La conversation de Bolzano
de Sándor Márai

critiqué par Jlc, le 4 juillet 2006
( - 80 ans)


La note:  étoiles
Bas les masques!
Sandor Marai est un grand écrivain hongrois, né avec le vingtième siècle dont il combattra toutes les formes d’oppression de la pensée et de la liberté, qu’elles soient fascistes dans les années trente ou communistes après la seconde guerre mondiale. Malade d’exil il se suicidera en 1989, quelques mois seulement avant la libération de son pays. « Divorce à Buda », « L’héritage d’Esther » et surtout, à mon avis, « Les braises » sont de remarquables romans sur l’amitié trahie, les amours déçues, l’agonie d’une époque et d’une société, celle de l’empire austro-hongrois balayée par l’histoire tragique de son siècle.

« La conversation de Bolzano » est d’une toute autre veine dans son œuvre. Elle raconte le temps d’un refuge de Casanova dans la petite ville de Bolzano après son évasion des prisons vénitiennes de la « Sainte » ( ?) Inquisition. Bien vite l’affaire s’ébruite et Casanova qui a osé braver l’ordre moral apparaît, notamment pour les femmes de la région, comme « un vrai homme, ce qui est rare ». Casanova est non seulement un homme libre, c’est aussi un homme rare, de l’espèce de ceux dont « toutes les étincelles de l’esprit » et la force du corps sont consacrées aux charmes de la vie. Pourtant il ne va pas séduire Térésa, la jeune servante « aux yeux vides » de l’hôtel où il séjourne. Plus sage que naïve, elle sait bien que « celui qui promet a déjà menti », même si ce mensonge, « rien que toi », était quand même un peu la vérité. Et puis Casanova a grossi, perdu ses cheveux, vieilli.

Pourquoi Bolzano ? N’est-ce pas pour y retrouver Francesca, la seule qu’il aurait pu aimer, la seule qu’il a peut-être aimée, la seule en tout cas dont il a eu pitié? Mais il faut vivre, trouver de nouveaux expédients pour pouvoir repartir et continuer, libre mais seul, sa route vers le plaisir, la séduction, la légèreté qui cache mal un profond désarroi, celui qu’il ne peut avouer : au fond il est plus choisi qu’il ne choisit lui-même. Il utilise son factotum, moine défroqué, ses protections vénitiennes, son talent, son art auprès de malheureux d’amour dont une solide toscane qui a tout donné à l’homme qu’elle aime, sauf…le bonheur. Casanova, cet égoïste absolu sait bien que l’égoïsme est une incapacité d’aimer.

Tout ceci n’est que broutilles, face au vrai enjeu : la possession de Francesca. Elle est maintenant mariée au vieux comte de Parme qui, un soir de bal masqué, va passer un contrat avec Casanova pour qu’elle s’évade de ce sentiment latent et lancinant qu’elle éprouve pour celui qui ne fut jamais son amant. L’amour, la finesse d’esprit et l’amertume cruelle de Francesca transformeront le contrat en piège, la vengeance en solitude, la liberté inutile en errance perpétuelle. Les masques sont tombés.

Tout grand écrivain n’écrit pas que de grands livres et c’est, tristement, le cas ici. Comme toujours chez Marai,on retrouve sa façon de faire en de longs échanges entre les protagonistes, une écriture souvent somptueuse, un style de belle élégance. Mais l’auteur ne nous fait pas la conversation, il aligne une suite de longs monologues et ce qui dans « Les braises » est superbement rendu est ici bien fade, voire ennuyeux. Ceci tient au fait que le sujet de ce roman est trop petit, le fil trop ténu pour nous intéresser 300 pages durant. Ce livre est un très clair démenti au mot de Jacques Chardonne pour qui « quand un écrivain a du style, ce qu’il dit a peu d’importance. » Dans « La conversation de Bolzano », les mots y sont, les idées non. On ne converse pas, on discourt, on n’écoute pas, on affirme. Chose significative : les paragraphes sont extrêmement longs, sans respiration pour celui qui entend et ne peut réagir. Nous sommes loin de la commedia dell’arte, de la grâce d’un Fragonard, de l’enchantement lumineux d’un Mozart, de la spontanéité d’un Marivaux.

Casanova est pitoyable, Francesca belle et intelligente, le vieux comte amoureux et adepte de Machiavel. La conversation qui était censée se nouer entre le vieux mari, la femme et l’artiste en séduction s’étire en tirades au lieu d’être un feu d’artifice d’insolence et d’amour, de saillies spirituelles et de rouerie libertine.

Ce qui aurait pu être une jolie nouvelle est devenu un médiocre roman. Autant lire Casanova dans le texte « Histoire de mes fuites des prisons de la République de Venise qu’on appelle les Plombs » ou relire Marai, « Les braises
sens ? 4 étoiles

Un épisode de la vie de Casanova ? un désenchantement global vis-à-vis de la vie. Une baudruche qui se dégonfle ? Des rapports entre les humains bien vides de sens en tous les cas. Un mythe en déconfiture, des personnages sans beaucoup d'épaisseurs qui sont confrontés au vide ou qui tentent de trouver en vain un sens. Une conversation souvent à une voix et une voix bien pessimiste. Un roman très plombé qui à mon avis aussi n'atteint pas la valeur d'autres écrits du même auteur, à moins que ce monologue, plus qu'une conversation, ne trahisse aussi par son style le vide des personnages. A comparer avec "Métamorphoses d'un mariage" du même auteur, qui est beaucoup plus réussi à mes yeux.

Printemps - - 65 ans - 15 août 2009