Entre les murs
de François Bégaudeau

critiqué par Channe01, le 4 avril 2006
( - 70 ans)


La note:  étoiles
De la salle des profs à la salle de classe, paroles vivantes
Prix France Culture Télérama du livre.


C’est un roman. C’est un vrai travail d’écriture. Restituer au vif la parole des élèves si peu conforme au français écrit et même parlé au-delà de 30 ans… Nous sommes projetés dans la salle de classe avec la difficulté de mettre les élèves en situation de travail scolaire. J’anime des ateliers d’écritures dans les établissements scolaires et le malaise du prof, de l’adulte face à la classe, je l’ai retrouvé. Vivant, brut de décoffrage et pourtant travaillé. Bégaudeau a trouvé le moyen de me fasciner avec cette parole qui me déroute. Que je retrouve sur les feuillets des élèves et que les autorités veulent que je transcrive en français convenable. Alors, que moi, j’aurai tendance à laisser la parole en l’état. Pourvu qu’elle soit lisible, ce qui n’est pas toujours le cas. Mais quand un élève me dit que « Tolérer, c’est marcher sur un toit de tôle ». Je me dis qu’après tout l’exercice de la tolérance est aussi difficile que la marche sur un toit de tôle.
Bégaudeau nous montre aussi les professeurs tels qu’ils sont. Des humains ordinaires avec leurs préoccupations personnelles et un ennui profond qui les assaille devant la tâche qu’on attend d’eux. Les professeurs ne sont pas des anges. Ils ont l’exclusion facile. Enfin, vu de loin, c’est facile à dire. Mais l’exclusion présentée comme une possibilité de se reconstruire ailleurs ne manque pas d’humour.
De l’humour, il y en a dans ce livre et de l’espoir aussi.
Mais il faut absolument que l’état donne les moyens qui permettent aux enseignants d’enseigner…
Le collège, l’enfermement par excellence. On n’a pas l’âge de faire quoi que ce soit par soi-même et des envies de liberté. Les hormones prennent le pouvoir et ça fait monter les colères.
Le sentiment que nous avons deux langues. Le français tel qu’il s’écrit et se parle et une autre langue qui s’impose dans la vie quotidienne et rien que des malentendus derrière les mots…
A lire pour mieux comprendre le bouillonnement de la vie, pour le plaisir aussi… celui de la langue française qui se parle à l’écrit. J’ai entendu la voix ensoleillée et « rappante » des élèves… dans le creux de l’oreille. Comme si j’y étais…
Cours de littérature pour les "nuls" 6 étoiles

Je suis très partagé sur ce livre: à la première lecture je l'ai trouvé très drôle, plein d'énergie; à la deuxième j'ai été frappé par la fatigue et la lassitude permanente que le corps enseignant semble subir, ainsi que l'indifférence des élèves pour la chose scolaire. Je rajouterai que le professeur narrateur m'a paru souvent mal à l'aise et maladroit, souvent dépassé.

Malgré les questions parfois pertinentes, voire sainement rebelles des élèves, je n'y pas vu beaucoup d'espoir, dans cette "non-fiction", qui fait surtout le constat d'une école complètement étrangère au monde de ses propres élèves (et réciproquement). C'est un constat assez triste, assez qui ressort de tout, une ambiance assez morose,assez dépressive presque, qui interroge beaucoup sur la place de l'école dans notre société et ce qu'elle peut vraiment apporter à une partie des collégiens et des lycéens.

Fanou03 - * - 49 ans - 7 avril 2022


Scolaire 4 étoiles

Une immersion dans un milieu que chacun de nous connaît bien, sinon en temps que douloureux souvenir - qu'y a-t-il en effet de plus implacable qu'un prof, à noter des personnes (qui, la plupart du temps, n'ont absolument pas les mêmes chances de réussite dans la vie) ? Quel avenir pour celui ou celle qui échoue, une fois les mensonges mis de coté ?

Bien sûr le livre se déroule dans un milieu dit "sensible" et non au lycée Henri IV, mais le ton bobo et avenant de l'auteur étant ce qu'il est, on souffre encore plus pour son intolérance qui devient évidemment plus masquée, plus cachée qu'un de ces maîtres de l'ancien temps vêtus d'un tablier et munis d'une baguette. Ou alors qu'un de ces privilégiés typiques de la méthode française qui passera ses examens plus aisément qu'un autre en banlieue, c'est peu dire. Il s'avère de toute façon évident que ce Bégaudeau est un de ces faux-cools qui dissimulent un amour immodéré pour le réglement derrière un profil bienveillant et très consciencieusement construit.

