Oeuvres complètes, tome 4 : l'archipel du Goulag, Tome 1
de Alexandre Soljenitsyne

critiqué par Joachim, le 6 avril 2006
( - 44 ans)


La note:  étoiles
A lire avant de mourir
L'œuvre majeure d'Alexandre Soljenitsyne a été republiée après la sortie précipitée en 1973 de la première version française. Cette nouvelle édition suit de plus près le texte original paraît-il.

Que dire d'autre sur un livre qui a fait tant parler ? je le considère personnellement comme une œuvre majeure à avoir lu ou au moins parcouru dans sa vie.

La longueur des tomes est rébarbative, mais la substance justifie l'étendue du résultat : un travail de longue haleine qui a donné une écriture pesante et solennelle, égale à elle-même malgré les contraintes que présente un tel sujet.

Ecrit au prix d'une enquête interminable menée auprès de centaines de rescapés de l'appareil concentrationnaire soviétique ou de leurs proches, ce livre valut à son auteur une déchéance de la nationalité russe, une expulsion et une tentative d'empoisonnement. Il explore en détail l'état ahurissant de la législation soviétique, l'arrestation, les procès, avec une rigueur impressionnante. C'est une mine d'information pour qui s'intéresse à l'univers des camps, aux administrations totalitaires et à l'histoire de la Russie au XXème siècle.

C'est une lecture que l'on peut compléter avec les livres de Varlam Chalamov notamment, qui a d'ailleurs correspondu avec A. Soljenitsyne.
Formation du Goulag soviétique 10 étoiles

(Premier des trois volumes sur l’Histoire de « L’Archipel du Goulag »).

Je ne ferai l’affront à personne de présenter ce célèbre « Goulagien », ce « crevard », ce « zek », qu’est Alexandre Soljénitsyne (1918-2008), ce survivant du Goulag (système concentrationnaire Soviétique). Il s’agit donc ici du chef-d’œuvre-témoignage d’Alexandre Soljénitsyne, à travers 227 témoignages de Zeks (prisonniers), et du sien, puisqu’il fut lui-même enfermé 11 ans en prisons et en camps de concentration du Goulag en U.R.S.S.. Dans son ouvrage, Alexandre Soljénitsyne utilise souvent le ton de l’ironie, de l’humour et de la moquerie envers les bourreaux, afin de rendre son récit extrêmement concret et « vivant » (je sais… le terme est particulièrement mal adapté à ce terrible contexte !).
Ce fabuleux auteur a consacré le restant de son existence, après sa sortie du Goulag, à léguer à l’Humanité, un ensemble immense d’œuvres inestimables destinées à préserver : la Mémoire des Millions de victimes, notre Mémoire Universelle, et l’espoir qu’un jour enfin le Communisme prenne toute la place qui lui revient, officiellement, au Panthéon de l’horreur des systèmes…, Totalitaires ; trônant ainsi sur le podium, à côté du Nazisme et du Fascisme. D’ailleurs, dans cet ignominieux « concours » peu importe la place qu’ils occupent tous les trois ; je les déclare « vainqueurs » à égalité ! En effet, ces millions de victimes, sauvagement torturées, déshumanisées et/ou exécutées et « détruites », ELLES, n’ont pas vu de différence !
Mais l’être humain se laissant plus facilement guider par son sectarisme Idéologique que par la réalité Historique, aujourd’hui, et je le crains, pour longtemps encore, l’Humanité n’a pas encore laissé accéder le Totalitarisme Communiste à l’une de ces trois marches lui revenant pourtant de plein droit. Pour pouvoir informer massivement les populations et offrir aux nouveaux esprits, la possibilité de découvrir la chronologie et le déploiement des Totalitarismes au cours du 20ème siècle, cette démarche devra nécessairement commencer par la mise à jour des manuels scolaires d’Histoire destinés à l’Éducation Nationale. Comme c’est le cas depuis des décennies pour les Totalitarismes Fascisto-Nazis.
« L’Archipel du Goulag » publié en 1974 est le plus célèbre témoignage sur le Goulag, mais suite à l’effondrement de l’U.R.S.S. en 1991, de nombreux autres témoignages de survivants écrits durant toute la période Soviétique, ont enfin fait ou refait surface, dans le monde entier. (L’éventuel lecteur trouvera une liste non-exhaustive de certaines de ces œuvres, à la fin de ce commentaire…).
Bref, Alexandre Soljénitsyne nous décrit donc la monstruosité du Totalitarisme Bolchevique (Communiste) Soviétique, depuis sa création, suite au coup d’État : le 25 Octobre (ou suivant le calendrier Grégorien : le 7 novembre 1917) à Petrograd par la troïka infernale composée de : Lénine, Trotski et Staline, et jusqu’à la mort de Staline en 1953.

