La foire aux illuminés
de Pierre-André Taguieff

critiqué par Hiram33, le 31 juillet 2006
(Bicêtre - 54 ans)


La note:  étoiles
ésotérisme et délires conspirationnistes
- Taguieff, Pierre-André.- La foire aux Illuminés ésotérisme, théorie du complot, extrémisme; Paris : Fayard, 2005.
Taguieff analyse le phénomène des théories complotistes qui recueillent un énorme succès depuis les années 1980 au point d’envahir les diverses formes d’expression : télévision avec la série « Aux frontières du réel » (qui véhicule l’idée d’un complot au plus haut niveau des autorités des Etats-Unis pour cacher la présence d’extra-terrestres sur notre planète), les best-seller : « L’énigme sacrée » de Lincoln et Baigent, « Da Vinci Code » et « Anges et démons » de Dan Brown, le cinéma avec les films « Skulls société secrète » (qui évoque la fraternité secrète de l’université de Yale à laquelle font partie Georges Bush junior et John Kerry) et « Tomb raider » (où il est question des Illuminatis, société secrète dominant le monde). Taguieff estime que la paranoïa du complot n’est plus l’apanage de l’extrême-droite et qu’elle a été récupérée par des écrivains opportunistes (Meyssan, Dan Brown). Le politologue rappelle qu’à l’origine de la folie complotiste se trouve l’abbé Barruel auteur de Mémoire pour servir à l’histoire du jacobinisme, pamphlet publié en 1798 qui accusait les Illuminés de Bavière et les francs-maçons d’être à l’origine de la Révolution française. Adam Weishaupt, chef de des Illuminés de Bavière, ordre paramaçonnique qui exista de 1776 à 1785, n’a pas eu l’influence qui lui a été imputée. Néanmoins, à partir du pamphlet de Barruel, la légende des Illuminés rebaptisés Illuminatis (par John Robison, lui-même franc-maçon initié au 18e siècle à la Parfaite Intelligence de Liège ce que Taguieff ne dit pas, dans un livre intitulé Proofs of a conspiracy against all the religions and Governments of Europe, carried on in the secret meeting of free masons, illuminati, and reading societies publié en 1797). ) n’a cessé de faire fantasmer des théoriciens antisémites et antimaçons (Coston, Ploncard d’Assac) puis les néonazis (Jan Van Helsing). La nouveauté, apparue dans les années 1990, est l’apparition d’un complot extra-terrestre, les reptiliens, qui seraient les vrais maîtres du monde au sein des Illuminatis, (théorie de David Icke). Taguieff souligne le danger de succès littéraire comme celui de « Da vinci code » qui utilise les théories conspirationnistes même si elles sont aseptisées. Son ouvrage est passionnant car il permet de suivre le mouvement des doctrines ésotériques et conspirationnistes de la fin du XVIIIè siècle à nos jours. Des critiques peuvent toutefois être portées à l’ouvrage du politologue. Il stigmatise les chasseurs anti-sectes en les soupçonnant d’être coupables de paranoïa et se réfère à Jean-François Mayer pour définir le concept de secte. Mais Mayer est réputé pour militer en faveur des groupes sectaires par l’intermédiaire du CESNUR (mouvement dirigé par Massimo Introvigne qui avait témoigné en faveur de la scientologie au procès de Lyon contre la secte), cherchant à les faire passer pour des Nouveaux Mouvements Religieux. Mayer est par ailleurs un ancien militant d’extrême-droite et un proche de la Nouvelle Droite d’Alain de Benoist. Taguieff est trop répétitif tout au long des 600 pages de son essai. Il ne cesse de rappeler l’origine des théories conspirationnistes (les illuminés de Bavière) et l’influence des pamphlétaires d’extrême-droite sur les « complotistes » actuels ce qui alourdit son ouvrage.
Mise au point sur le conspirationnisme. 6 étoiles

Le démantèlement accéléré, à l’époque moderne, des anciennes institutions traditionnelles occidentales, tant religieuses que politiques a provoqué dès le XVIIIe siècle à propos de la Révolution, le développement d’une littérature visant l’explication de ces troubles violents à partir d’une amplification inédite de l’idée ancienne de conspiration, désormais érigée en système.
