Partir
de Tahar Ben Jelloun

critiqué par Bachy, le 22 juin 2006
( - 61 ans)


La note:  étoiles
Emigration
Tahar Ben Jelloun situe la trame de son roman à Tanger dans les années 1990. La ville est gangrenée par le chômage, la prostitution, la corruption et les trafics en tout genre. Le lieu est un parfait observatoire des rêves d'une Espagne située à 14 petits kilomètres. Au café Hafa, Azel – Azz El Arab -, diplômé en droit sans emploi, tue le temps, obsédé par l'ailleurs. Quitter le pays. C’est une obsession, une sorte de folie qui le travaille jour et nuit. Comment s’en sortir, comment en finir avec l’humiliation? Partir, quitter cette terre qui ne veut plus de ses enfants, tourner le dos à un pays si beau et revenir un jour, fier et peut-être riche, partir pour sauver sa peau, même en risquant de la perdre... Il y pense et ne comprend pas comment on en est arrivé là; cette obsession devient vite une malédiction. Il se sent persécuté, maudit et voué à survivre, sortant d’un tunnel pour déboucher dans une impasse.
Sortant d’un pub, Azel se fait tabasser par deux hommes à la solde de l’homme le plus puissant de Tanger. Le voyant en mauvais état, Miguel le ramasse et l’emmène dans sa voiture. Miguel est un mondain dans l’âme. Il adore les soirées où l’on fréquente des célébrités. Cela l’amuse et il en tire une certaine fierté. Il comprend qu’une aventure ou même une histoire sérieuse est possible. Il l’emmène chez lui à Barcelone avec un visa en bonne et due forme. Il aime la peau mate des Marocains, leur maladresse, mot qu’il utilise pour parler de leur ambiguïté sexuelle. Il aime leur disponibilité, qui marque l’inégalité dans laquelle les liens se tissent. Ainsi, tantôt domestique le jour, tantôt amant la nuit. Habillé d’une façon quelconque pour faire le marché la journée, vêtu avec des habits de choix le soir pour le désir et l’acte sexuel. Nanti parmi les Moros sans papiers qui peuplent les bas quartiers de la cité catalane, voilà Azel, de jour comme de nuit, au service de Miguel. Bientôt, sa sœur Kenza vient le rejoindre. Miguel conclura avec elle un mariage blanc pour qu’elle reçoive également son visa. Pour ce faire, il se convertira à l’islam, ce qui facilitera également l’adoption de ses deux fils Halim et Halima. Mais, si cette dernière croque sa nouvelle vie avec voracité, le protégé de Miguel s'enfonce dans la désespérance. Il vole des objets de valeur à Miguel qui le chasse de chez lui. Azel prend conscience de sa condition de Moros et se tire.
Il devient alors indicateur de la police terroriste et meurt égorgé par les Frères musulmans comme un mouton à l’Aïd-el-Kébir.
Au cours du récit pointent les grandes interrogations de ce siècle sur l'identité des peuples, les affres de l'exil, les relations entre le Nord et le Sud, les hommes et les femmes, l’islam. Finalement, les exilés sont emportés par le vent du retour. Ils vont sans se poser de question, sans se demander ce qu’il leur arrive. Ils croient que le destin est là, les tirant vers la terre des origines, les ramenant vers le pays des racines, le destin qui s’est présenté à eux comme une sorte d’impératif, une parole non discutable, un temps hors du temps, une ascension vers le sommet d’une montagne, une belle promesse, un rêve scintillant, brûlant les étapes et dépassant l’horizon. Ils prennent la route et ont déjà oublié pourquoi ils ont émigré. Ils se dirigent vers le port. Là, une voix intérieure, une voix familière leur demande de monter dans un bateau baptisé Toutia, un bateau modeste où le capitaine a planté un arbre, en fleur et qui sent bon, un oranger ou un citronnier…
Pour Partir, il faut.... 3 étoiles

Partir, mais où?
Et, pour partir, il faut quoi?

Grisellis - - 41 ans - 20 janvier 2011


partir, partir, partir, .................................................................... 8 étoiles

Pour la jeunesse marocaine de Tanger, l'avenir est écrit d'avance, "bouché", n'offre pas de perspectives.
Les jeunes hommes se complairont dans l'oisiveté, à fumer du haschich et des longues pipes de kif dans le café Hafa, à discuter de ce qu'ils auront vus à la télévision, à se perdre dans les méandres du "Petit Socco". Accessoirement, ils travailleront.
Les jeunes filles deviendront les épouses de maris libidineux qui les tromperont avec (au choix) une prostituée, une voisine, une tante. Ou bien, appelées "filles-gambas", elles mourront de pneumonie à force de décortiquer des mauvaises crevettes importées de Thaïlande dans une usine hollandaise.