En effet, dès Octobre 1917, les Terroristes de masse Bolcheviques (Communistes) s’activèrent à mettre en place le régime Totalitaire Communiste, sous la férule de : Lénine et Trotski aidés dans leur ignoble besogne par : Staline, Dzerjinski (le chef de l’effroyable Police Politique, la Tcheka, fondée dès décembre 1917), Boukharine, Zinoviev, Kamenev, etc..
Immédiatement donc les « ennemis du peuples » furent : raflés (souvent de nuit), interrogés, torturés afin d’extirper de faux aveux de la part des victimes, puis déportés en camps de concentration, ou sommairement fusillés. Dans le cadre de cette Terreur généralisée, voici comment se déroulaient la plupart du temps, ces arrestations arbitraires (pages 20 et 24) :
« Et il est certain que l’arrestation de nuit, telle que je viens de la décrire, jouit chez nous d’une grande faveur, car elle présente d’importants avantages. Dès le premier coup frappé à la porte, tous les habitants de l’appartement ont le cœur serré d’effroi. La victime est arrachée à la tiédeur du lit, en proie encore à l’impuissance du demi-sommeil, sa raison est trouble. Lors d’une arrestation de nuit, les agents de la Sécurité ont la supériorité physique : ils arrivent à plusieurs, armés, contre un homme seul qui n’a pas encore fini de boutonner son pantalon ; et pendant le temps que vont durer les préparatifs et la perquisition, la foule des partisans éventuels de la victime ne risque pas de s’attrouper devant l’entrée de la maison. Ajoutez que la progressivité sans hâte des descentes de police dans un appartement, puis dans un autre, demain dans un troisième et dans un quatrième, donne la possibilité d’utiliser au mieux des effectifs et de jeter en prison un nombre de citadins plusieurs fois supérieur au volume desdits effectifs.
Autre avantage, enfin, des arrestations nocturnes : ni les maisons voisines, ni les rues de la ville ne voient combien de personnes ont été emmenées en une nuit. Terreur des voisins les plus proches, les arrestations de ce type ne sont pas un évènement pour ceux qui vivent plus loin. On dirait qu’il ne s’est rien passé. C’est le même ruban d’asphalte qui voit la nuit la navette des fourgons cellulaires et, le jour, les défilés de la jeune classe, avec drapeaux, fleurs et chansons d’un optimisme sans nuage.
(…) Il n’est pas donné à tout le monde de comprendre aussi bien les choses que Vania Lévitski, qui disait à l’âge de quatorze ans : « Tout honnête homme doit se retrouver en prison. Actuellement, papa y est. Quand je serai grand, on m’y mettra aussi. » (À vingt-trois ans, il y était). La majorité s’engourdit dans le mirage de l’espoir. Puisque vous êtes innocent, quelle raison peuvent-ils avoir de vous cueillir ? C’est une erreur ! On vous entraîne déjà par le collet que vous êtes encore à essayer de conjurer le sort : « C’est une erreur ! Les choses tirées au clair, on me libérera ! » Que les autres soient arrêtés en masse, c’est tout aussi absurde, mais enfin chaque cas individuel reste enveloppé de ténèbres : « Celui-là, peut-être bien tout de même que… ? » Tandis que vous, là, c’est sûr, vous êtes innocent ! Vous en êtes encore à considérer les Organes comme une institution fonctionnant selon la logique des hommes : les choses tirées au clair, on me libérera. »
Lénine, lui-même, n’a jamais caché être un adepte de la Dictature (du prolétariat) et de la Terreur de masse (décret sur la Terreur Rouge Bolchevique du 5 septembre 1918), à l’instar de la Grande Terreur Jacobine de 1792-1794, lors de la Révolution Française, entre autres exemples (pages 35, 306 et 307) :
« Bien que, dans le but d’instaurer un : « ordre rigoureusement révolutionnaire », V.I. Lénine ait exigé à la fin de 1917 que l’on : « écrasât impitoyablement les tentatives des ivrognes, des voyous, des élèves-officiers contre-révolutionnaires, des soldats de Kornilov, et cetera, pour semer l’anarchie » (note n°2 : Lénine, Polnoïé sobranié sotchinéniï [Œuvres complètes], 5e éd., t. 35, p. 66.), ce qui semblait indiquer que, pour lui, le principal danger guettant la révolution d’Octobre provenait des ivrognes, les contre-révolutionnaires étant relégués au second rang, – le même Lénine fixa également des objectifs plus larges. Dans l’article Comment organiser l’émulation (7 et 10 janvier 1918), il proclama que le but commun et unique de l’heure était de : « nettoyer la terre russe de tous les insectes nuisibles » (note n°3 : Ibid., p. 204). Et, par le terme d’insectes, il entendait non seulement tous les éléments socialement étrangers au prolétariat, mais aussi : « les ouvriers qui tirent au flanc », par exemple les typographes des imprimeries du parti à Petrograd. (Voilà ce que fait l’éloignement dans le temps. Aujourd’hui, nous avons peine à comprendre comment il a pu se faire que ces ouvriers, à peine devenus dictateurs, aient aussitôt incliné à tirer au flanc dans un travail qu’ils faisaient pour eux-mêmes.) Et encore : « … dans quel quartier des grandes villes, dans quelle fabrique, dans quel village (…) n’y a-t-il pas (…) des saboteurs qui se qualifient d’intellectuels ? (note n°4 : Ibid., p. 204). Certes, les formes de nettoyage prévues par Lénine dans cet article étaient variées : ici, jeter en prison, là, mettre à curer les fosses d’aisance, ailleurs, : « une fois purgée une peine de cachot, délivrer un passeport jaune (avant la révolution – délivré aux prostituées ; ici, document décidé à marquer d’infamie) », ailleurs encore, fusiller comme parasite. Il y avait aussi, au choix, la prison : « ou bien les travaux forcés les plus durs » (note n°5 : Ibid., p. 203). Mais tout en envisageant et en suggérant les directions principales du châtiment, Vladimir Ilitch proposait que la découverte des meilleurs méthodes de nettoyage fît l’objet d’une compétition au sein des « communes et collectivités ».
(…) « Camarade Kourski ! À mon avis, il faut l’application de la peine de mort (commuable en bannissement) […] à tous les genres d’activités des menchéviks, des SR, etc. ; il faut trouver une formulation qui mette ces agissements en liaison avec la bourgeoisie internationale » (souligné par Lénine) (note n°7 : Lénine, Œuvres, 5e éd., t. 45, p. 189.).