Depuis Barruel et ses fameux Mémoires, cette littérature s’est bien souvent transformée en sous-littérature, dont les variantes ufologiques actuelles notamment, posent le problème inquiétant de la santé mentale de nos contemporains souvent prêts à croire, à détester ou à aduler n’importe quoi. L’explosion récente - par le biais d’Internet surtout - de la veine conspirationniste rendait indispensable la publication d’un ouvrage critique d’envergure rédigé par un chercheur avisé et susceptible d’éclairer le lecteur confronté au développement abyssal de ces courants, qu’ils soient intégristes, occultisants ou extrémistes.
Le livre de P-A. Taguieff dont nous allons parler cherche sans doute à dénoncer, en spécialiste qu’il est des Protocoles des Sages de Sion, le caractère réputé paranoïaque du conspirationnisme, ce qui à vrai dire n’est que trop facile, compte tenu de l’aspect clairement délirant de bon nombre de propos qu’il se contente simplement de rapporter et d’accabler. Une interprétation plus approfondie, une réfutation argumentée de ce que l’Auteur condamne eut été nécessaire, à quoi il aurait fallu rajouter un gros effort de discernement: entre les notions que l’Auteur distingue à peine - telle celles d’ésotérisme et d’occultisme -, entre des auteurs aussi un peu trop complaisamment associés (Guénon et Evola), ce qui donne une impression générale hélas négative, la confusion venant s’ajouter à la confusion. Cela d’autant plus que ce gros volume (612 pages) extrêmement répétitif et assez mal construit, semble parfois être le fruit d’un collage de documents, pas toujours bien contrôlé.
Ce qui caractérise en fait “la théorie du complot” c’est qu’elle cherche à expliquer le mal en désignant des coupables qui en réalité n’en sont pas nécessairement. Bien qu’elle puisse partir de constats véridiques sur l’état de la société, elle s’empresse, dans l’angoisse et l’obsession qui la mine, de s’acharner sur un bouc émissaire devenant la cible à abattre.
Même s’il faut traiter le cas de Barruel avec plus de nuances que de coutume, il est trop évident par exemple que le fait de rendre les Franc-maçons responsables de la Révolution est historiquement injustifiable. Joseph de Maistre le savait bien lorsqu’il écrira au Baron Vignet des Ètoles que “ la franc-maçonnerie en général qui date de plusieurs siècles (...) n’a certainement, dans son principe rien de commun avec la Révolution françoise”.
De même, l’accusation que dirige cette fois Barruel contre les Illuminés de Bavière, dont “ l’hostilité ” du fondateur, Weishaupt, envers la Maçonnerie, est un fait connu, semble disproportionné. S’il ne s’agit pas de nier le caractère anti-clérical de ce mouvement éphémère (1776-1790), le rôle des Illuminaten dans le déroulement des évènements révolutionnaires est à peu près nul. On perçoit ici le manque d’intelligence historique et l’ignorance des causes profondes, pouvant seuls permettre la compréhension des faits, inhérents à la théorie du complot. Concernant précisément la révolution, dont les causes véritables sont plus lointaines, il apparaît clairement, si l’on tient compte des travaux récents de Dale K. Van Kley, que la Réforme, en particulier calviniste, a joué un rôle précurseur dans son élaboration en facilitant avec d’autres mouvements religieux une désacralisation progressive de la royauté. L’explication trompeuse que donne le conspirationnisme est donc bien simpliste, comme le remarque justement P-A. Taguieff, quoique souvent tortueuse sinon extravagante. A force de caricature, il en devient dérisoire et du coup, nous y reviendrons, rendrait presque impossible l’usage légitime de la notion de complot ou de machination alors que celle-ci, ce dernier le reconnaît également (p. 42, 46), s’applique à de nombreux faits historiques établis. D’une certaine manière, la théorie du complot peut apparaître comme le rejeton laïcisé, dégénéré, d’une théologie de l’Histoire dont Joseph de Maistre dans ses Considérations sur la France, à propos justement de la Révolution, exprime encore la perspective avec une hauteur de vue qui n’est pas douteuse.
