La belle du Caire
de Naguib Mahfouz

critiqué par Jules, le 16 juillet 2001
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
La corruption et l'arrivisme
Quatre jeunes étudiants de l’université du Caire discutent en marchant. Ils sont très différents tous les quatre, mais sont amis.
Le premier est socialiste, le second traditionaliste, le troisième aime la vie et la pensée positiviste d’Auguste Comte. Le quatrième, Mahgoub al-Dayim fait celui qui n'est concerné par rien et sa réponse la plus courante aux questions de ses amis est « Baste ! »…
Le père de Mahgoub al-Dayim est pauvre et vit dans un petit village à quelques kilomètres du Caire. Il doit se saigner pour envoyer un peu d'argent à son fils et celui-ci doit se priver de beaucoup de choses pour faire ses études, alors que ce n’est pas le cas pour ses trois amis. Les repas de Mahgoub ressemblent davantage à ceux d’un mollah en plein Ramadan qu’à ceux de Pantagruel !.
Les études terminées, Mahgoub découvrira à quel point il est loin de la fin de ses peines. Il sera très difficile de trouver un emploi, tant la société est corrompue et que rien ne s’obtient sans une bonne introduction. Il finira par trouver un petit travail dans une administration pour un salaire de misère. Bref, sa vie ne ressemble qu’à un amas de problèmes, dont son problème sexuel. Il ne cesse d’observer la belle Ihsane dans la rue, mais « Il ne voyait en Ihsane, qui attisait sans cesse le volcan de ses sens – comme d'ailleurs en toute autre femme –, que poitrine, croupe et jambes. »
Il devient un des employés du futur bras droit du ministre Quasim bey Fahmi et un jour sa vie va basculer totalement. Le bras droit du Bey vient lui proposer un bien drôle de marché : il s’agirait qu'il épouse la belle Ihsane qui a été vendue par son père au Bey. Mais celui-ci est marié et ne veut pas faire jaser. Il faut donc un mari
de convenance à Ihsane et il est entendu que celui-ci fermera les yeux aux visites assidues du Bey. Le rôle est bien payé et suppose un logement plus que décent payé par le Bey.
Il va accepter et se mariera sans avoir même présenté sa femme à ses parents qui ne comprendront jamais. Ils pensent qu’en réalité il a honte d’eux… Voilà, il aura enfin un bon poste et de l'argent ! Mais ce bonheur de posséder ne va pas durer. Il comprendra vite qu'il n’est rien qu’un jouet entre les mains du Bey et qu’il s'est rendu complice d’une vilenie tant envers la belle Ihsane qu'envers lui-même et ses parents. La suite va lui devenir difficile !.
Un soir, il assiste à un concours de beauté en compagnie de son ami Ahmed Batir et celui-ci lui donne par avance le nom de la gagnante du concours. Mahgoub sursaute quand il apprend le résultat : son ami avait raison ! Il lui dit « Rien ne m'étonne ! La nomination des fonctionnaires est pipée, l’attribution des adjudications est pipée, les élections elles-mêmes sont pipées, alors pourquoi pas les concours de beauté ! » Un tel régime pouvait-il raisonnablement survivre longtemps ?…
Un très bon livre de Naguib Mahfouz !
"Baste!" 8 étoiles

