Perramus, tome 1 : Le Pilote de l'oubli - Perramus, tome 2 : L'Ame de la cité
de Juan Sasturain (Scénario), Alberto Breccia (Dessin)

critiqué par Feint, le 8 mai 2006
( - 60 ans)


La note:  étoiles
Résistance
Dans un pays d’Amérique latine innommé, en pleine dictature, un homme dont on ne connaîtra jamais le vrai nom omet de prévenir ses amis de l’arrivée des hommes en uniforme, aux têtes toutes identiques de cadavres animés, préférant prendre seul la suite. Il va chercher l’oubli dans les bras d’une prostituée qui le lui a promis – l’oubli – et l’obtiendra au-delà de ce que le lecteur imagine. Désormais amnésique, il prendra pour nom celui d’une marque de vêtement, brodé à l’intérieur de la veste que lui donne la prostituée à son départ : « Perramus ». C’est alors seulement qu’il deviendra capable d’agir, tandis qu’autour de lui se forme une communauté de hasard, guidée de loin par la figure mythique de Borgès, double fictif de l’immense auteur argentin.

Dans l’univers de la BD, Perramus est un monument méconnu, majeur et colossal (près de six cents pages divisées en trois albums : le premier regroupe les deux premiers tomes « Le Pilote de l’Oubli » et « L’Ame de la Cité, les deux autres correspondent chacun à un tome : « L’Ile au Guano » et « Dent pour dent »). Résolument engagée (les auteurs, argentins au moins de cœur, ont commencé leur travail en pleine dictature), c’est aussi une œuvre merveilleusement onirique, magnifiée par le pinceau magistral d’Alberto Breccia, le grand maître uruguayen (il a fait toute sa carrière en Argentine) co-fondateur de l’école où enseigna Hugo Pratt durant son séjour en Argentine et où il eut comme élève José Muñoz.

Les amateurs de BD ne connaissent souvent que de réputation ou de manière indirecte le grand peintre et le grand dessinateur que fut Alberto Breccia, aujourd’hui disparu. Ses sujets sont graves et sa forme, très graphique, exigeante. Je n’hésiterai pas à dire que cet artiste qui dessinait si bien Borgès n’a pas moins d’importance dans le domaine de la bande dessinée que ce dernier n’en a dans celui de la littérature. Il mérite mieux que l’oubli relatif dans lequel il est tenu aujourd’hui.