Un garçon près de la rivière
de Gore Vidal

critiqué par B1p, le 31 juillet 2006
( - 51 ans)


La note:  étoiles
une errance
Il y a peu, Annie Proulx nous pondait avec brio l’histoire de deux cow-boys qui découvraient miraculeusement l’amour dans un milieu qui n’était pas prêt à accepter le désir entre personnes du même sexe.
Mais il faut bien vous dire que ça n’était pas la première fois qu’on traitait l’homosexualité de manière aussi frontale. On l’avait déjà fait avant, bien sûr, à des époques où une histoire de ce type avait bien du mal à trouver le chemin d’un éditeur.
C’est la difficulté que rencontre Gore Vidal quand il écrit « The City and the Pillar » en 1947.

Jim Willard éprouve pour Bob Ford une attirance qu’il ne peut exprimer au grand jour. Compagnons à l’école, partenaires quand il jouent au tennis, Jim a le respect dû aux athlètes de la raquette, Bob attire la convoitise des filles parce qu’il est plutôt beau gosse. Et c’est sans doute cette raison qui attire Jim inlassablement dans son sillage.
Un week-end fortuit permettra l’accomplissement du désir, mais il restera sans lendemain, car Bob quitte le bled pourri où ils vivent pour faire l’expérience du vaste monde. Il veut s’engager dans la marine marchande, semble-t-il, et c’est ainsi qu’il disparaît alors que tout aurait dû le retenir.
Et c’est ce qui jettera Jim Willard sur les routes car il n’aura de cesse de retrouver son ami. Il le cherchera dans la marine, il le cherchera le long d’une errance au cours de laquelle il se trouvera lui-même plus qu’il ne retrouvera Bob. Car « Un Garçon près de la Rivière », c’est d’abord le récit d’une errance, comme on n’en écrit jamais que dans les romans américains. (Je suppose que c’est l’immensité des plaines et la démesure des villes qui doivent encourager à cela.)
Donc, à la poursuite de son destin, Jim croise le chemin d’une star hollywoodienne ou d’un écrivain maudit. Il se laisse guider par le hasard pour aboutir dans des hôtels miteux d’Amérique du Sud écrasés par le soleil ou dans des garnisons où il est toujours contraint de mentir sur qui il est vraiment.
« Un Garçon près de la Rivière », c’est aussi beaucoup ça : une fable sur la dissimulation dont il faut user pour se faire accepter par les gens. C’est aussi un descriptif étonnamment mâture des mœurs homosexuelles et de la crudité des rencontres. D’autant plus étonnant de maturité que l’auteur écrit ce récit alors qu’il n’a que vingt-deux ans.
Finalement, ce roman c’est surtout un récit émouvant qui éclot malgré la simplicité du style, ou peut-être grâce à lui. Car, s’il on se dit de prime abord que l’écriture est bien simple, voire carrément banale, au fur et à mesure des pages on se dit que s’était le choix qu’il fallait faire pour permettre à l’émotion et l’attendrissement d’éclore, et c’est dire si c’est réussi et comme on sympathise avec un personnage qui, comme tout le monde, cherche à faire naître celui qu’il est vraiment. Et Ronald Shaw, Paul Sullivan ou Maria Verlaine aux noires pensées ne feront qu’aider à cette naissance, jusqu’à ce que la route de Jim ne recroise celle de Bob, au moment où il faut choisir entre marge et normalité, au risque de mener à l’affrontement.

Certes, des romans comme ça, il y en a eu des tas, avant Annie Proulx, et aussi avant Gore Vidal. Mais « Le Garçon près de la Rivière » vaut certainement en beauté la nouvelle oscarisée de « Brokeback Mountain ». Et c’est sans doute déjà une qualité qui suffit à recommander sa lecture.
Un des premiers romans de Gore Vidal 8 étoiles

Dans la préface, Gore Vidal nous fait la genèse de ce roman. Pas anodin ce roman, ainsi qu’il nous l’explique :

