La femme gauchère
de Peter Handke

critiqué par Ichampas, le 26 juin 2006
(Saint-Gille - 60 ans)


La note:  étoiles
Un moment de vie d'une femme ...
Quatrième de couverture

« Sans raison », sans récrimination ni reproche, sous le coup d’une illumination qu’elle n ‘expliquera pas, et ne l’explique sans doute pas elle-même, mais à laquelle elle a le courage d’obéir, la femme de ce récit demande à son mari de s’en aller, de la laisser seule avec son fils de huit ans. La voici, désormais, « libre ». Le mot, trop grand, trop précis ; n’est pas prononcé, ni pensé peut-être, mais les premiers moments d’allégresse disent bien le sentiment de la liberté recouvrée. Cependant, que promet en fait, cette libération ? d’abord, et pour longtemps, l’inéluctable apprentissage de la solitude. Apprentissage sans règle, sans forme, sans but, sans fin visible, sorte de régression absolue, dans une incertitude, un désarroi pires que ceux de l’enfance. Cette vie, où les geste les plus simples deviennent des événements insolites, privés de naturel, ralentis ou syncopés comme par l’intervention d’un « malin génie » cinématographique, est-elle encore vivable ? Avec la simplicité déroutante que nous lui connaissons, son laconisme tout à fait singulier, peut-être unique dans la littérature romanesque, Peter Handke impose puissamment à l’enchaînement es faits et gestes insignifiants e la vie quotidienne une dimension universelle et tragique. Ce livre peut être perçu aussi de façon plus secrète : la décision de rupture de « la femme » (c’est ainsi qu »’elle est désignée tout au long du récit), son choix de la solitude, apparemment gratuits, sont peut-être le signe, qu contraire, de l’irruption en elle d’un exigence proprement spirituelle. A deux moments au moins, elle en laisse paraître quelque chose. L’un, sur la fin, lorsqu’elle se dit dans un modeste triomphe (c’est le prix de la solitude) : « personne ne t’humiliera plus » : l’autre lorsqu’elle confiait à une amie en affectant de ne pas trop y croire, qu’elle ne pourrait vivre avec un homme qu’à condition de ne pas parvenir à le connaître.

Mon avis personnel
L’héroïne, « la femme », nous ne connaissons même pas son prénom ou nom, expérimente la vie seule, avec son enfant, tout le quotidien s’en trouve bouleversé, différent. Ce récit dérange, le romancier nous laisse approcher la femme sans nous dévoiler ses sentiments profonds. Nous aimerions en savoir plus et en même temps cette forme de récit séduit, enchante et se laisse dévorer.
La vie suit son cours 9 étoiles

Les romans de Peter Handke ont quelque chose de suffisamment étrange pour que le lecteur continue à s'interroger à la fin de la lecture. Dans "La femme gauchère", Marianne demande un beau jour à son mari de partir. Rien ne la destinait à faire une telle annonce, bien au contraire. Son époux rentrait d'un déplacement ; elle faisait même une remarque à son fils pour qu'il soit enthousiaste de ce retour. Pourtant elle fera une telle demande. Le mari accepte à notre grande surprise. Un épisode qui aurait dû être longuement débattu se voit mentionné en quelques lignes, alors qu'il aura forcément l'effet d'un séisme dans leur vie respective. Le roman est court et le lecteur suit le quotidien de ce personnage féminin après une telle annonce.

Peter Handlke a une façon de narrer qui lui est propre. Il relate les moindres faits et gestes de ses personnages, ce qui fait que l'on a parfois tendance à regarder de trop près les détails. C'est pourtant la vue globale qui donne tout son sens à ces textes qui interpellent. L'auteur a expliqué que ce roman est né alors qu'il vivait avec sa fille à Francfort. Il voyait dans les immeubles environnants des femmes seules et il a voulu écrire un roman qui parlerait de l'une d'entre elles. Il se trouve que la rédaction de ce texte est concomitante avec les écrits féministes de cette même période, mais ce n'est pas forcément cette lecture-là de son roman qu'il souhaite. Il est vrai que cette femme se libère de son couple et des conventions sociales. Elle dira même qu'elle ne sera plus humiliée désormais. Peter Handke a le sentiment que l'homme a divorcé avec la femme en ce siècle, que le gouffre s'agrandit entre les deux sexes. Marianne, quant à elle, estime que ce qu'elle pense être ne coïncide pas avec l'image qu'ont les autres d'elle. "L'enfer c'est les autres" rappellerait Sartre.

Le roman permet un questionnement sur l'identité. On a le sentiment que l'héroïne essaie de reprendre sa vie en main même si elle se sent souvent menacée par les propos des uns et des autres. Elle aura de nombreuses discussions avec divers personnages. Son rapport au monde est intéressant. On a souvent l'impression que les personnages de Handke voient le monde d'une autre manière que nous. Peut-être est-ce une façon de le voir avec plus de justesse.

Au départ, j'ai rencontré quelques difficultés à entrer dans le roman car le style de l'auteur est toujours déconcertant et les faits s'enchaînent tellement vite qu'il est compliqué de s'immerger rapidement dans le roman. Une fois entré dans l'univers de Handke, je prends vraiment plaisir à le lire. On ne sait jamais à quoi s'attendre. Même si les épisodes narrés sont courts, ils possèdent une force qui les rend marquants comme la venue du père de Marianne, ou bien les discussions avec son éditeur, ou même l'une des scènes finales où de nombreux personnages du roman se trouvent rassemblés en un même lieu. Ce roman interroge et nous fait réfléchir sur l'être humain et sur la banalité de l'existence. La vie suit son cours quelles que soient les décisions que l'on prend.

Pucksimberg - Toulon - 44 ans - 21 juin 2020