Alors, pour échapper à ce destin écrit d'avance, une idée naît, une idée fixe confinant à l'obsession, deux syllabes synonymes de vie meilleure et de bonheur utopique, deux syllabes répétées inlassablement comme une formule magique: Partir.
Un désir irrépressible, la conviction que ce serait mieux là-bas, que la vie serait plus heureuse là-bas, une fois franchis les quatorze kilomètres qui séparent Tanger de la côte espagnole ("Partir, quitter cette terre qui ne veut plus de ses enfants, tourner le dos à un pays si beau et revenir un jour, fier et peut-être riche, partir pour sa peau, même en risquant de la perdre..."). Comment peut-on expliquer cette conviction, cette idée fixe, cette envie irrépressible de partir? D'où vient-elle? Où a-t-elle pris ses racines, sa source? Comment s'est-elle immiscée dans la tête de tous ces jeunes Marocains de Tanger? C'est sur quoi s'interroge le personnage de Moha, dans une étonnante logorrhée: "Alors ainsi vous voulez déguerpir, partir, quitter le pays, aller chez les Européens, mais ils ne vous attendent pas, ou plutôt ils vous attendent avec des chiens, des bergers allemands, des menottes, et un coup de pied dans le derrière, vous croyez que là-bas il y a du travail, du confort, de la beauté et de la grâce, mais mes pauvres amis, il y a de la tristesse, de la solitude, de la grisaille, il y a aussi de l'argent mais pas pour ceux qui viennent sans être invités. (...) Partir, partir! Partir n'importe comment, à n'importe quel prix, se noyer, flotter sur l'eau, le ventre gonflé, le visage mangé par le sel, les yeux perdus... Partir! C'est tout ce que vous avez trouvé comme solution. Regardez la mer: elle est belle dans sa robe étincelante, avec ses parfums subtils, mais la mer vous avale puis vous rejette en morceaux...".
Mais, même si on lit dans le journal que l'Espagne renforce son système de surveillance (avec infrarouges, ultrason...), même si nombreux sont ceux qui meurent pendant le trajet, même si Al Afia, le passeur, réclame une somme mirobolante de deux mille dirhams, même s'il y a tous les problèmes de visa, de passeports, toute cette paperasse qu'il faut signer pour être en règle, même si l'Europe ne paraît pas particulièrement encourager l'immigration, même si la perspective d'un métier n'est pas du tout garantie une fois arrivés en Europe, même si, comme le remarque l'un des personnages, on ne peut y sauver sa peau qu'à condition de vendre son âme, même si, même si, même si tout cela; reste cette obsession, ce désir, cette soif, que rien ni personne ne semblent en mesure de pouvoir arrêter: Partir.

On fantasme, on rêve, on s'imagine déjà à la terrasse d'un des grands cafés de la Plaza Major de Madrid, ou vendeuse dans le grand magasin "El Corte Inglès". On veut partir vraiment, à tout prix. On s'accroche obstinément à la perspective d'un départ - pour l'Espagne, pour l'Europe, pour la France, n'importe... C'est une lueur d'espoir, une bouée de secours.
Et puis, d'un coup, on y est vraiment. Azel, un des seuls qui a étudié et qui a des diplômes (il a étudié le droit à l'université de Rabat) se prostitue pour un riche Espagnol, Miguel, séduit par sa beauté. Siham, la petite amie d'Azel, prend en charge Widad, une fille handicapée au sein d'une famille soudanaise, à Marbella. Kenza, la soeur d'Azel, organise un mariage blanc avec ce même Miguel, pour pouvoir régulariser sa situation en Espagne. A côté, Azel entretient une liaison avec Soumaya, une prostituée qui l'attire. Kenza, elle, pour se faire des sous, danse quelques fois au restaurant L'Huile d'Olive. Lalla Zohra, la mère d'Azel et de Kenza restée au pays, espère le meilleur pour ses enfants, prend soin de préparer à chaque fois un grand sac de provisions pour son "fils chéri" - avec gâteaux au miel, crêpes et olives noires. Il y aussi Malika, qui travaille dans cette usine hollandaise, à décortiquer inlassablement des crevettes importées de Thaïlande. Mohamed-Larbi qui se fait abuser par des Islamistes, et se fait envoyer dans un camp d'entraînement au Pakistan, d'où on ne le verra jamais revenir.