La fabrication des Protocoles des sages de Sion à la fin du XIXe siècle, est un deuxième exemple sur lequel il faut s’arrêter. Outre l’insigne maladresse consistant à faire croire que des juifs comploteurs, forcément dotés d’une extrême malignité, aient pu laisser derrière eux un texte expliquant complètement leur projet de subversion mondiale, il faut, là encore, noter en quoi le fantasme d’un complot juif est aussi probablement le fait d’une sécularisation, cette fois du thème du centre spirituel caché.
Dans son Histoire de l’antisémitisme, Léon Poliakov avait parlé à propos de l’accusation d’assassinats d’enfants chrétiens de “ la croyance en une société secrète et mystérieuse, conclave de sages tenant ses assises quelque part dans une contrée lointaine, et désignant par tirage au sort l’endroit où le sacrifice doit être consommé, ainsi que son auteur. C’est de la sorte que s'annonce, dès le XIIe siècle, le mythe des Sages de Sion” . Ce conclave qui n’est peut-être pas sans rapport avec la tradition des " trente-six justes cachés " doit aussi faire penser au fameux “ Conseil des Saints ” (diwan al-awliyâ) du soufisme et à la hiérarchie initiatique dont M.Chodkiewicz avait donné la composition dans le Sceau des Saints ( chap. 6 et 7). Celle-ci culminant dans la fonction de Pôle (Qutb) dont il faut rappeler qu’il est le strict équivalent du Roi du Monde évoqué par Guénon et que les intégristes conspirationnistes se plaisent à identifier au “ prince de ce monde ”.
Le renversement des symboles propre aux théoriciens du complot a donc pour effet de conférer un sens maléfique à ce qui par nature ne l’est pas. Le couple “ judéo-maçonnique” ne peut être tenu pour responsable de l’essor du libéralisme, du nihilisme ou de l’anarchie comme veulent le faire croire les vrais rédacteurs des Protocoles. Les nombreux juifs qui participeront à la révolution bolchevique, comme l’écrit N.Cohn, avaient “ abandonné leur religion ”. Victimes des terribles pogroms, beaucoup d’entre eux le seront aussi de leur propre laïcisation, ce qui donnera d’ailleurs cette tonalité pseudo-messianique au mouvement communiste tel que le concevait déjà Marx.
En persécutant les juifs démonisés, les réactionnaires organiseront ainsi leur propre perte. D’un autre côté, ceux-ci semblent accorder à ce qu’ils croient être l’incarnation du Mal, une sorte de toute-puissance qui s’accorde difficilement , sur le plan théologique, avec l’idée que seul Dieu est “ Maître du temps et de l’histoire ”. Il s’agit en réalité de faire inconsciemment diversion, de détourner l’attention du Mal véritable, vers un mal fictif et de rendre l’idée de complot inutilisable par d’autres.
Pour revenir maintenant au conspirationnisme actuel, qui se nourrit beaucoup de l’ancien, il ne s’agit pas pour autant de nier systématiquement tout ce qui viendrait justifier cette phobie d’un “Gouvernement mondial unique” et totalitaire, que, dès les premières pages de son introduction (p.13), P-A. Taguieff pointe comme étant le fantasme ultime de la théorie du complot. Ce qui s’avère en réalité être une forme parodique de la fonction de Roi du Monde , apparaît en effet comme un projet menaçant auquel travailleraient de puissants réseaux d’influence presque toujours d’origine américaine ( CFR, Groupe Bildeberg, Commission Trilatérale ) que cite P-A. Taguieff (p.24-25) en suggérant le caractère absurde de leur diabolisation par les théoriciens du complot mondialiste (p.272), qu’il tourne en dérision. Certes, il y a comme toujours de la démesure chez les conspirationnistes à vouloir faire de ces réseaux politico-financiers les uniques agents de la subversion planétaire. Ni la CIA ni l’ex KGB ne sont, malgré leurs obscurs agissements, le Diable en personne. S’il existe incontestablement des arrières-plans de l’Histoire, ceux-ci sont multiples, tout comme les cercles du pouvoir... Cependant, il paraît difficile de nier aujourd’hui que la démocratie ou la nation - dont on notera qu’elle ne repose pas sur des principes traditionnels - sont fortement mis en cause par le processus de globalisation.
