La Main blessée
de Patrick Grainville

critiqué par Natalina, le 25 juin 2006
(Mulhouse - 52 ans)


La note:  étoiles
Main égarée entre amour et passion
Un écrivain, qui est aussi professeur de lettres dans un lycée, voit son outil « organique », sa main, se crisper dans une terrible crampe qui l’empêche de poursuivre son travail sereinement. Un véritable drame, donc.

Dans ce roman, où s’arrête l’auteur, où commence le narrateur ? On ne le sait pas vraiment. Car Grainville est lui même un auteur – professeur. Et ce récit, bien souvent, sent le vécu…

Notre auteur, donc, privé de son précieux instrument, s’aventure sur moult chemins farfelus pour retrouver la souplesse de celui-ci : guérisseur ardéchois, divers ostéopathes, et même un marabout malien.

Parallèlement, il s’interroge sur ce qui, dans sa vie, a bien pu causer une telle réaction physique : est-ce sa vie professionnelle - partagée entre ses travaux d’écrivain dans un beau quartier et son activité d’enseignant dans une cité, auprès de la ribambelle d'adolescentes belles et rebelles que forment Naïma, Salima, Kahina et Houria ? Ou sa vie affective, déchirée entre l’aimée et des maîtresses successives dont il ne peut se passer ni se défaire ?

Sa main n’est en effet pas sa seule préoccupation : il est passionément amoureux de Nur, jeune égyptienne qui s’occupe du vieil homme habitant juste l'appartement du dessus. Le reste de ses journées, elle travaille à mi-temps dans une librairie, ou monte et soigne amoureusement son cheval, la majestueuse Melody Centauresse.

La trentaine, Nur porte les cheveux courts, noirs et bouclés. Cette femme jolie, fine, déterminée, fière, un peu garçonne, s’est laissée séduire par le talent de l’écrivain. Mais d'emblée, elle a joué cartes sur table : celle qui habite en réalité son cœur se prénomme Balkis, amour qu’elle a du laisser au Caire, après que leur relation naissante eut été stoppée nette dans son élan par le père de Balkis, qui a surpris les deux jeunes femmes ensemble. Choqués, les parents de Balkis ont obligé leur fille à revenir sur le « droit chemin » en prenant un mari. Nur, terriblement déçue, a alors quitté l’Egypte pour Paris.

Pourtant, l’adversité et le mariage de Balkis ne sont pas venu à bout de leur idylle : en secret, les deux femmes continuent d’entretenir des échanges épistolaires enflammés. Dans l'espoir secret de se retrouver...

Et voilà que ce jour vient : Balkis, dans son dernier courrier, annonce à son amante qu’elle arrive en France ! Elle a prétexté une visite à une cousine, et son mari, malgré quelques réticences, a fini par la laisser partir … Nur, folle de joie, annonce la nouvelle à son amant, et l’auteur comprend bien vite qu’il lui faut s'effacer.

Progressivement, un chassé croisé sentimental se tisse, tout en sensibilité, en nuance. Avec pour toile de fond un amour fort pour la « gente » hippique, les chevaux étant décrits avec une passion quasi érotique qui n’est pas sans surprendre.

Que dire de plus ? En fait, dans les premières pages, le style de l’auteur peut sembler un peu lourd, excessif, redondant dans ses termes. Grainville se réclame du style « baroque » et sans doute est-ce cela le baroque : l’excès, le chevauchement des mots jusqu’au vertige. Mais au fil des pages, on s’habitue à ce rythme et on s’attache à ces personnages, à leurs tourments, à leurs doutes, … Un seul conseil donc : ne pas s’arrêter en début de lecture, la suite vaut d’être lue …