Mille roses trémières : L'amitié de Paul Morand
de Marcel Schneider

critiqué par Sahkti, le 29 juin 2006
(Genève - 49 ans)


La note:  étoiles
Amitié indéfectible
En apparence, tout opposait Paul Morand et Marcel Schneider. Des goûts artistiques différents, un mode de vie aux antipodes de celui de l'autre, un sens de la vie pas vraiment en adéquation avec la conduite de l'autre... bref, deux hommes que plus d'un élément semblait dissocier. Et pourtant...

A la lecture de ce très beau témoignage de Marcel Schneider, je réalise que l'amitié qui liait les deux hommes appartient à la catégorie des rocs, des pierres immuables qui durent plus longtemps que les années qui passent.
Car si les deux hommes ne paraissaient pas faits pour s'entendre, ils étaient animés tous deux par ce sentiment amer d'impuissance devant le déclin de la civilisation, cette dégénérescence inexorable contre laquelle personne ne semblait vouloir faire grand chose.

Il aura fallu à Marcel Schneider onze ans pour devenir l'ami de Paul Morand. Une amitié qui se traduira, jusqu'à l'ultime souffle de Morand par des événements inhabituels. A sa mort, par exemple, Morand a légué toute sa garde-robe à son ami Schneider, même les tenues d'académicien et d'ambassadeur. Marcel Schneider ne conservera que l'essentiel, les vêtements qui lui rappellent l'ami.

Dans ces lignes on devine que plusieurs secrets resteront intimes à jamais, question de pudeur, de respect mais aussi de fidélité. Schneider n'escamote pas pour autant le visage caméléon de Paul Morand, vilipendé pour ses prises de positions politiques clairement douteuses.
C'est un témoignage qui me semble important. En conservant à portée de réflexion la subjectivité liée à la nature du récit, il n'en demeure pas moins que c'est un portrait riche et essentiel de Morand qui nous est livré là.

Clôturons à la manière de Paul Morand qui signait ses lettres aux intimes de "Mille loukoums, mille roses trémières, mille glycines...".
Parce que c'était lui 8 étoiles

Sahki a fait une excellente critique de ce livre, si excellente que je l’ai lu. Je voudrais livrer seulement quelques impressions personnelles.

Pour comprendre l’amitié entre ces deux hommes, on pourrait reprendre la célèbrissime formule de Montaigne sur La Boétie « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. ». Il n’y a en fait rien à comprendre dans cette alchimie de l’amitié, comme dans celle de l’amour. Et Schneider, sans vraiment rien expliquer en parle très bien en nous faisant découvrir un autre Morand, le sien. Le vrai ? Il n’escamote aucun défaut majeur de son ami mais c’est pour y mieux déceler une qualité enfouie : indifférence va de pair avec fidélité à ses amis, égoïsme avec sensibilité, sécheresse de cœur masque bonté et noblesse d’âme.

C’est en cela que ce livre est aussi captivant qu’émouvant, par ce sens de l’amitié et de la fidélité que l’on retrouve chez l’un et l’autre. Ce Morand, complexe et contradictoire n’a jamais prétendu qu’à une chose : la qualité d’écrivain. Et Dieu sait qu’il l’est ! Cet homme qui, dans les dernières années de sa vie, ne vécut « ni dans le passé, ni dans le présent [mais] dans le perdu » garde une actualité par l’acuité de son regard sur un monde finissant qui en annonce un autre. « Il savait que le bonheur, comme la véritable élégance, a toujours quelque chose de mélancolique, un parfum de jamais plus » Tout Morand est là dans ces quelques lignes de Schneider.

Ce petit livre est autant un bijou sur l’amitié qu’une évocation de Paul Morand. C’est pour cela aussi qu’il faut le lire.

Jlc - - 80 ans - 16 juillet 2006