Le plus étonnant est que P-A. Taguieff, dans un autre versant de son oeuvre est le premier à le reconnaître avec de très nombreux auteurs, pour la plupart sociologues ou historiens, qu’il serait trop long de tous mentionner. Le remplacement des gouvernements par un “ pouvoir privé ” que prônait en 1999 David Rockfeller, cofondateur du groupe Bildeberg et de la commission Trilatérale, n’est pas un produit de l’imagination des conspirationnistes. Sans nommer ces institutions (que malgré leur importance les médias ignorent) P-A. Taguieff, dans un passage remarquable de L’effacement de l’avenir ( Galilée, 2000, p.276), analyse ainsi le phénomène que nous évoquons:
"L’idée directrice du régime démocratique moderne, à savoir “ le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ” perd tout son sens, elle se transforme même en non-sens, dès lors que le seul, vrai et réel gouvernement est celui d’une caste transnationale visant ses seuls intérêts propres. Le processus de “cryptogouvernance”, c’est à dire l’exercice du pouvoir réel par des élites non élues et totalement indifférentes aux intérêts comme aux droits de communautés politiques ( peuple, nation ) implique l’effacement de l’idée même de peuple souverain, l’évacuation de l’exigence d’indépendance nationale, la dissipation de l’idéal d’une communauté de citoyens actifs, dont la participation à la réalisation du bien commun constitue le coeur d’une démocratie vivante, ou le principe d’une démocratie forte. Au regard de la “cryptogouvernance” , planétaire, l’idée de l’autogouvernement du peuple apparaît soit comme une idée “ dépassée ”( donc appartenant au passé ), soit comme une pure et simple absurdité."
Ce texte surprenant ne pourrait-il pas apparaître comme une expression “savante” du conspirationnisme “populaire” avec lequel P-A. Taguieff voudrait qu’on ne le confonde pas, au risque de donner à ses écrits un aspect contradictoire pour ne pas dire “ schizophrénique ” ? Il est d’ailleurs remarquable, que malgré sa qualité de politologue, P-A. Taguieff ne cherche pas à donner un contenu précis à ce concept pourtant très pertinent de “cryptogouvernance”. Nulle part, celui-ci ne s’est intéressé à produire l’équivalent des recherches anglo-saxonnes sur la très complexe nébuleuse des groupes d’influences, ne serait-ce que pour déterminer leur pouvoir réel, comme l’a fait par exemple G.Geuens dans Tous pouvoirs confondus ( EPO, 2003 ).
A vouloir en minimiser la fonction dans La foire aux illuminés, l’Auteur cherche aussi curieusement à réduire l’impact dévastateur de la modernité en général, comme le montre l’usage ambigu qu’il fait de certains titres d’ouvrages de Guénon (p.383), dont il cherche assez insidieusement à ternir l’image.
Pourtant, là encore, on trouve dans certains livres presque militants de P-A. Taguieff, tels que : Résister au bougisme: Démocratie forte contre mondialisation techno-marchande ( Mille et une nuits 2002 ) une mise en cause très vive du “ capitalisme absolu ” (...) comme “idéologie totalitaire" (p.82), précisant plus loin que “ l’objectif des globalistes est en effet de dissoudre les communautés de citoyens pour produire des consommateurs dociles ” ( p.112 ) ! Ce dernier cite même ( p.176-177 ) un ancien article extrêmement virulent ( “Thanatocratie”, Critique, n°298, Mars 1972) de Michel Serres dans lequel celui-ci osait à l’époque parler d’une “ science (...) envahie par l’instinct de mort (...). L’association de l’industrie, de la science et de la stratégie, une fois formée (...) métastase rapidement et envahit l’espace ” poursuivait M.Serres, “le gouvernement mondial est en place (...), le gouvernement de la mort (...) ”, etc. Ce propos qui rappelle le mépris heideggerien pour la “ frénésie sinistre de la technique déchaînée ” était-il conspirationniste ou simplement lucide? L’embarras de P-A. Taguieff face à ces questions tient en réalité beaucoup au fait qu’il entend conserver une position laïque excluant toute approche métaphysique des problèmes soulevés, d’où l’impossibilité de suivre Guénon, qui, en la matière, permet pourtant de remettre chaque chose à sa place et surtout de dégager le vrai sens de l’Histoire.
