trouble en optant pour un "héros" a priori ordinaire, comme vous et moi (enfin. . . la plupart d'entre nous) mais qui, confronté à des circonstances particulières qui l'agressent découvre en lui un être violent, froid, insoupçonné… contre lequel il ne peut rien. Dès lors, lui aussi apparaît quelque part comme une victime et en même temps que l'on tend à développer une certaine empathie avec le personnage, on ne peut que se retourner contre les modalités d'encadrement de sa liberté conditionnelle qui vont l'entraîner inexorablement, alors qu'il ne demandait rien de plus… vers une fin plutôt convenue.

Je ne sais si l'on peut aller jusqu'à parler de réquisitoire contre le système carcéral et celui post-carcéral décrit ici. Tout au moins Yoshimura amène-t-il à s'interroger sur la pertinence des modalités d'exécution des longues peines qui aboutissent à infantiliser et désocialiser le condamné alors que paradoxalement la société lui pose en modèle l'individu intégré et responsable. Par ailleurs, en voulant imposer, avec les meilleures intentions du monde (ses tuteurs sont des gens infiniment respectables, bienveillants et dévoués) mais sans suivi psychologique véritable, à aucun moment, un schéma hypernormatif, le dispositif (et par là-même la société) ne s'est-il pas rendu coupable d'aveuglement et d'irresponsabilité pouvant aller à l'encontre de sa mission de protection tant de Kikutani que des autres?

Pour conclure, je dois avouer que j'ai eu un problème avec l'écriture de ce roman (ce qui justifie ma note). Certes, on peut penser que sa précision, son extrême sobriété, son caractère quasi clinique sont en parfaite adéquation avec le propos; néanmoins, j'irai jusqu'à oser avancer l'idée d'une certaine pauvreté de la langue d'où, chez moi une frustration tout au long de ma lecture (mais il me faudrait connaître un autre ouvrage de Yoshimura pour confirmer ou non or c'est le premier que je lis de lui).

(*)"Les évadés" (1994) de Frank Darabont inspiré d'une nouvelle de Stephen King parue en 82.

P. S: A noter que ce roman paru en 88 a inspiré à Shohei Imamura le film "L'anguille" qui a remporté la palme d'or au Festival de Cannes en 1997.

Myrco - village de l'Orne - 75 ans - 11 juillet 2012