Le Pilon
de Paul Desalmand

critiqué par Lucien, le 29 août 2006
( - 69 ans)


La note:  étoiles
Pour l'amour du livre
Dire que Paul Desalmand est un amateur de livres serait très en dessous de la vérité. Il serait plus exact de dire qu’il est amoureux des livres, dont l’univers n’a pas plus de secrets pour lui que, pour un Brillat-Savarin, celui de la gastronomie.
Il n’est donc pas surprenant qu’après plusieurs essais consacrés à Sartre ou Stendhal, au miracle d’écrire ou au petit monde de l’édition, il fasse du livre le sujet de son premier roman, Le Pilon, qui paraît en septembre aux éditions Quidam.
Belle mise en abyme, apte à séduire les amateurs de poupées russes, que ce livre dont un livre est le héros. On songe à Si par une nuit d’hiver un voyageur de Calvino, mais alors que Calvino adopte la troisième personne pour décrire les aventures d’un livre qui se dérobe sans cesse, Desalmand donne ici la parole à l’ouvrage lui-même, un ouvrage défini dès le premier chapitre avec une précision d’entomologiste : « Je suis né le 17 juin 1983, à 16 h 37, sorti des presses de la Manutention à Mayenne. Format : 16,5 cm x 12,5 cm. Poids : 230 grammes. Nombre de pages : 224. Caractères : Garamond. Corps : 12. » Un ouvrage dont Desalmand nous livre les tribulations depuis la sortie de presse jusqu’à son départ pour l’Afrique, un continent que l’auteur connaît intimement (ce paragraphe sur les odeurs de l’Afrique…) pour y avoir enseigné durant des années.
Un roman picaresque, en somme, qui permet à Paul Desalmand de dresser une sorte d’inventaire de la société, de pénétrer partout en suivant les pérégrinations de son héros de papier, et de démontrer à nouveau son énorme savoir concernant le livre, contenant et contenu : le président du « Cac 40 » lui ressemble étrangement. « Cac 40 : le Club des Amis des Citations. Cette association n’avait qu’une dizaine de membres dont un “préposé aux menus plaisirs”. Le nombre 40 signifiait que le but était d’arriver à quarante comme à l’Académie française. »
Dans ce jeu de piste qu’il est bon de parcourir avec le flair d’un détective, on appréciera aussi les clins d’œil aux amis : Renaud Ambite, Chantal Portillo qui envoie son éditeur au pilon, sans compter « Patrick Klotz », ou encore les citations détournées, telles, en vrac : « des hommes, sans aptitude autre que celle consistant à exploiter leurs semblables, pouvaient engloutir en un repas la nourriture de cent familles », « courons à l’Afrique en rejaillir vivant » et surtout cet extraordinaire clin d’œil à Flaubert : « C’était à Métagna, faubourg de Pézenas, dans les entrepôts d’un connard. »
Un roman truffé de détails intéressants ou de regards originaux sur le monde du livre ou des bouquinistes (la « révision », la librairie Préférences à Tulle, chasse et pêche en librairie, les réincarnations du livre,…)
Un premier roman intelligent et tendre à lire en amoureux du livre et de la vie. Un hommage à ce « vice impuni » qui est peut-être la plus belle vertu de l’être humain : la lecture.
Il était une fois un livre … 6 étoiles

Il était une fois un livre et Paul Desalmand entreprit de raconter la vie de ce livre de sa naissance à sa mort (oui, les livres meurent aussi). C’est Le pilon.

»Je suis né le 17 juin 1983, à 16h37, sorti des presses de La Manutention à Mayenne. Format : 16,5 cm x 12,5 cm. Poids : 230 grammes. Nombre de pages : 224. Caractères : Garamond. Corps : 12. Nature du papier : bouffant de 90 grammes. Six dessins de Jean Mulatier. Tirage : 800 exemplaires numérotés de I à 800 et 20 exemplaires sur japon numérotés de I à XX avec couverture et gravures originales de Marc Pessin. »

Voilà pour l’acte de naissance.

»Quoi qu’il puisse m’arriver, j’estime ma vie réussie parce que j’ai été lu. »

Voilà pour le programme de vie.
Pour les détails, c’est le corps du texte de Paul Desalmand en 35 courts chapitres de 1 à 4 pages. Depuis la période de stockage en entrepôt, confiné dans un carton, au premier voyage chez un libraire, la première émotion d’être pris entre les mains d’un lecteur, le premier achat puis … la suite jusqu’à la fin, … qui n’est pas forcément le pilon.
Le pilon, c’est l’opération qui consiste à déchiqueter pour les repulper, afin de faire de nouveau du papier, les invendus, les retours, les livres mis au rebut …
Paul Desalmand met à profit toute sa connaissance de la filière éditrice pour valoriser et expliquer chaque étape via les aventures de notre ami livre. On regarde nos amis imprimés d’un autre œil après ça ! Si, si !
Inconvénient ; ça a un petit côté décousu et laisse un peu sur sa faim. C’est que c’est court : 143 pages. Pourtant la vie d’un livre peut certainement être plus longue ? Plus courte aussi, pour les retours des libraires aux éditeurs : directement au pilon. Brr !

Tistou - - 68 ans - 9 mars 2021


Superbe éloge amoureux du livre! 10 étoiles

Ce livre se dévore tant il évoque avec bonheur, tendresse, amour notre passion: LE livre, ce modeste "objet" en papier qui nous éblouit, nous transporte, nous fait vibrer!

Un régal tant Paul Desalmand nous conduit sur toutes les routes, les chemins de sa naissance à ses multiples vies!