Étendre l’application de la peine de mort ! Est-il si difficile de comprendre ?
(Y en eut-il beaucoup à être bannis ?) La Terreur est un instrument de persuasion (note n°8 : Ibid, t. 39, p. 404-405), c’est clair, semble-t-il !
(…) « Camarade Kourski ! En complément de notre entretien, je vous envoie une ébauche de paragraphe supplémentaire pour le Code pénal… L’idée fondamentale est claire, je l’espère, malgré tous les défauts du brouillon : poser ouvertement un principe qui, reflétant la réalité politique (et dépassant un juridisme étroit), fonde l’essence et la justification de la terreur, sa nécessité, ses limites.
« La justice ne doit pas éliminer la terreur ; le promettre serait se tromper soi-même ou tromper les autres ; elle doit lui donner une assise et une légitimation sur le plan des principes, clairement, sans fausseté et sans fard. La formulation doit être la plus large possible, car c’est seulement le sens du droit révolutionnaire et la conscience révolutionnaire qui fixeront les conditions d’une application pratique plus ou moins large.
Avec mon salut communiste,
Lénine » (note n°9 : Ibid., t. 45, p. 190.). »
La méthode généralement et largement utilisée pour exécuter les « ennemis de classe » consistait à les abattre comme des chiens, d’une balle dans la nuque, ou autrement dit dans le jargon Soviétique de : « neuf grammes dans la nuque ». « Technique » d’exécution reprise plus tard, à une aussi grande échelle, par les bataillons d’Einsatzgruppen Nazis !
Une autre méthode monstrueuse d’extermination fut copiée sur la Terreur Jacobine de Robespierre, par les Bolcheviques, celle consistant à couler des barges pour noyer les victimes (pages 39 et 373 et 374) :
« Ainsi, à partir de l’été 1920 – la guerre civile n’est pas encore tout à fait ni partout terminée, mais elle l’est dans la région du Don -, depuis cette dernière région, depuis Rostov et Novotcherkassk, on expédie à Arkhanguelsk une grande quantité d’officiers, puis on les charge dans des barges en direction des îles Solovki (plusieurs de ces barges seront coulées dans la mer Blanche, procédé utilisé également en mer Caspienne) : doit-on mettre encore cela au compte de la guerre civile, ou bien faut-il l’imputer au début de la période de construction pacifique ? Et si, la même année, une femme enceinte est fusillée à Novotcherkassk pour avoir caché son mari officier, dans quelle rubrique la faire figurer ? »
(…) Au reste, ces exécutions individuelles que précédait ou non un jugement et qui, additionnées, ont fini par faire des milliers, n’étaient même peut-être pas le plus grave dans cette ère de mises à mort, inaugurée en 1918 et qui devait griser et glacer tout à la fois la Russie.
Je trouve plus effrayante encore la pratique en honneur chez les belligérants, puis chez les vainqueurs, de couler des barges entières chargées de centaines d’hommes qu’on ne prenait la peine ni de compter, ni de recenser, dont on ne faisait même pas l’appel : officiers, en particulier, et autres otages noyés dans le golfe de Finlande, dans les mers Blanche, Noire, Caspienne, ainsi que dans le lac Baïkal. Cette mode ne concerne pas notre étude strictement juridique, mais l’histoire des MŒURS : c’est la source de tout ce qui nous est arrivé par la suite. Au long des siècles, depuis le premier prince Rurik, avons-nous connu une accumulation de cruautés et de meurtres comme celle dont les bolchéviks ont accompagné la guerre civile et par laquelle ils l’ont terminée ? »
La paranoïa Étatique était si profondément ancrée que, pour se débarrasser massivement des « ennemis du peuple », toujours sous la période Lénino-Trotskiste (Novembre 1917-fin 1923), l’État-Parti unique Totalitaire Communiste ouvrit les premiers camps de concentration de l’ère Soviétique (confer entre autres, les ouvrages de Anne Applebaum : « Goulag: Une histoire » et de Sozerko Malsagov et Nikolaï Kisselev-Gromov : « Aux origines du Goulag, Récits des îles Solovki : L’île de l’enfer suivi de Les camps de la mort en URSS »), (pages 40, 41 et 48 et 395) :
« Mais dans les villages du gouvernement de Tambov, la majeure partie des prélèvements humains eut lieu au mois de juin 1921. La région fut parsemée de camps de concentration destinés aux familles des paysans qui participaient à l’insurrection. En plein champ, on délimita par des poteaux et des barbelés des aires où l’on tint parquées pendant trois semaines toutes les familles dont un membre était soupçonné de faire partie des insurgés. Si celui-ci ne se présentait pas dans les trois semaines pour racheter sa famille au prix de sa personne, tous les siens étaient envoyés en exil (note n°13 : Toukhatchevski, « Borda s kontrrévolioutsionnymi vosstaniami » [la Lutte contre les insurrections contre-révolutionnaires], in revue Voïna i révolioutsia [Guerre et révolution], 1926, n°7-8).
Encore plus tôt, en mars 1921, avaient été envoyés sur les îles de l’Archipel, via le bastion Troubetskoï de la forteresse Saint-Pierre-et-Saint-Paul, les matelots insurgés de Kronstadt, déduction faite des fusillés.
(…) Le volume de la fournée Voïkov était encore limitée : par les dimensions du Slon, le Camp à Destination spéciale des Solovki. Mais c’était l’Archipel du Goulag qui commençait ainsi sa croissance maligne, et bientôt il allait envoyer des métastases dans tout le pays.
(…) L’idée qui fit créer les Solovki était précisément celle-ci : voici un bon endroit, complètement isolé du monde extérieur la moitié de l’année. De là les cris ne s’entendront jamais : vous pourrez vous immoler à loisir ! En 1923, on y transféra les détenus socialistes de Pertominsk (presqu’île d’Onéga), pour les répartir entre trois ermitages isolés. »
En lisant cet ouvrage fondamental pour notre MEMOIRE universelle, on se rend compte que : aucun mot, ni aucune phrase ne peuvent décrire l’incommensurable et l’insoutenable degré de tortures psychologiques et physiques endurés, par ces MILLIONS de civils innocents, exterminés sous le Totalitarisme Communiste
De même que des MILLIONS de citoyens (sur plusieurs générations) ont été humiliés et persécutés toute leur vie et/ou déportés en camps de concentration.

