Une chambre à soi
de Virginia Woolf

critiqué par Mieke Maaike, le 1 juillet 2006
(Bruxelles - 51 ans)


La note:  étoiles
... et 500 livres de rente
Virginia Woolf écrit cet essai pamphlétaire dans le cadre d'une conférence sur le féminisme qu'elle a dispensé aux étudiantes de l'université de Cambrigde, portant sur les femmes et le roman.

Dans un style mêlant évocation, irritation et ironie, elle détaille les conditions matérielles limitant l'accès des femmes à l'écriture: interdiction pour les femmes de voyager seules pour s'ouvrir l'esprit, de s'installer à la terrasse d'un restaurant pour prendre le temps réfléchir, de s'assoir dans l'herbe à la recherche d'une idée, d'accéder à la bibliothèque de l'université. Woolf s'attarde sur les contraintes liées au mariage, à la charge des enfants et du ménage, ne laissant plus le temps aux femmes de se consacrer à l'écriture. A ce vieil évêque qui a déclaré qu'il était impossible qu'une femme ait eu dans le passé, ait dans le présent ou dans l'avenir le génie de Shakespeare, elle répond « il aurait été impensable qu'une femme écrivît les pièces de Shakespeare à l'époque de Shakespeare » en comparant les conditions de vie de Shakespeare et celles de sa soeur.

Quand bien même les femmes voulaient écrire dans ces conditions, elles devaient braver le discours dominant qui leur faisait douter de leurs capacités et tentait de les décourager: « "La caractéristique de la femme, disait avec emphase M. Greg, c'est d’être entretenue par l'homme et d'être à son service." Il existait une masse immense de déclarations masculines tendant à démontrer qu'on ne pouvait rien attendre, intellectuellement, d'une femme ».

Woolf dégage deux éléments indispensables pour permettre à une femme d'écrire:
- avoir une chambre à soi qu'elle peut fermer à clé afin de pouvoir écrire sans être dérangée par les membres de sa famille;
- disposer de 500 livres de rente lui permettant de vivre sans soucis. Elle rappelle à ce titre que les femmes ne pouvaient pas posséder l'argent qu'elle gagnaient, et déclare, à l'époque où les femmes se voient accorder le droit de vote: « De ces deux choses, le vote et l'argent, l'argent, je l'avoue, me sembla de beaucoup la plus importante. »

Quand bien même les femmes auraient pu braver toutes ces épreuves et publier un livre, elles devraient encore faire face à la critique empreinte de "valeurs masculines": « Parlons franc, le football et le sport sont choses "importantes"; le culte de la mode, l'achat des vêtements sont choses "futiles". Et il est inévitable que ces valeurs soient transposées de la vie dans la fiction. Ce livre est important, déclare la critique, parce qu'il traite de la guerre. Ce livre est insignifiant parce qu'il traite des sentiments des femmes dans un salon. Une scène sur un champ de bataille est plus importante qu'une scène dans une boutique - partout et d'une façon infiniment plus subtile, la différence des valeurs existe ».

Ce livre a été écrit en 1929 et n'est heureusement plus (totalement) d'actualité. Puissent se réaliser entièrement les paroles prophétrices de Woolf: « Les femmes, dans cent ans, auront cessé d'être un sexe protégé. Logiquement, elles participeront à toutes les activités, à tous les emplois qui leur étaient refusés autrefois. La bonne d'enfant portera le charbon. La vendeuse conduira une machine. (...) Tout pourra arriver quand être une femme ne voudra plus dire: exercer une fonction protégée ».
De la difficulté de vouloir être écrivain quand on est une femme 9 étoiles

Voici un beau petit livre, tout fait d’une pétillante intelligence, et qui sait aborder avec légèreté et humour des thèmes à priori peu faits pour être joyeux : les femmes et la littérature, ou plus exactement la difficulté d’être (ou de vouloir être) écrivain quand on est femme. Plus encore dans les siècles d’avant le XXème.

Ainsi, Virginia Woolf, dans un style agréable à lire, presque primesautier, analyse impitoyablement les rapports que les femmes ont pu entretenir (ou plutôt ont été empêchées d’entretenir…) avec la littérature, les livres, l’écriture, le roman, du fait que la société d’alors leur assignait une place bien définie et qu’on leur interdisait d’en sortir (mariage, maison, enfants…), victimes des préjugés masculins alors dominants et qui tenaient lieu de vérités pour les hommes ET les femmes.

Du coup, pour les rares femmes qui ont su (et surtout ont pu) écrire, des conditions initiales leurs ont été indispensables, c’est-à-dire de pouvoir disposer de temps, d’une chambre à soi et des revenus personnels qui leur étaient permis d’en user à leur guise et enfin d’avoir le courage d’aller à contre-courant des préjugés largement masculins. Ces conditions, hélas, l’immense majorité des femmes n’en pouvaient disposer, empêchant donc nombre de talents féminins d’éclore et privant la société de leurs productions écrites qui n’en auraient pas été inférieures à celles qu’avaient produites les hommes, comme on peut le constater à notre époque actuelle.