Donc j'ai trouvé la plupart de ce récit plutôt complaisant pour cette profession et contenant assez peu de vraie remise en question: par exemple traiter une élève de "pétasse" ça n'est pas très grave en soi, mais comment peut-on exclure quelqu'un simplement pour insubordination pour ensuite s'en justifier entre chapelles de différentes confessions et juste comme au XIXème siècle ? La faute à qui, à la base ?

Tout en connaissant de même la dose de gavage nécessaire pour arriver jusqu'au baccalauréat français, on peut sérieusement se poser des questions sur un système qui comprend en soi énormément de par coeur au contraire d'une réflexion quelconque, d'imagination, de mise en pratique que sais-je. Et d'ailleurs beaucoup moins souple et moins porté sur le pragmatique et manuel que par exemple; celui du Royaume-Uni entre autre.

On voit bien que hormis l'influence marxiste de certains profs (qui se contentent surtout de faire leur propagande caricaturale quant à eux) très peu apprennent finalement aux élèves de vraies choses puisqu'il faut suivre, de toute façon, le sacro-saint programme et ne pas rechigner ! Les pages consacrées à la salle des profs sont là-dessus on ne peut plus explicites: on constate que l'élevage de bécasses et de dindons savants est encore de rigueur, et en particulier la préparation à ce monde peu juste et capitaliste. Dommage aussi que ce système accorde une telle importance aux matières scientifiques (pour le pays de Descartes c'est paraît-il normal) et si peu aux matières artistiques, généralement moquées ? Ca aussi, c'est typiquement français !


Je ne dis pas pour finir que l'ensemble et quelques vrais détails sont inutiles, je dis juste qu'il s'agit juste d'une de ces oeuvres bien gentilles qui ne dérangent, somme toute, personne sinon peu de monde et surtout pas le corps professoral. Il fallait juste gratter le vernis.

Antihuman - Paris - 41 ans - 9 septembre 2014


4 étoiles 8 étoiles

Livre agréable, bien écrit sans être flamboyant. Ce livre a pour avantage de décrire avec une justesse inégalée la vie dans un lycée "difficile".

Oursblanc - - 29 ans - 29 janvier 2011


Entre les murs 7 étoiles

Une brasserie, une salle des profs et une salle de cours. Trois lieux. Une classe de 4°, une de 3° et des professeurs Ils sont les héros du livre de François Bégaudeau.
Quand on ouvre le livre, on ouvre une lettre de convocation. Elle nous invite à passer un an intra muros d'un collège parisien. Un an durant lequel nous suivons un jeune enseignant: le narrateur. Son quotidien, sa bataille contre la capuche de Souleymane, contre la machine à café qui n'accepte que les pièces de dix centimes, contre la photocopieuse qui ne fait pas les rectos versos. Un an durant lequel Mezut réclame des dictées, et Dico veut changer de classe.
Entre les murs est à la fois une fiction et une réalité. la réalité de l'éducation. Plusieurs ont déjà traité le sujet: Daniel Pennac avec Chagrin d'école, Nicolas Philibert avec Etre et avoir, mais aucun de cette manière.
Malgré l'expression trop orale et les propos parfois choquants du professeur ("Si une bombe rayait l'Autriche de la carte, personne ne s'en rendrait compte"), ce livre est enrichissant. Il nous montre que l'école n'est pas toujours comme on le voudrait, qu'elle n'arrive pas à aider tout le monde. J'ai refermé le livre avec un mélange de déception et de satisfaction.

