Y a-t-il un pilote dans l'image ?
de Serge Tisseron

critiqué par Shelton, le 8 avril 2006
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Essai, guide et constat...
Depuis mon passage sur les bancs de l’université, depuis que j’ai choisi comme thème de recherche l’image dans la pédagogie, j’ai toujours été surpris que dans cette France si attachée à l’égalité, à la liberté, à la citoyenneté… on n’apprenne jamais aux enfants à lire une image ! On tente, d’ailleurs avec, parfois, beaucoup de difficultés, de leur apprendre à lire, à écrire, à compter mais à comprendre les images… Non, ça, c’est inutile !
Pourtant, dans le même temps, les étudiants en publicité, communication ou journalisme, reçoivent tous les éléments qui leur permettront de manipuler ces pauvres lecteurs que nous sommes et qui n’avons que fort peu d’outils de protection à notre disposition…
Devant une telle situation, devant la place énorme qu’a conquis l’image avec la télévision, l’ordinateur et l’image numérique, des parents commencent à avoir peur, à trembler… et Serge Tisseron arrive !!!
En fait, même si son sous titre est « Six propositions pour prévenir les dangers de l’image », l’auteur va nous proposer des pistes de réflexion éthique. D’où vient ce danger de l’image ? De cet objet particulier qui fait peur depuis que l’homme est sur terre… N’oublions pas que l’homme est créé à l’image de Dieu, que l’homme qui se mire dans l’eau s’admire, que certains peuples ne veulent toujours pas se faire dessiner ou prendre en photo, que certains croyant refusent les caricatures de leur Dieu, de leur prophète…
Serge Tisseron, après avoir redéfini ce qu’était une image, ce quelle disait, ce que nous pouvions y trouver et les liens constructeurs ou destructeurs qu’elle pouvait apporter, propose du concret. Mais attention, plus que des réponses, il s’agit plus d’un questionnement porteur de cheminement :
- Faut-il interdire les images ? L’interdiction fait-elle naître une progression, une éducation ? Mais comme l’interdiction donne naissance à la transgression… il faut oublier cette idée qui pourtant vient à la tête de tous les parents et prescripteurs en premier lieu…
- Mettre en place des interfaces claires… oui, il faut arriver à mettre en place des frontières qui donnent la possibilité de distinguer les phases virtuelles des réelles. Par exemple, quand un enfant – seulement les enfants ??? – aime trop jouer, plutôt que de lui interdire le jeu, il faut l’habituer à limiter le temps de jeu, avec un gros réveil, pourquoi pas, pour lui permettre de quitter le virtuel ludique et revenir, certes de façon abrupte, à la réalité… cette proposition est d’autant plus délicate à mettre en place que nous, les adultes, avons bien du mal à le faire pour nous…
- Dès le plus jeune âge, il faut apprendre à remettre les images dans leur contexte. Une image, en soi, ce n’est rien… Staline en compagnie de jeunes enfants, Hitler en compagnie de deux jeunes danseuses… Oui, si on ne fait que porter un regard rapide, on finirait pas les trouver sympathiques, nos dictateurs… Même chose pour tous ces sourires sur les affiches électorales… La contextualisation est d’autant plus difficile aujourd’hui que les techniques utilisées par les « fabricants » d’images n’ont pas de limites, enfin presque…
- Donner un autre aspect sensoriel aux images. En effet, souvent nous ne travaillons qu’en regardant… Il faut, d’abord verbaliser ce que l’on voit. Mais ça ne suffit pas. Pour maîtriser l’image nous devons être capables d’en fabriquer, d’en utiliser, d’en toucher… C’est pour cela que si on veut éduquer un jeune à l’image, il devra être capable d’en dessiner, de faire des photographies numériques, de choisir les images qui exprimeront sa pensée, qui donneront une bonne image de lui… c’est en prenant, même un instant, la place du publiciste ou du communicant politique qu’il deviendra capable de résister à la force de certaines images…
- Faire comprendre que toute image est une mise en scène, jamais une réalité. Souvenons-nous de tous ces gens qui criaient au scandale lorsqu’un arbitre n’avait pas sifflé un penalty contre un joueur qui, selon un cliché photographique, semblait avoir touché la balle avec la main… Mais quand on a regroupé plusieurs points de vue, on a constaté que celui qui avait bien vu, c’était bien celui qui était sur le terrain, au plus près, l’arbitre, quoi… Certes, je sais bien que les arbitres étant des hommes, se trompent aussi bien des fois, mais, eux, au moins, ne pensaient pas détenir la vérité, alors que le photographe le pensait, lui… mais quand on prend un cliché, on fait une mise en scène, même involontairement, surtout involontairement, car on regarde la réalité avec tout ce que nous sommes et nous tentons de restituer « notre » vérité…
- Enfin, les parents doivent toujours avoir en tête que la réalité est toujours plus forte que le virtuel. A nous de construire, de proposer, de montrer une réalité exaltante !!!
Autant vous dire que j’ai beaucoup aimé ce livre, mais je dois aussi vous dire que je ne suis pas très objectif puisque je me considère comme fortement marqué par la pensée de cet homme que je considère comme l’un de mes nombreux maîtres. J’utilise beaucoup ses recherches dans mes cours, dans mes conférences et mes propres travaux ne sont que des prolongements, des adaptations, des appropriations partielles.
Alors, à vous de vous faire votre propre idée. Dans tous les cas, vous ne prenez pas trop de risque puisque l’image a déjà envahi votre vie et il vous faut réagir…