Roman de cape et d’épée façon chinoise, ou comment sous le régime plutôt faible et corrompu des Song des bandes de hors-la-loi s’organisent sous la conduite de héros (moines défroqués, officiers injustement condamnés, fonctionnaires corrompus ou authentiques brigands), tous experts en art martiaux.
Ces braves « férus de justice et insoucieux des richesses » multiplient les coups de main et les embuscades, boivent et mangent comme des ogres, s’expriment avec verdeur et utilisent ruse et complicités pour s’échapper lorsqu’ils sont exilés dans des bagnes aux marches de l’Empire. L’ensemble du récit est plaisant, un peu répétitif comme le sont souvent ces épopées, parfois un peu dur suivre quand on retrouve après moult épisodes un des 108 héros... Tout l’effort mis dans les péripéties se fait naturellement un peu au détriment de la profondeur psychologique des personnages qui se succèdent à grande vitesse et dont les modes de réaction sont assez sommaires.
Les traducteurs ont eu recours au vocabulaire moyenâgeux pour transposer le récit et nous mettre dans l’ambiance, sans nuire à la compréhension car des notes abondantes et un lexique donnent tous les détails nécessaires sur la culture, le contexte et la géographie.
Au final, un ouvrage distrayant qui se lit bien, même si il est un peu long.
Romur - Viroflay - 51 ans - 31 décembre 2016 |
Au cours des années 1120, tandis que les Song du Nord, qui règnent sur la Chine depuis un peu moins de deux cent ans, assistent, sous la commande de l'empereur Hui Zong (un homme qui se destinait aux arts et lettres), au déclin graduel de leur nation, des hommes, issus de toutes les couches de la société, victimes d'abus, d'injustices et d'autres mauvais traitements, choisissent la voie de la rébellion. L'un d'eux, un certain Song Jiang, petit fonctionnaire sans prétention, se retrouve bientôt à la tête d'un groupe d'hommes dont les exploits, le sens de la justice et de la loyauté entreront éventuellement dans la légende.
Plus de deux cent ans plus tard (XIVe siècle), Shi Nai'an prends la plume et rédige les aventures de ces rebelles d'un autre temps. C'est ainsi qu'il nous donnera l'un des quatre grands classiques de la littérature chinoise.
Certes, Shi prend quelques libertés sur les faits réels, mais le contexte et le récit ne manquent pas de dépeindre avec éloquence cette Chine des Song du Nord. Ce faisant, il propose au public de son temps ce qui constituera l'un des premiers textes de fiction en prose à paraître en Chine. Qui plus est, celui-ci étant rédigé en langue vernaculaire, une rareté pour l'époque, pourra ainsi rejoindre un plus grand nombre de lecteurs. D'ailleurs, le moment est propice pour le faire, car le peuple chinois (Han), privé du pouvoir et opprimé depuis qu'il vit sous le joug des Mongols (dynastie Yuan), est on ne peut plus disposé à accueillir ce récit, considéré dans sa version originale, comme un incitatif à la rébellion.
'Au bord de l'eau' raconte donc l'histoire, romancée, de ces hors-la-loi qui, alignés derrière 108 commandants, frères de sang unis à la vie à la mort, choisissent l'exil et luttent avec l'espoir de voir la justice enfin rétabli dans leur pays.
Roman de cape et d'épée qui rappelle, sur la thématique du moins, le 'Robin des bois' des Britanniques (XIIe-XIVe siècle), mais aussi, roman historique. Car au fil de la lecture, on y découvre divers aspects de la Chine du XIIe siècle, un pays déjà peuplé d'environ 100 millions d'âmes, dont les infrastructures et institutions diverses sont déjà bien constituées, avec une organisation sociale bien installée, une nation déjà riche en industries, commerce et technologies diverses, de même que dotée de stratégies militaires fort développées. Au surplus, on y découvre quelques exemplaires de poésie d'époque, tandis que sur le plan philosophique, en confrontant le bien et le mal, cette histoire qui met en avant quelques-uns des enseignements confucéens, illustre comment l'ultime pouvoir de sanctionner sur le monde des hommes relève inévitablement du domaine spirituel.
D'une construction linéaire simple, avec un marquage temporel que l'on peut qualifier de parcimonieux, ce roman nous convie à un véritable défilé de personnages, tous admirablement conçus et décrits, qui sont introduits, dans la mesure du rôle qu'ils assumeront, au moyen d'une petite histoire personnelle, suite à quoi, lancés dans la mêlée, ils participent à l'action et donc au récit qui nous est conté.
D'une envergure hors du commun, on peut aisément spéculer au sujet du temps et de la quantité de travail requis (ce qui tend à justifier la participation, disputée par certains, de Luo Guanzhong) pour produire ces pages remplies de personnages, d'aventures, de batailles, de festins et de surprises multiples.
Dans la suite de Shi Nai'an, une poignée d'auteurs ont relevé le défi, proposant d'autres versions (souvent adaptées aux circonstances politiques de l'époque à laquelle elles ont été écrites) de ce récit issue de la tradition orale. Une première traduction en japonais paraît en 1757 qui sera suivie par de nombreuses autres versions et adaptations, tandis qu'il faudra attendre jusqu'en 1933 pour lire le roman en anglais, et en 1978 pour la traduction française. Adapté pour la télévision et le cinéma à plusieurs reprises, le récit a également inspiré moult romans, BD, manga, jeux vidéos, etc. Un classique.
Voilà donc un roman offrant à la fois une perspective sur l'histoire et un divertissement; autant de manières d'aborder ou de se familiariser avec cet immense pays qu'est la Chine.
Note: Ce compte-rendu est basé sur le texte en anglais traduit par Sidney Shapiro.
SpaceCadet - Ici ou Là - - ans - 15 novembre 2013 |