Isaya Toel - - 30 ans - 28 novembre 2008


Lecture agréable sur la forme 7 étoiles

A quelques jours de la sortie en salle du film de Laurent Cantet, adaptation du livre de François Bégaudeau, Entre les murs, le débat divise le corps enseignant et libère les passions des journalistes les plus engagés. François Bégaudeau est prof, il enseigne le français dans un collège public d’un arrondissement populaire de Paris. Dans cet ouvrage qui n’est ni vraiment un roman, ni vraiment un essai, juste des tranches de vie et des morceaux de journées couchées sur papier, Bégaudeau s’expose sans fard, nous livre son métier comme il le vit.
Entre les profs stéréotypés, qui s’écoutent se plaindre à la pause café, et qui jugulent tant bien que mal toutes les difficultés de leur métier ; et ses élèves, pas toujours faciles, pas toujours motivés, et aux origines métissées, Bégaudeau nous offre une vision de l’intérieur, relevant tous les petits détails du quotidiens.
De ses instants qu’il nous livre, on retiendra avant tout que Bégaudeau aime son métier, aime ses élèves. Parfois à bout de nerf, parfois fatigué, il fait ce qu’il semble être juste, compose avec ce qu’il a, et fait ce qu’il peut. Touchant, drôle, parfois dur, il incarne une image presque sympathique du prof, celui qui a toujours la bonne répartie, que rien n’abat.
Alors forcément, quand un prof se met à nu, il offre sa tête à la critique. Le corps professoral fulmine qu’un prof avec “ce genre de méthodes pédagogiques” soit starifié, voit son film récompensé de la Palme d’Or au Festival de Cannes, et soit choisi pour représenter la France à la Cérémonie des Oscars. Qu’importe, on sent chez Bégaudeau un amour contrarié mais bien présent pour son métier et du respect pour ses élèves, même quand il charrie trop. Et on sent surtout, chez ses élèves un peu rebelles, une envie de jouer avec ce jeune prof un peu sympa, de tester ses limites. De ces confrontations perpétuelles, Bégaudeau a su tirer un recueil mordant, drôle et parfois touchant, qu’on ira voir au cinéma et pour cause : lui et ses élèves jouent leur propres rôles !

BONNEAU Brice - Paris - 40 ans - 16 octobre 2008


Enfin un discours brut et sans préjugé idéologique 8 étoiles

C'est une vision de l'école que l'on entend si peu et qui est si proche de la réalité... Ayant connu le genre d'établissement dans lesquels a travaillé l'auteur, j'ai toujours été doucement sarcastique à l'écart des discours officiels sur l'enseignement, véhiculant des idéologies pompeuses et simplificatrices.

La réalité est tout autre et elle est bien décrite dans ce livre (qui ressemble bien peu à un roman, plutôt à un assemblage de moments vécus). Un cercle où des élèves qui ne parlent que mal le français chez eux, doivent en apprendre les subtilités écrites qui sont bien difficiles à atteindre ; un mélange d'histoires, de coutumes et de religions qui créent toutes sortes de racismes et des enseignants qui n'ont jamais rêvé d'être là et sont souvent au bord de l'épuisement...

Bref, un extrait pur de nombre d'établissements scolaires.

Le café de... - Perpignan - Bordeaux - 40 ans - 31 août 2008


Bruyant 4 étoiles

L’auteur réussit à évoquer l’ambiance d’une classe avec brio. Malheureusement, j’ai eu l’impression de perdre tout lien avec les personnages. On ne sait pas trop qui cause et avec qui. La succession de scènes illustrant les différents malaises en éducation deviennent ennuyeuses et répétitives à la longue.

Je n’aime pas quand on fait du reportage et me le présente comme un roman. En réalité, il y’a très peu de choses romanesques dans ce livre.

Les écoles ne sont plus ce qu’elles étaient? Vraiment? Vous ne le saviez pas?

Aaro-Benjamin G. - Montréal - 55 ans - 13 août 2007


Entre les murs 8 étoiles

Un livre intéressant : Bégaudeau nous livre la vie des profs dans les collèges difficiles.
Le tout est un peu répétitif (sans doute pour bien marquer la routine quotidienne de ces pédagogues) mais bourré d'humour.
Ce livre en appellera-t-il d'autres pour décrire le malaise du milieu enseignant face à des enfants de plus en plus agressifs et livrés à eux même...

Franckyz - - 46 ans - 9 octobre 2006


A LIRE ABSOLUMENT ! 10 étoiles

Je ne répèterai pas ce qui a été dit, et irai donc à l'essentiel :
Bégaudeau nous raconte là l'histoire -vraie- du prof de français qu'il est, dans son collège de banlieue, avec son langage, ses gens, ses profs, ses élèves. Non ce n'est pas une autre histoire, ou un autre témoignage de la banlieue que l'on commence à connaître par coeur.