Ainsi, la plupart du temps, c'est une déception. Après avoir fait office de zamel, d'homosexuel passif pour le bon plaisir de Miguel, Azel devient recruteur pour la police anti-terroriste et se fait égorger par des Islamistes. Malika, comme Soumaya, se retrouvent à l'hôpital, gravement malades. Kenza, tombée amoureuse de Nazim, découvre que celui-ci est marié, et devine qu'il s'est principalement lié avec elle par intérêt - pour régulariser sa situation en Espagne - et non par amour.
En guise d'échappatoire, il reste toujours le rêve, l'évasion. La folie de Moha. Ou le pouvoir de la fiction, comme le montre le très beau personnage de Flaubert le camerounais, qui se demande s'il y a encore de la place pour lui dans un roman - la réalité s'avérant non vivable: "Il ne me reste donc plus qu'à entrer dans le roman. Mais comment devient-on un personnage de fiction? Comment se faufile-t-on entre les pages et s'installe-t-on confortablement au milieu du plus beau chapitre d'une histoire d'amour et de guerre? Madame Bovary, il n'y a plus de place pour moi, c'est complet, de toute façon il n'y a pas de nègre dans cette histoire... Où vais-je pouvoir me trouver une place, une planque?".

Matthias1992 - - 32 ans - 25 avril 2010


Partir 8 étoiles

Un bon livre de Tahar Ben Jelloun décrivant les illusions brisées des immigrés arrivés dans l'"Eldorado européen". Plus réaliste que Laurent Gaudé dans "Eldorado", mais moins lyrique, T.B.Jelloun décrit très justement et même souvent violemment l'enfer dans lequel s'embarque l'immigré lors de son départ. Il cerne de manière admirable cette question clé du monde d'aujourd'hui à travers des points de vue différents. Seul reproche, en employant une écriture très franche, T.B.Jelloun frise parfois le vulgaire et décrit de manière très (trop) négative son propre pays, le Maroc. En effet, on a presque l'impression que la moitié de la population est pédophile et que tous les policiers sont corrompus.

Alexis92 - - 32 ans - 23 juin 2009


Un rêve qui se transforme en cauchemar 8 étoiles

Tahar BEN JELLOUN grâce à sa double culture nous permet d’appréhender magnifiquement et douloureusement le rêve partagé par de nombreux habitants de pays comme le Maroc : « partir » dans l’espoir d’un avenir meilleur. Mais la réalité qui se cache derrière ce rêve peut se transformer en cauchemar, comme l’histoire d’Azel racontée avec beaucoup de sensibilité par cet écrivain qui m’avait déjà séduit auparavant.

Ichampas - Saint-Gille - 60 ans - 4 avril 2007


l'herbe plus verte ... 8 étoiles

ou le sable partout .... L'auteur nous décrit un Maroc que certains fuient pensant trouver ailleurs le bonheur. Mais qu'est-ce que le bonheur ? des biens, de la richesse aveuglante qui fait perdre les valeurs autres, les relations humaines. On rêve de devenir personnage de roman, de cinéma, mais est-ce que cela signifie pour autant que l'on soit plus heureux. Fuir la misère, la compromission pour se retrouver dans une autre misère humaine, d'autres compromissions. En fait que faut-il chercher et faut-il absolument avoir. Ou avoir n'est-il qu'un rêve, un roman ?
En tous les cas, un livre qui nous éclaire l'émigration ou l'immigration, c'est selon, par l'autre bout de la lorgnette et nous permet de mieux comprendre nos voisins "immigrés" dans la ville.

Printemps - - 66 ans - 28 janvier 2007


superbe roman sur l'émigration 9 étoiles

Tahar ben jelloun est sans conteste un des meilleurs conteurs actuels.
Son roman a pour sujet le terrible problème de l'émigration de jeunes maghrébins vers l'Europe qui leur apparait comme l'Eldorado absolu et qui risquent leurs vies en voulant traverser la Méditerranée et aussi en se faisant souvent arnaquer par des passeurs ignobles.
L 'auteur nous ouvre les yeux sur les problèmes existentiels de ces populations
pauvres sans travail et qui rêvent d 'une meilleure vie.

Francesco - Bruxelles - 79 ans - 27 janvier 2007