Virginia Woolf, qui a vécu au début du XXème siècle, est elle aussi un exemple éclatant du talent littéraire au féminin. Elle a été l’une de celles, avec d’autres, par l’exemple, que les femmes savaient écrire, pour peu qu’elles eussent la liberté de choisir d’être écrivain si tel est leur désir dans leur vie.

Je note, d’après la critique d’Alouette, de lire Trois guinées, « qui reprend et complexifie les idées de Une chambre/pièce à soi ».

Cédelor - Paris - 53 ans - 27 avril 2023


Une pièce à soi 10 étoiles

J'ai lu ce livre avant Trois guinées. Le texte a été retraduit (chez Payot Rivages), le titre modifié : de Une chambre à soi, à Une pièce à soi. Je préfère la deuxième version "plus neutre". L'espace que les femmes investissent ne doit pas être défini au préalable.

Le texte est mordant, vivant, c'est un vrai plaisir de le lire. Toutes ces femmes ont dû lutter pour écrire, pour trouver du temps pour soi (qui écrivait entre deux tâches ménagères, sur un coin de table, en coup de vent : combien de femmes douées ont vécu dans l'ombre d'un frère ?).
Et c'est ce que revendique l'auteure. Pour pouvoir écrire, penser, les femmes doivent avoir d'une part une pièce à soi, une sorte de refuge pour disposer de leur liberté et d'autre part une indépendance économique (une rente), pour pouvoir disposer de son temps.

La seule critique que l'on puisse faire, c'est que Virginia Woolf ne s'adresse qu'à une certaine classe sociale de femmes : celles qui peuvent avoir très facilement une rente (La haute bourgeoisie ? L'aristocratie ?).

Il est indispensable de lire Trois guinées dans la foulée qui reprend et complexifie les idées de Une chambre/pièce à soi.

Alouette - Seine Saint Denis - 39 ans - 18 février 2015


Un texte avant-gardiste pour son époque 7 étoiles

En 1929, Virginia Woolf milite pour que les femmes puissent écrire et être reconnues comme écrivain. Pour nous aujourd’hui il est difficile de se rendre compte de la situation des femmes à cette époque ne disposant pas du droit de vote et de revenus personnels, que de chemin parcouru et restant à parcourir.

Ichampas - Saint-Gille - 60 ans - 29 mai 2012


Un appel pour l'autonomie des femmes écrivains 9 étoiles

La soeur de Shakespeare, si brillante poétesse qu'elle pût être, n'eût pu écrire un mot. A cela, il lui aurait fallu, comme à ses consoeurs du moment - en 1929 - , une autonomie financière, la possibilité d'isolement nécessaire que représente la "chambre à soi", éléments fort bien rappelés par Mieke Maaike, mais également un égal accès à l'éducation, similaire à celle de leurs congénères masculins.
Et c'est avec un bel humour et une ironie grinçante, en effet, empreinte de colère, qu'elle retrace une ségrégation de l'instruction et de l'accès à l'enseignement supérieur et aux bibliothèques, donc à la culture.
Cette éducation a des conséquences sur l'écriture, les femmes rédigeant encore majoritairement, en 1929, des romans, dont elles commencent seulement à s'émanciper : elles retranscrivent dans leur création une part de ce qu'elles ont reçu.
Et, si elles n'écrivent pas sur les hommes, l'auteur s'étonne de l'abondante littérature au sujet des femmes, qui constituent un inépuisable objet d'étude anthropologique.

Ce texte court, qui est la retranscription d'une conférence, est fait pour être lu. Il est incisif, piquant et interpelle. J'adhère à la thèse générale, qui semble aujourd'hui couler de l'évidence ; mais il demeure la question de l'auto-censure féminine dans l'orientation et des reliquats de discrimination dans l'accès à l'emploi et la rémunération.

Mercredi soir, je suis allé voir, avec un groupe d'Encore féministes, la représentation théâtrale de cet essai, interprété par Edith Scob, qui retranscrit l'ironie et l'aigreur de l'auteur. C'est un choix qui se tient et qui peut être justifié par la lecture de ce texte. Mais il aurait été possible d'opter pour une plus grande générosité dans l'humour.
La représentation est entrecoupée d'extraits sonores de la conférence elle-même, avec la voix de l'auteur, ce qui est une excellente idée. Et il me semble opportun de ne pas trop s'en inspirer dans l'interprétation, ce qui eût relevé d'une imitation émolliente et d'une créativité bien réduite.

Veneziano - Paris - 47 ans - 8 novembre 2008