Edith Wharton
de Diane de Margerie

critiqué par Saule, le 29 mai 2006
(Bruxelles - 59 ans)


La note:  étoiles
Prendre soin de ses souffrances
Lire Wharton c’est pour moi comme écouter le troisième mouvement de la neuvième de Beethoven, ça permet de mettre un doigt sur les fêlures en moi, ce qui procure l’agréable douleur de se sentir vivre. Je crois aussi que Wharton, par moment, nous fait mettre le doigt sur la manque inhérent à notre vie humaine, et cela aussi nous fait sentir vivant. Car que ce soit dans soit dans l’amour humain ou spirituels, ou n’importe quel moment privilégié il arrive souvent qu’on ressente ce manque, ne fusse que par qu’on sait que l’instant passe et qu’on sait que la plénitude n’est pas possible. Ce manque, cette absence, c’est quelque chose de palpable, de sous-jacent dans certains livres de Wharton.

Enfin bref si j’aime Wharton c’est pour beaucoup de raisons, dont certaines me sont certainement inconnues car c’est évident qu’une œuvre comme celle de Wharton touche des côtés inconscients en nous, ce qui ne manque pas de capter notre attention, comme tous ce qui nous révèle à nous même.

Parmi ces raisons je devrais aussi parler de l’importance du non-dit dans son œuvre, du drame de la frustration, et puis encore bien plus de l’ambivalence de ses personnages (on peut comparer d’ailleurs Lily Barth à Emma Bovary d’ailleurs). Les héros de Wharton sont comme des esquifs emportés par des vagues contradictoires, ballotés entre leur conscience et les contraintes sociales, dépassés par une éducation rigide, leur environnement ou simplement leur condition de femmes dans un monde machiste.

Un exemple magistral de cette ambivalence est l’attitude de certains de ses personnages par rapport à l’attente, il est vrai que ce thème de l’attente à toujours eu un côté fascinant pour moi. Que ce soit la dame de « La récompense d’une mère » qui se complet dans la rage du souvenir et du plaisir pervers des regrets du temps passé, ou un personnage d’une nouvelle dont elle dit joliment « Elle s’était entrainée à attendre pendant des mois et des années, comme on guette sa proie ». C’est toute la question de savoir si le lieutenant Drago, dans le désert des tartares, est un héro ou un pauvre type.

Ceci pour mes réflexions personnelles sur Wharton, j’en viens maintenant à cette excellente biographie réalisée par Diane de Margeride qui est une spécialiste de Wharton. Elle est incontournable je pense : très bien écrite, elle brosse un portrait de l’auteur à travers son œuvre, l’auteur analysant avec finesse la plupart des romans importants et quantité de nouvelles (dont certaines me sont inconnues) et montrant le lien avec la propre vie de Wharton. Une vie qui fut loin d’être facile, ce qui bien sûr explique la richesse de ses écrits : ainsi le manque initial d’amour maternel, le mariage raté avec un mari neurasthénique, un mariage dont on soupçonne qu’il n’ait jamais été consommé, l’amant tardif (elle avait quarante ans) peu digne des sentiments que Wharton lui portait mais qui lui révèle la sexualité, les relations de Wharton avec Henry James et d’autres grands hommes (dont beaucoup étaient homosexuels),… Diane de Margeride met également en évidence les thèmes chers à Wharton, l’importance du non-dit (à tel point que certains biographes ont soupçonnés un inceste paternel, hypothèse ici écartée), son féminisme, le paraître et la culpabilité, et bien d’autres choses à découvrir dans cette biographie !.