Vient alors à l’esprit cette terrible question : Comment en ce début de 21ème siècle est-il possible que des individus, des partis politiques Français : le Parti Communiste Français (P.C.F.), le Nouveau Parti Anticapitaliste (N.P.A.), Lutte Ouvrière (L.O.), etc., et des régimes politiques dans le monde : Chine, Cuba, Vietnam, Corée du Nord, etc., se revendiquent toujours de l’Idéologie Communiste (ou Troisième Internationale) ?
D’ailleurs, le P.C.F. porte toujours son nom d’origine, depuis sa formation en 1920 au Congrès de Tours. En effet, le P.C.F. fut constitué dans le cadre de l’Internationale Communiste (Komintern), fondée par Lénine et Trotski en 1919, et en adhérant aux « 21 conditions » de cette Internationale Communiste.
Le P.C.F. et ces Partis ouvertement d’extrême gauche, c’est-à-dire d’obédience Communiste : L.O, le N.P.A., voire le Parti de Gauche qui, par l’intermédiaire de son représentant : Jean-Luc Mélenchon, a représenté l’alliance avec le P.C.F. dans le cadre du Front de Gauche, lors des élections Présidentielles de 2012, peuvent exprimer librement leur Idéologie haineuse et Totalitaire au sein de la Société Française !
Ce qui nous paraît évident et fondamental envers le Nazisme : sa monstruosité donc son illégalité, ne l’est curieusement plus vis-à-vis du Communisme. Contraste saisissant : nous sommes dans l’incompréhensible et inacceptable situation où le traitement Sociétal, par la République Française, de ces deux Totalitarismes, relève du deux poids deux mesures. L’existence d’êtres humains massacrés aurait-elle un degré d’importance différent en fonction de l’Idéologie Totalitaire mise en œuvre ?
De surcroît, les bourreaux Nazis et le régime du IIIème Reich d’Hitler ont été jugés ; pas les bourreaux Communistes, et comme nous venons de le voir, encore moins le régime Communiste lui-même, toujours étrangement autant choyé dans notre société Française (pages 156 et 157) :
« (…) Voilà une énigme dont nous autres, contemporains, n’arriveront jamais à trouver la clef : pourquoi est-il donné à l’Allemagne de châtier ses criminels et pourquoi cela n’est-il pas donné à la Russie ? Quelle voie funeste sera la nôtre s’il ne nous est pas donné de nous laver des impuretés qui pourrissent dans notre corps ? Quelle leçon la Russie pourra-t-elle enseigner au monde ?
Au cours de ces procès qui ont lieu en Allemagne, il se produit, tantôt ici, tantôt là, un phénomène extraordinaire : l’inculpé se prend la tête à deux mains, renonce à se faire défendre et ne demande plus rien au tribunal. Il dit qu’à entendre évoquer et retracer devant lui la longue série de ses crimes, il est submergé par le dégoût et n’a plus envie de vivre.
Un tribunal ne saurait jouer de rôle plus haut que celui-là : faire peser sur le vice une condamnation si forte que le criminel lui-même s’en détourne avec horreur.
Quand, à quatre-vingt-six mille reprises, un pays a condamné le vice du haut de l’estrade des tribunaux (et qu’il l’a irrévocablement condamné dans la littérature et au sein de la jeunesse), cela veut dire que peu à peu, année après année, marche après marche, il s’en purifie.
Mais nous, nous ?… Un jour, nos descendants nous appelleront les générations de chiffes molles : après nous être docilement laissé massacrer par millions, nous aurons bichonné tendrement les assassins dans leur vieillesse quiète.
(…) Certes, ceux qui tournaient la manivelle du hachoir en 1937, par exemple, ne sont plus tout jeunes, ils ont de cinquante à quatre-vingts ans, ils ont passé les meilleurs années de leur vie dans l’aisance, l’abondance et le confort et on ne peut plus leur infliger un châtiment équitable, il est trop tard.
Soit ! Nous nous montrerons magnanimes, nous ne les fusillerons pas, nous ne les gorgerons pas d’eau salée, nous ne les saupoudrerons pas de punaises, nous ne leur passerons pas le mors pour qu’ils fassent « l’hirondelle », nous ne les maintiendrons pas debout pendant une semaine sans dormir, nous ne les frapperons pas à coups de botte ni de matraque en caoutchouc, nous ne leur enserrerons pas le crâne dans un anneau de fer, nous ne les entasserons pas dans une cellule comme des colis, pour qu’ils ne puissent s’étendre que les uns sur les autres, nous ne leur ferons rien de ce qu’ils ont fait, eux. Mais, face à notre pays et face à nos enfants, nous avons le devoir DE LES RECHERCHER TOUS ET DE LES TRADUIRE TOUS EN JUSTICE ! Non pas tant pour juger leurs personnes que leurs crimes. Pour obtenir que chacun dise au moins, à haute et intelligible voix :
« Oui, j’ai été un bourreau et un assassin. »
Et si cette phrase était prononcée SEULEMENT un quart de million de fois (pour que nous ne soyons pas en reste, proportionnellement, par rapport à l’Allemagne de l’Ouest), peut-être cela suffirait-il ?
On ne peut tout de même pas, au XXe siècle, continuer pendant des décennies à confondre les atrocités relevant du tribunal et le « passé » qu'«il ne faut pas remuer » !
Nous devons condamner publiquement l’idée même que des hommes puissent exercer pareille violence sur d’autres hommes. En taisant le vice, en l’enfouissant dans notre corps pour qu’il ne ressorte pas à l’extérieur, nous le SEMONS, et dans l’avenir il n’en donnera que mille fois plus de pousses. En nous abstenant de châtier et même de blâmer les scélérats, nous ne faisons pas que protéger leur vieillesse dérisoire, nous descellons en même temps sous les pas des nouvelles générations toutes les dalles sur lesquelles repose le sens de la justice. C’est pour cela que les jeunes d’aujourd’hui sont « indifférents », pour cela et non à cause de « l’insuffisance du travail éducatif ». Ils se pénètrent de l’idée que les actes ignobles ne sont jamais châtiés sur cette terre, mais sont toujours, au contraire, source de prospérité.