C'est un livre qu'on avale, où l'on rit, où l'on est surpris. Un livre qu'on veut lire à voix haute, et que l'on peut vraiment apprécier pour son réel style linguistique.
Terrible.

Lig - Gouesnac'h - 41 ans - 16 septembre 2006


un tremblement de terre 8 étoiles

Cette fiction si réelle ressemblerait presque à un documentaire sur les collèges des quartiers sensibles de Paris... si ce n'est le niveau de langue du prof de français. Pour les élèves, cela est crédible mais pas pour le professeur. Mais bon, à part ça, je me suis régalée en lisant ce roman que je viens à peine de finir car nous connaissons parfaitement les romans décrivant la vie des élèves mais ceux décrivant celle des professeurs se font rares... trop rares même... et c'est bien dommage car étant moi-même lycéenne, je trouve que cela permet aux élèves de comprendre ce que vivent les professeurs et d'arrêter de se prendre pour des victimes à la moindre occasion... Le prof n'est plus, dans ce roman, un être sadique qui cherche à ennuyer les élèves à coup de Baudelaire et de Pythagore et à les punir simplement pour se divertir, il est un être humain à qui il arrive des fois de déraper au point de traiter deux élèves de "pétasses".
Continuellement dans une ambiance de menaces et de monotonie (toujours les mêmes phrases en chaque début de cours: l'un qui veut changer de classe, l'autre qui garde toujours son bonnet et sa capuche), nous lisons ce livre avec un petit sourire en coin en pensant que nous aussi, en reprenant les cours, nous aurons droit à ce déluge de vu et de revu et aux incontournables "j'avais mal dormi".

Estel - Briançon - 36 ans - 3 septembre 2006


oui, mais, pas si sûre 5 étoiles

Alors, voilà, il m'est difficile d'être claire sur ce livre, lu lors de sa parution, j'avais hésité à le critiquer ici même, Channe01 l'a fait et c'est très bien.

Pourquoi des hésitations : premièrement, je ne suis pas prof et sans enfant scolarisé, mon image de l'école est celle que renvoient les média ; deuxièmement comme l'a écrit Feint, on a pas mal parlé du livre en le reliant au "problème" scolaire actuel, si problème il y a, et on a assez peu porté la question sur le livre lui-même (et là se situent mes doutes) ; troisièmement, le temps a déjà fait son oeuvre et refroidi mon enthousiasme.

Ceci est donc un jugement à froid, non de ce que relate l'auteur, il n'a pas d'histoires à raconter, seulement des anecdotes et un brio d'écriture certain.
Après avoir eu du mal à rentrer dans le texte, il y avait la barrière du langage des jeunes retranscrit par l'auteur (le sms n'est pas ma langue maternelle!), j'ai été, oui, ravie, par cette retranscription et son côté queneauesque. Mais, le style n'est pas une fin en soit, il doit donner au lecteur un corps auquel s'attacher, des idées auxquelles revenir, des thèmes auxquels réfléchir. Nulle trace ici, l'écriture est brillante, enjouée et pleine d'humour, mais elle n'est qu'écran de fumée. Que retient-on de ce livre la dernière page achevée ?

Une lecture agréable, un "sujet" d'actualité, mais un traitement anecdotique. D'ailleurs, comment le traiter autrement dans un roman sans être didactique, polémique ou pompeux, voire les trois à la fois.
Reste la qualité de l'écriture, légère et pétillante.

Vda - - 49 ans - 8 mai 2006


ma "tuition" était bonne... 10 étoiles

ce que j'ai bien fait d'ouvrir ce livre : je l'ai adoré, il est bourré d'humour, d'ironie, d'auto-ironie. on y voit comme les élèves peuvent être pénibles, difficiles à supporter parfois (j'ai entendu souvent??) et dans le même temps attachants et touchants...
un roman "vrai" autant dans le fond que dans la forme; j'ai beaucoup aimé l'écriture de ce livre et l'idée qu'on peut écrire de la littérature en utilisant un langage généralement réservé à l'oral.