« A dix-neuf ans, tout juste sorti de l’armée, j’ai écrit un roman, « Williwaw » (1946) : il a été bien accueilli en tant que premier roman, chronologiquement, sur la guerre. L’année suivante, j’ai écrit « In a Yellow Wood » (1947), qui fut moins bien accueilli. En même temps, mon grand-père me préparait une carrière politique au Nouveau-Mexique (le gouverneur était son protégé). Oui, figurez-vous que dans la plus grande démocratie que le monde ait connue – le foyer de la liberté ainsi que de la bravoure – les élections peuvent être tranquillement manipulées comme Joe Kennedy serait heureux de l’expliquer si le poète James Merrill parvenait à arracher Wystan Auden du oui-ja.
Pour un garçon de vingt ans, j’étais bien établi dans la vie, grâce à deux romans publiés et aux dons de politicien de mon grand-père. Je me trouvais également en plein centre du carrefour nommé Trivium dans l’opéra de Stravinski, « Oedipus Rex ». Je venais d’écrire un roman dont le titre était « Un garçon près de la rivière ». Si je le publiais, je tournais à droite et finissais maudit à Thèbes. Si je l’abandonnais et tournais à gauche, je me retrouvais dans la ville sacrée de Delphes. »

Evidemment Gore Vidal a tourné à droite, vers la malédiction …

« Je savais que ma description d’une histoire d’amour entre deux garçons « normaux » et cent pour cent américains, comme ceux avec qui j’avais passé trois ans dans l’armée pendant la guerre, mettrait en question toutes les superstitions concernant le sexe dans mon pays natal …
J’ai remis le manuscrit à mon éditeur new-yorkais, E.P. Dutton. On l’a trouvé détestable. Un vieil éditeur a dit : « On ne vous pardonnera jamais ce livre. Dans vingt ans, on vous attaquera encore à son sujet. » J’ai répondu en crânant, mais mal à l’aise : « Si on se souvient de l’un de mes livres en 1968, ce sera vraiment la gloire, non ? »

On se souvient encore de toi, Gore. Et même on te lit encore. En 2012, quarante-quatre ans après 1968 !
Nous sommes en fait dans un roman décrivant un premier amour, le premier amour de Jim Willard, qui va déterminer toute sa vie (comme souvent le premier amour …). Et ce premier amour est pour Bob Ford, un condisciple. Bob Ford qui va rapidement quitter la petite ville où les deux s’ennuient. Il va partir à la découverte du « monde », dans la marine marchande.
Bob parti, Jim Willard idéalise le moment magique vécu en commun et un an après Bob, son diplôme obtenu, part lui aussi à la découverte du « monde ». A la découverte du monde et à la quête de Bob évidemment. Et Gore Vidal nous décrit la prise de conscience de son homosexualité, un temps refoulée, par Jim Willard. Ses errances, son mal-être …
On se souvient toujours de son premier amour. Problème : l’autre n’a pas forcément les mêmes souvenirs.
C’est surtout un roman, certainement très en avance sur son temps, sur l’homosexualité. Et ce ne sera pas le seul de la part de Gore Vidal.
Bien écrit, bien traduit. Une tranche de vie américaine pas ordinaire.

Tistou - - 68 ans - 11 février 2013


Sensible 8 étoiles

Centré sur les sentiments du personnage principal, j’ai trouvé le récit honnête et pas sensationnaliste. Au début, je ne me liais pas au personnage parce qu’il n’acceptait pas son homosexualité, j’avais de la difficulté à le comprendre, mais j’ai fini par immerger dans le récit et le déclic s’est fait naturellement.

C’est tout un premier livre ! J’imagine que ça prenait de l’audace pour publier ça dans les années 40. J’avais peur qu’après une soixantaine d’années, le livre aurait perdu de l’impact, mais ce n’est pas le cas.

Nance - - - ans - 5 janvier 2009


Superbe, captivant, sensible 9 étoiles

c est un catalogue d'adjectifs qui me vient à l'esprit pour parler de ce superbe roman, premier roman de Gore Vidal.
tout à ete dis dans la presentation de Bip.
je regrette fort le ton condescendant qu'il emploie à l'egard d'annie proulx, qui , s'il est vrai collectionne les plus grands prix litteraire nord americain, ne les a pas volé. Annie proulx est un ecrivain qui n'a rien à envié à gore vidal, loin de là ..
il n'en demeure pas moins que le roman de gore Vidal est tres agréable, la description de l'acte d'amour entre Jim et Bob est d'une beauté incroyable, il m'a fait penser à la rencontre entre saint julien l'hospitalier et le Christ (flaubert) par sa beauté mystique.

indispensable à lire !

Prince jean - PARIS - 51 ans - 1 août 2006