Pourquoi pas tout de suite
de Bruno Bayen

critiqué par Feint, le 13 mai 2006
( - 60 ans)


La note:  étoiles
Eloge funèbre et vivant du polaroïd
Puisqu'il faut à tout prix choisir une catégorie, je choisis : Poésie. Pourquoi pas photo ? Pourquoi pas essai ? ou même reportage ?
Bruno Bayen est surtout connu comme metteur en scène de théâtre. C’est aussi un dramaturge, un romancier et, dans Pourquoi pas tout de suite, un photographe et un poète, je préfère dire : un poète-photographe. Pourquoi pas tout de suite est un hommage à une technologie surannée, une modernité d’autrefois, le jouet interdit de notre enfance : l’appareil photo polaroïd. Il a même un nom plus précis : le SX-70 Land Camera Autofocus. Bruno Bayen en a fait l’acquisition en 1978. Un quart de siècle plus tard, il offre à ce miracle de la technique fossile son chant du cygne : cent pages de photos qui n’ont rien à envier sur le plan esthétique à celles qu’il aurait pu prendre avec un appareil plus performant – avec lequel, précisément, il n’aurait pas pu les prendre. Cinquante et quelques autres pages suivent les cent premières, évoquant l’histoire de l’appareil, non pas du modèle sur catalogue, mais de celui de Bruno Bayen, qui l’a accompagné partout, à travers le monde, qui parfois lui a même sauvé la mise, et l’histoire de ces clichés, parfois au plus près de l’actualité politique, d’autres fois empreints d’une poésie hors du temps, grâce auxquelles le polaroïd devient une personne à part entière, digne d’hommage, comme tout récent disparu, qui fut une gloire en son temps, et sombre peu à peu dans l’oubli : les vieux microsillons rebaptisés « vinyles », la machine à écrire Remington sur laquelle j’ai moi-même autrefois joué à l’écrivain, et bientôt, et déjà, le magnétoscope et le baladeur.
Un extrait :
« Vergesse-dich-nicht, je-ne-t'oublie-pas, format de poche entre carte à jouer et carte postale, aussitôt glissé dans la veste ou le réticule, un courrier idéal. Le temps d'écrire une légende sur l'entour blanc de polyester qui scelle le laboratoire interne, par exemple le nom de l'endroit, l'heure du jour, un mot tendre (mais pas au feutre qui déraperait sur cette surface, au crayon de préférence) et voilà parti, de Cythère ou de Cerbère, en gage d'affection, le prototype sans double ni descendance. Double usage en revanche pour le dédicataire, qui va recycler son polaroid en marque-page, et le polaroid aussi docile qu'un trèfle à quatre feuilles s'endormira dans un long roman, interrompu, page 253, sur la phrase Le jour était clair, je ne faisais qu'attendre les choses qui allaient arriver.
Vingt ans passent. Après vingt ans le destinataire ouvre ce livre à la page 253. Il ne retrouvera rien de son unicum, tout le monde vous le dit, et je vous dit le contraire. »