Rachel - grenoble - 46 ans - 8 mai 2006


Une gifle 8 étoiles

Ce livre sonne comme le journal de bord d’un enseignant en Français dans un collège classé en zone sensible. Une année scolaire marquée,par les élèves d’abord, les collègues et quelques événements d’actualité.
Cette année scolaire est livrée brute ; sans analyse, sans recul porté, elle est une succession de moments : un florilège de perles, de moments tendus, d’agressivité, de dépit et de découragement compensés exceptionnellement par quelques moments de « génie’ et en tous les cas d’émotions.
C’est une gifle à notre système éducatif, mais aussi une vision assez objective sur les efforts à fournir de la part de tous, élèves, enseignants, parents et pouvoirs publics.
Puis, il y a la langue véritablement posée comme le reflet d’une langue vivante qui effraiera les puristes snobinards, qui incitera à la réflexion, celles et ceux qui accompagnent son changement constant.

Monito - - 52 ans - 8 mai 2006


Donner à voir 8 étoiles

Les critiques qu’on peut lire à propos d’Entre les murs parlent beaucoup de l’école. Il m’a semblé que Bégaudeau, dans son livre, faisait plutôt œuvre de littérature. Tous les sujets sont bons – peut-être. Il m’est personnellement difficile d’en parler avec toute l’objectivité dont je voudrais faire preuve justement parce que, comme de nombreux contributeurs, j’enseigne en collège, j’ai fréquenté des établissements catalogués comme diversement difficiles, à Saint-Denis, à Nanterre, et d’autres aussi, catalogués comme plus ou moins faciles. Je rends grâce à Bégaudeau de n’avoir formulé aucun jugement, de ne faire que donner à voir. Face à mes troisièmes d’aujourd’hui, plongés dans leur rédaction, des élèves a priori bien différents de ceux du narrateur – ou peut-être pas tant que ça – j’ai sorti le livre, j’en ai lu quelques pages en silence. C’était drôle. Certains qui me voyaient sourire ont levé le nez de leurs feuilles. Avant la sortie, les copies ramassées, je leur ai lu l’extrait. « C’est quoi c’bouquin ? » « Comment qu’y parlent les élèves ! » Ebahis. Ça aussi c’était drôle.
Certains lecteurs paraissent sortir désespérés par la lecture de ce livre, qui sans aucun doute ressemble vraiment à une réalité au moins. Moi non. Bégaudeau parvient sans peine à ranimer ma sympathie pour les élèves, si elle en avait besoin, plus encore que pour le prof à cran qu’il campe devant eux. Ce faisant, il réussit à être à la fois dans le rôle de l’écrivain et dans celui de l’adulte chargé de leur faire sentir ce qu’il y a de meilleur en eux. J’aime Alyssa, avec ses éternelles questions, comme des marches de son escalier personnel (et pourtant Dieu sait qu’elle me fatigue). Absente, elle manquerait vraiment à la vie de la classe. J’aime Sandra, son bourrelet sous le T-shit et ses interventions intempestives (et pourtant Dieu sait qu’elle me saoule). Et Souleymane, mon complice de début de cours, qui me donne si bien sa muette réplique, avec sa capuche qu’il n’oublie jamais d’oublier. Et même Mezut, qui chaque jour prend à cœur de me faire toucher du doigt le fond du puits sans fond de l’incompréhension. Tout cela, c’est bien. C’est épuisant, je ne pourrai sans doute pas continuer longtemps comme ça, un jour il faudra que je change, quand je serai plus vieux, sûrement. Ou peut-être pas.
Je m’égare peut-être. Tout cela n’est pas dans le livre. Rien cependant ne m’interdit de l’y mettre.
Certes, les passages dans la salle des profs – si peu de profs, le collège doit être tout petit ! – sont parfois un peu faibles (même si, contrairement à ce que j’ai pu lire, je n’y vois aucune critique des professeurs). Mais c’est vrai aussi qu’ils donnent un contrepoint avec les passages en classe. Cette alternance permet de rendre compte du caractère à la fois routinier et fragmentaire d’une vie passée dans un collège. C’est vrai aussi qu’il y a parfois quelques facilités, on sent de temps de temps un trait d’humour un peu forcé – c’est la demande qui veut ça : les lecteurs, ou la critique, aiment qu’un livre soit drôle. Cependant le travail sur le langage, décalqué sur la réalité, suffit au sel de ce livre de qualité. Bégaudeau facétieux parvient presque à nous faire croire que son narrateur a tort quand il lui fait expliquer à ses élèves : « on n’arrive jamais à écrire comme on parle, c’est impossible, tout ce qu’on peut faire c’est donner une impression d’oralité, c’est tout… » (p. 241)

Feint - - 61 ans - 6 mai 2006