La Couverture du soldat
de Lídia Jorge

critiqué par Jlc, le 18 mai 2006
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Histoire de famille
Lidia Jorge est un grand écrivain portugais, auteur, à mon avis, d’un chef-d’œuvre “Le vent qui siffle dans les grues”. Elle avait précédemment écrit « La couverture du soldat » qui a contribué à asseoir sa notoriété internationale. Car Lidia Jorge a un superbe style, très personnel, tout à fait précis et souvent poétique, pour raconter des histoires de son Algarve natale, histoires de famille et donc d’amours, de haines, de hasards, d’intérêts, d’identité.

Ainsi en est-il de la famille Dias, implantée à Valmares. Il y a Francisco, le père, pour qui « l’honneur, l’amour, la vie n’avaient de sens que transformés en hectares de terre ». Il y a ses sept fils et sa fille qui, tous, travaillent avec lui une terre difficile. Tous, sauf Walter, le benjamin, charmeur et paresseux, tête brûlée et cabochard, Walter qui tient tête à son père, néglige la ferme, dessine des oiseaux et court les filles. Un jour, un voisin arrive à Valmares avec sa fille…enceinte. Mais Walter est parti à l’armée et, malgré les injonctions de son père, ne reviendra pas « faire son devoir ». C’est donc un de ses frères, Custodio le boiteux, qui épousera Maria Ema avant qu’elle n’accouche d’une fille, la fille de Walter, son oncle. C’est elle dont on ne saura jamais le nom (mais faut-il nommer quelqu’un qui est l’image d’une faute ?) qui raconte l’histoire ou plutôt l’attente du retour. Elle n’appellera jamais Custodio papa ni sa mère, maman. Elle est et reste la fille de Walter, une étrangère en quelque sorte ou bien celle qui exprime le « désir irrépressible de tragédie qui existe dans chaque famille ». Entre rêve et réalité, la fille de Walter « qui prend plaisir à imaginer l’autre face des choses » revoit son père, passe une nuit près de lui et en reconstruit constamment le récit. Mais cette nuit de pluie a-t-elle réellement existé ? Et tout cas, l’amour qu’elle lui voue sera total, unique.

Puis les enfants de Francisco Dias, lassés de l’âpreté de la terre et sensibles aux illusions du lointain, quittent peu à peu Valmares laissant à la ferme , avec le père, Custodio, Maria Ema sa femme, leurs enfants et la nièce de Walter. Le seul qui revient un jour, c’est Walter qui pendant quelques moments va éblouir sa famille avec sa voiture américaine, la charmer avec ses histoires, séduire à nouveau Maria Ema avec l’odeur du grand large sous le regard toujours amoureux et déjà pardonnant de Custodio. Mais Walter, bourlingueur léger et charmant, repart bien vite vers d’autres aventures, croisant de loin en loin ses frères qui vont tous faire fortune en Amérique. Le dialogue se renoue entre les frères, sauf Walter, quand il faut décider du sort de Valmares. L’éloignement n’a pas altéré la cupidité et sournoisement va naître la rumeur familiale que Walter et sa fille… la nuit de pluie, dit-on, dit-il…

Francisco ne verra pas le délitement de sa famille, la décadence de ce à quoi il croyait, ni la rencontre entre Walter et sa fille, quelque part, là bas où les femmes de la place de Mai réclamaient en vain leurs disparus.

Ce roman est d’abord une histoire, très structurée, toujours datée, rigoureuse dans sa progression et pourtant enveloppée, comme dans un rêve, d’une poésie lancinante, sorte de mélopée. Cette poésie que lui donne la fille de Walter en modifiant constamment à sa façon son récit, cette histoire d’amour à ce père inconstant et léger. Les personnages sont très bien dessinés, en portrait de groupe quand ils travaillent tous à la ferme, de façon plus violente quand s’établit le dialogue de la famille dispersée, famille qui n’est plus qu’une communauté d’individualismes médiocres. Ceci dans une très belle traduction de Geneviève Leibrich

Et pourquoi ce titre « la couverture du soldat » ? Je vous en laisse découvrir la raison où l’amour le dispute à la trahison, le mensonge au regret, le souvenir à l’imaginaire.