Que d'infinis plaisirs à chaque mot, chaque ligne, chaque paragraphe!

Du bonheur sans code-barres, de l'amour vibrant pour cette éternelle passion qu'est le livre!

Eloges de tant d'autres choses aussi, hommage émouvant de ces lecteurs également qui, au détour d'un passage, vont "tomber sur une page qui provoque une commotion électrique, un coup de foudre littéraire...".

"La lecture comme l'amour est la pierre à aiguiser de l’âme."

Bravo et merci.

Provisette1 - - 12 ans - 30 mars 2014


EXQUIS ET INOUBLIABLE 10 étoiles

Exquis et inoubliable


Est-ce un roman ou un essai? Les deux à la fois.
C'est l'auto biographie d'un livre qui commence son existence par une longue attente dans un carton.
Il se questionne : partira t-il pour un long voyage ou finira t-il grignoté par les souris ou au pilon avant même d'avoir voyagé et vécu?
Sur les cinq cent millions de livres, « sortis des presses » chaque année, cent millions seront, honteusement et discrètement broyés.
Le soir, les livres discutent entre eux de tout et surtout du pilon
Le lecteur apprend, de la bouche même du « héros » le sort qui a été réservé à 165 000 exemplaires de la Constitution Européenne : la mise au pilon car sur une des pages était écrit « TEXTE INCOHERENT »!
Quand enfin notre livre est sauvé de la destruction pour rejoindre les premiers rayonnages d'une librairie, c'est la joie et la surprise qui l'attendent. Dans cette petite librairie, il n'est question que de livres et comme le dit et le répète le propriétaire de ce temple du savoir :
« pas de semaine sans que j'aie du bonheur »!
Mais un jour la grande aventure commence avec le premier acquéreur puis le second, puis d'autres ainsi va le passe livre.
La mort immédiate est annoncée quand un adepte de la fidélité au Coran, quelque peu intégriste tombe sur un passage qui n'est pas aux normes...
Ouf! Repris, notre héros s'en sort pour continuer sa route.
Il arrive sous les ponts de Paris dans les mains d'un clochard amoureux de la lecture mais c'est une expérience qui fera date :
« le pittoresque de la misère, la sacralisation du pauvre, non merci monsieur Péguy! C'est le couloir de la mort, avec des bribes d'espoir auxquelles on ne croit pas vraiment. A court terme, une insertion, oui, dans le néant. »!
Ce livre, « le Pilon » qui raconte l'histoire d'un de ses congénères est un petit bijou : de l'humour, un style alerte, une grande bouffée de culture et une analyse sans faux fuyant de la réalité de l'univers des livres.

La dualité du monde de l'édition est bien décrit :
avec « les commerciaux » qui font la loi, avec ces articles rallongés, mis en tête de gondole, mal écrits qui heureusement sont vite oubliés
mais aussi avec le courant d'édition qui privilégie « le goût de la beauté, de la nouveauté, de l'exploration, de la révolte et, disons le mot, n'en ayons pas honte, de l'intelligence. »


Amoureux du livre, dégustez cette ode à la culture et au beau.

Jean-François Chalot

CHALOT - Vaux le Pénil - 76 ans - 7 mars 2012


Autobiographie d'un livre 8 étoiles

Voici une autobiographie hors du commun, puisqu’il s’agit ... de celle d’un livre ! Né le 17 juin 1983, à 16h37, sorti des presses de la Manutention à Mayenne, il pèse 230 g. Sa vie commencera réellement quand il sortira de l’entrepôt pour rejoindre la table d’un libraire. Si celui-ci daigne le sortir du carton de livraison, et s’il résiste un tant soir peu au turn-over d’une trop abondante production… Bref ce n’est que le début et ce récit nous emportera dans les tribulations du livre, lecteurs, libraires, bouquinistes, bibliothécaires, clochard sous les ponts, présidence de la république, quel voyage ! A chaque détour pèse le danger incontournable du pilon, pour qui n’est pas un livre rare. Le pilon : ces grosses mâchoires de fer qui vous broient. Jusque-là, notre bouquin est sacrément chanceux, et comme il est sympa, il nous fait aussi partager ses conversations d’étagère, échangeant avec ses compagnons de fortune.

Un petit bijou qui réjouira tous les amoureux des livres, et il vous viendra à un moment ou un autre ce doute risible quand vous regarderez l’un des vôtres sur vos étagères : et si tous ceux-là avaient les mêmes pensées que celui qui vous raconte sa vie, là, dans les pages de Desalmand ?
Eléments vérifiés sur les statistiques du livre, citations, anecdotes véridiques, le Pilon est une façon amusante de nous parler du milieu éditorial et de la littérature, et des pratiques louables ou non de ceux qui y oeuvrent. Avec un petit quelque chose en plus : du plaisir pour le lecteur ! A lire !

Laure256 - - 52 ans - 27 janvier 2008


bonne idée, mais un peu court 6 étoiles

Je suis un peu moins convaincu que Lucien. L'idée de départ est excellente, le parcours d'un livre, bourrés de révélations, mais on reste un peu sur sa faim, c'est dommage. Comme si l'auteur était un peu resté en panne. Ou alors, c'est l'éditeur qui a imposé le format essai-court mais, alors, il aurait fallu le faire autrement. Bref, il reste une sorte d'hors-d'oeuvre. Vous avez aimé et bien tant pis, mais c'est fini. Desalmand reprendra peut-être, on le souhaites en tout cas.

Aldus - Nantes - 61 ans - 26 décembre 2006