Les deux étendards
de Lucien Rebatet

critiqué par Aldus, le 20 mai 2006
(Nantes - 61 ans)


La note:  étoiles
Un très grand livre...
Comment présenter ce chef d'oeuvre de la littérature française, indisponible chez Gallimard et c'est proprement regrettable. A quand un Rebatet dans la Collection Byblos. Les poules auront des dents avant que l'édition française se mette au boulot.
Lucien Rebatet est l'auteur des Décombres (1942), roman-pamphlet épique et violent d'inspiration fasciste et parfois raciste, grand succès de librairie et bréviaire des collaborateurs français. Mais il a publié aussi Les Deux Etendards en 1952. Le roman de toute une vie. Il s'agit d'un roman dense et foisonnant, dans lequel le héros, un temps dominé par un désir charnel, trahit une amitié et brise un couple mystique. Roman philosophique et d'éducation. Plongez-vous dans ce livre unique, vous ne le regretterez pas.
Magnifique. 10 étoiles

(Je vais dans cette critique, ignorer volontairement les opinions politiques de l'écrivain et me concentrer sur la lecture).

Je serai fou, absolument fou, de ne pas reconnaître un grand écrivain. Il est du niveau d'André Gide et côtoie Proust. Peut-être même encore plus haut, mais je préfère rester prudent sur le classement. Jacobsen le surpasse encore, et Dostoievski sans doute. L'oeuvre est ambitieuse et sûrement pas à portée de tout le monde, parce qu'elle affronte une question cruciale qui est aujourd'hui un peu passée de mode, celle de la conversion au catholicisme dans certains milieux intellectuels parisiens dans l'Entre-Deux-Guerres. Il faut être un minimum familier de certains thèmes. Notamment celui de la conversion au catholicisme. Rebatet est un homme du corps-à-corps, d'une audace aveuglante, il fait entrer son propos dans la chair. Il ose me figer en toutes lettres certaines réalités terribles du christianisme dont je connaissais bien sûr les détours mais sur lesquels j'avais maintes fois détourné les yeux. Il plonge son lecteur dans un athéisme bouillant, comme dans la chaux, puis nous en extirpe, hagard, agité, et nous confère une sorte de triomphe qu’on ne peut mériter.
Comme je connais assez bien la dialectique athéisme – christianisme, pour l’avoir maintes fois explorée, comme je connais aussi ses effets brûlants lorsqu’on y mêle une amitié sincère, ou mieux, un amour sincère, j’avais peur. J’avais peur qu’il ne m’aplatisse tout mon système à force de triturations (parmi mes nombreux défauts, j'ai celui d'être un chrétien à système, ne jurant que par Saint Thomas ; une race assez répandue que visiblement Rebatet connaît bien, décrite goulûment au fil du livre). 1300 pages, surtout de cet acabit, il y avait le temps de faire du dégât, des deux côtés d'ailleurs. Il ne s’est pas privé de me faire entrer dans le purin. Combien de pages on injuriait la prêtraille, avec une telle force, avec une telle vérité, que j'avais presque envie de baisser les yeux. Les systèmes idéologiques sont bien lâches et verbeux devant les complexions vivantes que nous sommes. Et pour qui a bien fouillé la philosophie, le christianisme est vraiment « le système des systèmes », la cage à oiseaux parfaite, ce truc dans lequel ton intellect entre par curiosité, et dont soudain il ne sort plus. Pour en sortir il faut un bélier ou une lobotomie. Avec ce livre-là, j’ai vu le bélier.
Final excellent.

Martin1 - Chavagnes-en-Paillers (Vendée) - - ans - 29 avril 2021


Trop détaillé par moment... mais très bon 7 étoiles

"Les Deux Etendards", expression que l'on trouverait du côté d'Ignace de Loyola, fondateur de l'ordre des jésuites, ce sont ces deux courants de "pensée" qui opposent Régis et Michel.

Régis a la foi, substance chimique que l'on hérite de ses parents ou que l'on acquiert par une concession faite à l'au-delà. "Il suffit d'accepter de croire pour croire" affirme Régis qui désire consacré sa vie à la prêtrise. L'indulgence envers le non-fondé permet d'ouvrir la porte à la religion qui envahit notre être dans tout ce que l'Homme a brassé depuis la nuit des temps...

Michel est artiste, il ne croit qu'en ce qu'il possède et observe. Il est pragmatique et côtoie l'abstrait par son Art, il le crée. Ses discussions avec Régis vont très loin, on semble toucher parfois le fond du problème métaphysique qui réside en chacun de nous, pour retomber de plus belle dans la contradiction et le non-sens le plus niais.

Mais surgit Anne-Marie, vouée elle-aussi à une carrière religieuse. Elle est belle, éveille le stupre et la fornication sentimentale en Michel, l'adoration divine en Régis.
Cette sainte trinité va fusionner pour mieux faire ressortir ses divergences. Michel va aimer en cachette dans un premier temps, laissant à leur idylle les deux amoureux platoniques. Mais pour Anne-Marie, les deux hommes sont complémentaires, elle éprouve le besoin de partager des moments avec les deux. Michel finira par passer à l'action et dévergondera Anne-Marie qui se retrouvera perdue du fait d'une nostalgie envers une foi perdue et regrettée.

Entre deux considérations sur la musique, la grande, la belle ( selon lui), on assiste à de profonds débats théologiques et finalement sur la vie, car la foi influence le caractère et les actes de chacun. Usant d'un style remarquable, Rebatet ennuie parfois tant il creuse sa réflexion et l'étale sur de trop nombreuses pages. Mais quand arrive à nouveau un passage rythmé, l'auteur sait se rattraper et se montre corrosif. On s'émerveille alors d'une comparaison entre Lyon (qu'il exècre) et Paris (qu'il admire), des noms de lieux aux agencements de la ville ainsi qu'aux gens qui les peuplent, Lyon est mis à mal et semble humiliée derrière des mots trop forts. De même le passage où Michel suit une fille dans la rue et tombe dans un lieu sordide où il se fait tabasser. Rebatet sait se montrer cru et sortir de son style classique et Grand.

Malgré sa longueur et ses langueurs, "Les Deux Etendards" revêt un caractère unique, celui de concilier un aspect classique avec un langage crument populaire, celui de décrire des situations bestiales entre deux réflexions théologico-philosophiques, celui de ne s'occuper uniquement des sentiments intérieurs des personnages sans s'étaler sur les frivolités de l'apparence. Enfin le roman met en avant la part foncière de l'être humain qui semble irréversible, cette vraie foi selon rebatet, qui semble immuable bien que remise sans cesse en question...

Baader bonnot - Montpellier - 41 ans - 14 décembre 2009


Hélas.... 1 étoiles

on peut admirer le style de Rebatet, certes, mais je ne peux oublier ce que l'homme Rebatet (le gracié de Moras..) fut dans la vie
Ce livre est la preuve qu'on peut avoir d'une part une pensée d'une grande élévation et d'autre part un comportement quotidien nauséabond : "Il faut se séparer des juifs en bloc et ne pas garder de petits"
Impossible, pour moi, de relire cet être malfaisant

Attentif - - 92 ans - 28 novembre 2006


Le chef d'œuvre mal connu 9 étoiles

Tout à fait d'accord avec la critique qui précède, une sorte de roman total habité par un très beau style, fort et profond.

Un regard perçant porté vers la théologie, la philosophie, l'université et la musique.

Le reste est à lire.

Joachim - - 44 ans - 31 août 2006