Oh, comme ce pays sera inhospitalier, oh, comme il sera effrayant ! »
Au final, la tragique réalité est que l’horrible Totalitarisme Communiste prône la SUPERIORITE du dogme de : l’IDÉOLOGIE (Lutte des Classes et Dictature du Prolétariat)…, SUR LA VIE HUMAINE ! (pages 149, 150, 154 et 155) :
« Ce serait trop simple si tout se réduisait à de sombres personnages qui se livreraient dans un coin à de noires machinations, et qu’il suffirait d’identifier et de supprimer. Non. La ligne qui sépare le bien du mal passe par le cœur de chaque homme. Et qui est prêt à détruire un morceau de son propre cœur ?…
Au fil des ans, cette ligne se déplace à l’intérieur du cœur, tantôt repoussée par la joie du mal, tantôt faisant place à l’éclosion du bien. Un seul et même homme s’incarne en des personnages très différents selon les âges de sa vie et les situations où il est placé. Tantôt proche du diable. Tantôt presque un saint. Mais son nom, lui, ne change pas et pour les autres il recouvre le tout.
Socrate nous l’a bien recommandé : connais-toi toi-même !
Au bord de la fosse où nous nous apprêtions déjà à pousser nos persécuteurs, nous nous arrêtons, interdits : seules les circonstances ont fait que les bourreaux, ç’a été eux et pas nous.
Si c’était NOUS que Maliouta Skouratov avait appelés, il n’aurait sans doute pas été déçu !…
Du bien au mal il n’y a qu’un branlis, dit le proverbe.
Du bien au mal et, par suite, du mal au bien.
(…) L’idéologie ! C’est elle qui donne au crime sa justification et au scélérat la fermeté durable dont il a besoin. Elle lui fournit la théorie qui lui permet de blanchir ses actes à ses propres yeux comme à ceux des autres et de recueillir, au lieu de reproches et de malédictions, louanges et témoignages de respect. Ainsi a-t-on vu les inquisiteurs s’appuyer sur le christianisme, les conquérants sur la grandeur de leur patrie, les colonisateurs sur l’idée de civilisation, les nazis sur la race, les Jacobins et les bolcheviks sur l’égalité, la fraternité et le bonheur des générations futures.
C’est l’Idéologie qui a valu au XXe siècle d’expérimenter le crime à l’échelle de millions d’individus. Des crimes impossibles à récuser, à contourner, à passer sous silence. Comment, après les avoir vus, oserions-nous encore affirmer que les scélérats n’existent pas ? Qui donc aurait alors supprimé ces millions d’hommes ? Sans scélérats, il n’y aurait pas eu d’Archipel.
(…) De même, c’est sans doute par un phénomène de seuil qu’on devient un scélérat. Oui, toute sa vie, l’homme hésite et se débat entre le bien et le mal, il glisse, tombe, remonte, bat sa coulpe, s’égare à nouveau : tant qu’il n’a pas franchi le seuil critique, le retour est encore possible, il y a encore de l’espoir. Mais dès que la densité de ses mauvaises actions, ou leur degré d’horreur, ou le caractère absolu de son pouvoir lui font franchir ce seuil, le voilà en dehors de l’humanité. Et peut-être à jamais. »
Staline n’a rien inventé dans le système Totalitaire Communiste fondé par son mentor, Lénine, et son concurrent Trotski. Après la mort de Lénine en janvier 1924, Staline n’a fait que perpétuer et « perfectionner » l’État-Parti unique Totalitaire Soviétique :
– Il a continué de développer à l’échelle de toute la Russie, les camps de concentration, de rééducation et de travaux forcés du Goulag ;
– Il a également poursuivi le Crime contre l’Humanité de « Dékoulakisation », des Koulaks (paysans soi-disant riches), entrepris par Lénine à partir du coup d’État Bolchevique d’Octobre 1917, en déportant des millions de Koulaks dans des régions inhospitalières ou au Goulag, au début des années 1930 ;
– Simultanément, Staline a lancé le Plan de Collectivisation forcée engendrant le Génocide Ukrainien (Holodomor) par l’Arme de la Famine, faisant 6 000 000 de morts en seulement deux années : 1932 et 1933. Lénine avait déjà utilisé cette même politique de Collectivisation et de réquisition forcée des récoltes agricoles, engendrant déjà la mort de 5 000 000 de paysans, en 1921-1922. Au passage, comme le démontre Alexandre Soljénitsyne, Lénine en avait profité pour persécuter l’Église Orthodoxe et fusiller des milliers de prêtres et de moines ;
– Puis, dans la grande tradition Soviétique, Staline mit en place en 1936, les faux Procès de Moscou (confer Nicolas Werth : « Les Procès de Moscou : 1936-1938 »), dont le but, entre autres, était de Purger le Parti afin de liquider une éventuelle concurrence politique, en faisant exécuter les Camardes issus de la première garde Bolchevique de l’époque de Lénine : Trotski, Zinoviev, Kamenev, Toukhatchevski, etc. ;
– Vint ensuite, la Grande Terreur de 1937-1938, nommée également « Ejovschina », du nom du responsable du N.K.V.D. (nouveau nom de la Tcheka, la Police Politique) de l’époque : Ejov. 1 500 000 personnes furent concernées par cette gigantesque opération de « purification », car largement basée sur des critères ethniques. D’ailleurs, certaines de ces opérations étaient nommées : « opérations nationales ». Mais les cibles à exterminer étaient encore beaucoup plus larges. Elles concernaient classiquement : les « éléments socialement dangereux », les « contre-révolutionnaires », les « Koulaks », etc. (confer l’ouvrage de Nicolas Werth : « L’ivrogne et la marchande de fleurs : Autopsie d’un meurtre de masse 1937-1938 »).
Bref, au total : 750 000 victimes furent déportées au Goulag et 750 000 autres…, fusillées en seulement 15 mois !