Comme l’avait bien compris H.Arendt, “ l’institution de régimes totalitaires, dans la mesure où leurs structures et leurs techniques sont absolument sans précédent, représente la nouveauté essentielle de notre époque (...). En comprendre la nature équivaut pour ainsi dire à comprendre le coeur même de notre siècle ”. Or il paraît certain que, même si une mondialisation peut en cacher une autre ( Dieu est plus savant! ), le projet actuel de “ gouvernance mondiale ”, comme on l’appelle, vise bien le développement planétaire maximal de cette hégémonie moderne que Heidegger comparait à une monstrueuse “ sorcellerie ” ( ibid., p.49 ). Beaucoup d’auteurs qui ne sont pas conspirationnistes assimilent du reste la mondialisation à une “idéologie totalitaire” comme c’est par exemple le cas du député Maurice Leroy (cf., Attac, Agir local pensée globale, Mille et une nuits 2001, p12-13). En affirmant que “ tout ce qui reste encore d’actif sur nos continents complote jour et nuit à perdre ce qu’il reste encore d’être humain”, Philippe Muray voyait juste. Sachant qu’un “ complot ” destructeur d’une telle ampleur ne saurait être le fait de l’homme lui-même.
Suivant la perspective développée par Guénon dans Le Règne de la Quantité à propos de la contre-initiation, ce “ complot ” véritable ne peut être correctement interprété que dans le cadre d’un discours eschatologique, authentique, très présent dans l’Évangile, mais que la théologie contemporaine semble avoir bien des difficultés à assumer compte tenu de la pression qu’exerce sur elle un rationalisme sceptique omniprésent.
Pourtant, seul un discours éclairé de ce genre serait capable d’identifier les vrais dangers que masquent, pendant ce temps, bien des terreurs chimériques. Même si le dessein providentiel dans lequel ce “ complot ” est intégré ne peut être empêché, il nécessite d’être compris et dévoilé. La fonction cosmique d’un “Conspirateur”, puissance maléfique réelle et agissante, à un moment où celle-ci se trouve réduite à une production de “l’imaginaire chrétien", exige donc qu’on cesse de l’ignorer. Entre la récupération ludique du diabolique, l’obsession de ceux qui le voient partout et surtout là où il n’est pas, et ceux enfin qui ne le voient nulle part, il y a sans doute un juste milieu à trouver.
Un dernier point mérite d’être abordé. Le problème du délire paranoïaque, qu’il soit individuel ou collectif, est qu’il invente des chaînes de causalité croyant expliquer par ce moyen la somme des phénomènes qui provoquent ses peurs, de manière quasi-hallucinatoire. Pour ce motif, le conspirationnisme estime en effet que “ rien n’arrive par hasard ” ou “ qu’on nous cache tout ”, ce sur quoi nos critiques - dont P-A. Taguieff - ironisent volontiers. Pourtant il convient là aussi de faire la part des choses. Même si, nous l’avons dit la mécanique interprétative des théoriciens du complot est souvent déréglée, il n’empêche que si l’on accepte l’idée d’une Providence gouvernant le monde, le hasard se trouve nécessairement exclu, ne pouvant cohabiter avec la réalité d’un plan préordonné et caché devant s’accomplir inéluctablement. Or ce que les modernes ne supportent guère ici - et à fortiori à propos des théories du complot- compte tenu de leur attachement viscéral à la notion de liberté individuelle, c’est le rejet du caractère indéterminé de l’Histoire. On voit donc à nouveau que toute la problématique du conspirationnisme, dont il faut souligner la nature souvent parasitaire, nous ramène une fois de plus à la métaphysique et au sens du mystère que l’on vise certainement au fond, à travers l’assimilation fautive de “la pensée mythique” avec la projection de complots imaginaires dans le réel.
Patrick Geay pour Johan Patmos.

Patmos - - - ans - 7 juin 2011