La tentation des armes à feu
de Patrick Deville

critiqué par Reginalda, le 22 juin 2006
(lyon - 57 ans)


La note:  étoiles
Juste un écrit de plus
Parmi les premiers livres de Patrick Deville (publiés chez Minuit), deux sont brillants et auraient mérité d’avoir un succès critique et public beaucoup plus grand : Longue vue (1988) et Le Feu d’artifice (1992). Très différents l’un de l’autre, originaux par l’écriture comme par leur structure narrative, ils font partie des romans contemporains que je relis avec admiration depuis leur parution, et ils m’ont donné envie de tout lire de cet auteur. Les suivants, La Femme parfaite (1995) et Ces deux-là (2000) étaient moins bons, sentant l’artifice (sans feu) et faisant penser que le romancier exploitait une veine déjà épuisée. L’esprit, le ton et les procédés de Pura vida (2004) marquaient un changement, mais hélas, ce n’était pas pour le mieux : la « nouvelle manière » de Deville n’en était pas vraiment une, j’entends : il n’y avait pas là ni une écriture aussi riche qu’auparavant, ni une construction méritant ce nom, ni un propos digne de vrai intérêt. J’attendais avec impatience de voir si le prochain serait à la hauteur du mieux que peut (que pouvait ?) faire l’écrivain ; l’ayant lu, je n’ai pu que me décider à écrire ce qui suit.
Si la critique ayant pignon sur rue faisait bien son travail, il se serait trouvé au moins un salarié de supplément littéraire pour dire à Patrick Deville – plutôt que de lui adresser des compliments vides de sens comme on peut en faire sans l’avoir lu – que son dernier livre est encore plus mauvais que le précédent, et qu’à ce rythme-là, bientôt, même les fidèles de ma sorte décideront de cesser de le lire, par pur goût pour son talent, ce qui n’est pas un paradoxe. Le bilan de deux livres remarquables sur cinq était honorable ; deux sur six, sept, huit ou plus – s’il continue de même -, cela devient affligeant, menant à l’idée que le talent qu’on avait espéré voir donner d’autres fruits savoureux s’est déjà desséché depuis longtemps.
La Tentation des armes est un roman (d’autofiction) qui ne semble avoir aucune raison d’être autre que l’envie d’écrire quelque chose de plus : son contenu est indigne de l’auteur de Longue vue, revenant à exploiter avec complaisance une mince histoire d’amour avortée, et à exposer des coïncidences liées à un roman méconnu - le genre de coïncidences déjà surexploitées par d’autres écrivains (dont Paul Auster et W.G. Sebald) qui ont au moins le mérite d’y avoir pensé les premiers. Quant au style, les procédés y relèvent du réchauffé (on dirait que Deville se pastiche), et l’indigence de la construction narrative porte à croire que l’auteur a baissé les bras par avance, sur le plan qui contribuait grandement, il y a dix-quinze ans, à faire son excellence. Je ne peux que conclure : c’est un livre ni fait, ni à faire – avec la violence (sans tentation des armes) que je n’aurais pas eue si je n’avais pas estimé l’écrivain.
Faisons un rêve : Deville se rendra compte qu’il vaut mieux s’abstenir d’écrire et/ou de publier quand on risque d’être en dessous de son meilleur niveau, et attendra autant qu’il faut pour retrouver la vraie énergie créatrice, d’où sortira enfin un livre superbe, propre à nous faire perdre la nostalgie de sa première période.