« Cerise sur le gâteau », le 23 août et le 28 septembre 1939 les deux grands systèmes Totalitaires du XXème siècle : le Communisme et le Nazisme, s’associèrent dans un double Pacte Criminel de masse : le Pacte Germano-Soviétique !
Ce Pacte consista, entre autres, à envahir la Pologne avec les Armées Soviétique et Nazie, déclenchant ainsi la Seconde Guerre Mondiale.
Hitler et Staline main dans la main jusqu’en 1941. Ce double Pacte conduisit ces deux régimes Totalitaires à s’acharner sur la Pologne et à la dépecer sauvagement, en effectuant des opérations de déportation et d’extermination de masse, comme tragiquement, désormais, la plus célèbre : l’opération de « destruction » de l' »élite » Polonaise à Katyn et ailleurs en Pologne !

Staline s’évertua donc jusqu’à sa mort en mars 1953, à perpétuer et développer le système Totalitaire Communiste mis en place par son gourou Lénine, non seulement en Russie, mais également dans le cadre de l’Internationale Communiste, afin d’exporter ce système Totalitaire aux quatre coins de la planète. Voici d’ailleurs, pour terminer le commentaire de ce premier volume, le point de vue fort bien résumé et pertinent, d’un prisonnier, concernant la continuité entre Lénine et…, Staline ; que nous livre Alexandre Soljénitsyne (page 512) :
« Aussi bien avant d’être arrêté que durant mes années de prison, j’ai longtemps pensé, moi aussi, que Staline avait imprimé un cours fatal à l’évolution de l’État soviétique. Mais voilà Staline mort paisiblement, et peut-on dire que le navire ait tellement changé de cap ? L’empreinte propre, personnelle de Staline sur les évènements se résume à quelque chose de morose et d’obtus, à des caprices de petit despote, à l’autoglorification. Pour le reste, il n’a fait que mettre exactement ses pas dans ceux de Lénine et suivre les conseils de Trotsky ». »