"Quelques années dans la vie d'un salaud": je l'aurais plutôt titré ainsi ce roman..sans compter que la traduction littérale du titre est "Al-Qâhira al-Jadida", soit "Le Nouveau Caire"; bien sûr vous ne parlez pas arabe mais vous êtes exigeant et ne souhaitez pas être berné par une mauvaise traduction...
Dès les premières lignes nous voilà embarqués dans cette histoire de camarades d'université au Caire. Des chapitres brefs qui nous les présentent tour à tour; cela aiguise notre curiosité car ils tiennent des propos plutôt intellectuels et même si on ne maîtrise pas l'Histoire de l'Egypte au XXè on s'intéresse: c'est là tout l'art de Mahfouz: la vie quotidienne, celle qu'il sait si bien conter sur fond de bouleversements politiques, sociologiques,religieux. Le "Balzac égyptien" est avant tout un merveilleux conteur qui peu à peu nous emmène cinématographiquement de scènes en scènes ,de plan en plan à zoomer sur un des étudiants: Mahgoub Abd el-Dayim. Qui est-il cet "ustadh"(intello étudiant version 68 Grandes Idées / Totale Révolution)? Je serai claire: un cynique qui suit égoïstement ses penchants pour l'arrivisme, un jaloux social dans une société qui ne laisse aucune place aux pauvres - ce n'est pas pour rien qu'on nomme aussi Mahfouz le "Zola du Nil"!!! Vous le verrez gravir à la façon d'un maquereau quelques degrés de l'échelle sociale en peu de temps et....je vous laisse deviner la suite!!Au passage, charge garantie sur les fonctionnaires à cette époque!!Entre temps il aura testé pour sa plus grande douleur les vertus et les désagréments de son expression favorite qui résume sa philosophie nihiliste : "Baste". Cette expression très présente lors de son prtrait dans les premiers chapitres se raréfie au fur et à mesure qu'il s'humanise, qu'il devient humain- mais je ne veux pas dire "bon"!!Certes il semble justifié de se conduire en Total Nihiliste dans une telle société, mais cela ne l'empêche pas de souffrir.Mais il est monstrueux d'audace et de cynisme.Sa "Belle du Caire"approuve ses tendances et on a du mal à la plaindre. Passés les premiers chapitres d'exposition(un bijou de construction), nous voilà en position de suivre Mahgoub; mais il faut bien le dire, ce point de vue interne à la 3è personne nous empêche de nous identifier pleinement avec ce salaud"c'est-la-faute-à-la-société". L'art de Mahfouz c'est aussi cela: nous coller littérairement au plus près d'un personnage bien peu recommandable et nous offrir la possibilité de le distancier dans son contexte historique et sociologique. Car Mahfouz ne juge pas, il conte: et on plonge dans ce que l'écrit nous apporte de plus jouissif: le Récit.

All about m - - 70 ans - 24 septembre 2006


La lecture de Patryck Froissart 10 étoiles

Titre : La Belle du Caire
Auteur : Naguib Mahfouz
Traduit de l’arabe par Philippe Vigreux
Titre original : Al Qahira Al Jadida
Editions Denoël, Paris, 2000

Naguib Mahfouz situe ce roman, comme les autres, dans cette ville du Caire dont il connaît parfaitement la géographie, l’histoire, la sociologie, les beautés et les tares.
Le récit a cette fois comme fil dynamique la corruption, dans l’Egypte des années 1930. L’étudiant pauvre Mahgoub Abd al-Dayim, pétri d’ambition et de cynisme, est prêt à tout pour réussir.
Sa rage d’arriver, sa rancœur à l’encontre de la société, son mépris de toute morale qui entraverait son dessein, l’amènent à accepter d’épouser la belle et pauvre Ihsane, qu’aime pourtant son meilleur ami, dans le cadre d’un contrat de partage adultérin avec le riche et puissant Qasim bey Fahmi, qui a réussi à la corrompre et à la déshonorer.
Mari complaisant laissant sa place au lit chaque samedi à son protecteur, le jeune ambitieux, avec la complicité de sa femme, gravit à une vitesse fulgurante les premiers échelons d’une carrière ministérielle qui s’annonce brillante, et a bientôt ses entrées dans la « société » cairote.
Plus dure sera la chute…
Le roman se termine par une scène de vaudeville dramatique où tout s’écroule dans sa vie « familiale », provoquant un scandale qui entraîne la chute du ministère.
L’intrigue est fondée sur le fonctionnement vicieux des mécanismes de promotion sociale de l’Egypte de l’époque, où dominent prévarication, cynisme, cruauté, immoralité, avidité, jalousie, sur fond de misère sociale ignorée, voire méprisée par une bourgeoisie installée dans le luxe et l’ostentation.
Comme tout roman de Naguib Mahfouz, la politique est tantôt en toile de fond, tantôt intimement liée au destin des personnages, et les dialogues et réflexions intérieures des étudiants posent les questions essentielles, religieuses, philosophiques, existentielles…
Un bon moment de lecture en perspective, même si on ne retrouve pas ici le souffle puissant de la trilogie.

Patryck Froissart, le 7 janvier 2006

FROISSART - St Paul - 77 ans - 20 février 2006