P. S. : Cliquez sur ce lien pour consulter mon commentaire de : « L’Archipel du Goulag II, Tome 5 des œuvres complètes ».

Confer également les précieux témoignages sur le thème du Totalitarisme, de :
– Rithy Panh : « L’élimination » ;
– Dimitri Vitkovski : « Une vie au Goulag » ;
– Navy Soth : « Les larmes interdites » ;
– Shin Dong-hyuk : « Rescapé du camp 14 : De l’enfer nord-coréen à la liberté » ;
– Eunsun Kim : « Corée du nord – 9 ans pour fuir l’enfer » ;
– Vann Nath : « Dans l’enfer de Tuol Sleng : L’inquisition khmère rouge en mots et en tableaux » ;
– Khun Ken : « De la dictature des Khmers rouges à l’occupation vietnamienne » ;
– Alexandre Soljénitsyne (Une journée d’Ivan Denissovitch) ;
– Jacques Rossi (Qu’elle était belle cette utopie !) ;
– Jacques Rossi (Le manuel du Goulag) ;
– Evguénia S. Guinzbourg (Le vertige Tome 1 et Le ciel de la Kolyma Tome 2) ;
– Margarete Buber-Neumann (Déportée en Sibérie Tome 1 et Déportée à Ravensbrück Tome 2) ;
– Iouri Tchirkov (C’était ainsi… Un adolescent au Goulag) ;
– Boris Chiriaev (La veilleuse des Solovki) ;
– Malay Phcar (Une enfance en enfer : Cambodge, 17 avril 1975 – 8 mars 1980) ;
– Sergueï Melgounov (La Terreur rouge en Russie : 1918 – 1924) ;
– Zinaïda Hippius (Journal sous la Terreur) ;
– Jean Pasqualini (Prisonnier de Mao) ;
– Kang Chol-Hwan (Les aquariums de Pyongyang : dix ans au Goulag Nord-Coréen) ;
– Aron Gabor (Le cri de la Taïga) ;
– Varlam Chalamov (Récits de la Kolyma) ;
– Lev Razgon (La vie sans lendemains) ;
– Pin Yathay (Tu vivras, mon fils) ;
– Ante Ciliga (Dix ans au pays du mensonge déconcertant) ;
– Gustaw Herling (Un monde à part) ;
– David Rousset (L’Univers concentrationnaire) ;
– Joseph Czapski (Souvenirs de Starobielsk) ;
– Barbara Skarga (Une absurde cruauté) ;
– Claire Ly (Revenue de l’enfer) ;
– Primo Levi (Si c’est un homme) ;
– Primo Levi (Les naufragés et les rescapés : quarante ans après Auschwitz) ;
– Harry Wu (LAOGAI, le goulag chinois) ;
– Shlomo Venezia (Sonderkommando : Dans l’enfer des chambres à gaz) ;
– Anastassia Lyssyvets (Raconte la vie heureuse… : Souvenirs d’une survivante de la Grande Famine en Ukraine) ;
– François Ponchaud (Cambodge année zéro) ;
– Sozerko Malsagov et Nikolaï Kisselev-Gromov (Aux origines du Goulag, récits des îles solovki : L’île de l’enfer, suivi de : Les camps de la mort en URSS) ;
– François Bizot (Le Portail) ;
– François Bizot : « Le silence du bourreau » ;
– Nien Cheng (Vie et mort à Shanghai) ;
– Marine Buissonnière et Sophie Delaunay (Je regrette d’être né là-bas : Corée du Nord : l’enfer et l’exil) ;
– Juliette Morillot et Dorian Malovic (Evadés de Corée du Nord : Témoignages) ;
– Barbara Demick (Vies ordinaires en Corée du Nord) ;
– Vladimir Zazoubrine (Le Tchékiste. Récit sur Elle et toujours sur Elle).

Anonyme11 - - - ans - 18 août 2020


Edifiant! 8 étoiles

Voilà le premier mot qui me vient à l'esprit à la lecture de la première partie de L'Archipel du Goulag. Cette immense fresque du système concentrationnaire soviétique entre 1918 et 1956, est un livre exceptionnel. En effet cet essai littéraire est extrêmement bien documenté, Soljénitsyne a recueilli de très nombreux témoignages sur les camps russes émanant principalement de survivants. Il démontre l'arbitraire des arrestations, de l'instruction et des condamnations ainsi que le caractère MASSIF des déportations ; les bras vous en tombent à chaque page.
J'ai eu le sentiment que l'on me chuchotait à l'oreille tous ces crimes des "Organes" de l'Etat Soviétique, en effet je crois que toute cette partie de l'Histoire russe est encore aujourd'hui nimbée de brouillard.
Au niveau du style, j'ai trouvé l'écriture de Soljénitsyne très aboutie: il utilise l'ironie et le sarcasme et parvient à vous faire sourire des pires aberrations, son empreinte est esthétique et cela m'a donné envie de lire d'autres ouvrages de cet auteur. Il y a un côté rébarbatif dans cet ouvrage mais pas dans le style, je pense que cette lourdeur est nécessaire et intrinsèque à un travail d'investigation rigoureux, ainsi c'est selon moi la densité du contenu qui peut paraitre pesant, et paradoxalement, c'est cette exhaustivité qui en fait la richesse.
En effet, c'est une mine d'informations sur le régime totalitaire russe et cela m'a donné envie de m'intéresser à l'Histoire de ce grand pays marqué par les Révolutions.
Je conseille de lire ce livre car il illumine une partie de l'Histoire Européenne du XXème siècle avec brio.

Eviradnus - LYON - 38 ans - 19 mars 2010