Gens des nuages
de Jémia Le Clézio, J.M.G. Le Clézio

critiqué par Tistou, le 2 avril 2006
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Ex-Sahara espagnol
Jemia est la femme de J.M.G. Le Clézio. Ils se sont connus à Maurice mais la famille de Jemia est originaire de la Saguia El Hamra (la rivière rouge).
« La Saguia El Hamra est une vallée asséchée à l’extrême sud du Maroc, au delà du Draa, au coeur d’un territoire qui a longtemps appartenu à l’Espagne sous le nom de Rio de Oro. » Autrement dit l’ex Sahara Espagnol, le conflit sahraoui avec le Maroc, terre longtemps interdite et dangeureuse (mines notamment).
« Et voici que tout d’un coup, alors que nous n’y songions plus, le voyage devint possible … Nous voulions entendre résonner les noms que la mère de Jemia lui avait appris, comme une légende ancienne, et qui prenaient maintenant un sens différent, un sens vivant : les femmes bleues ; l’assemblée du vendredi ; les Chorfa, descendants du Prophète ; les Aït Jmal, le peuple du Chameau ; les Ahel Mouzna, les Gens des nuages, à la poursuite de la pluie. »
Le rêve devient donc réalité et « Gens des nuages » est un récit de voyage. Des considérations sur la filiation dans une autre civilisation, sur le voyage, le Sahara, la vie dans le désert, la beauté du désert, … , accompagnées de photos. Le désert est omniprésent. Ses habitants aussi, qui semblent d’autant plus denses qu’ils sont rares. Les échanges de Jemia et JMG Le Clézio avec ces habitants de la Saguia El Hamra, les ancêtres de Jemia, sont riches, riches d’humanité, de profondeur. Il est plus facile de se concentrer sur l’essentiel quand on est confronté à la non-abondance, au presque-néant. Ces échanges sonnent vrais et cet ouvrage de JMG Le Clézio n’est pas dans la fiction. C’est bien la relation d’un retour aux sources longtemps rêvé, espéré, et effectué enfin comme dans un rêve.
« Nous sommes restés le plus longtemps que nous avons pu sur le Rocher, à regarder, à écouter, à respirer. Le souffle continu qui vient du fond de la vallée siffle dans les trous de la roche. Dans mille ans, dans dix mille ans, le Rocher sera toujours là, simplement un peu plus usé par les grains de sable qui le bombardent, éclaté par endroits par le tonnerre, par l’alternance de la chaleur et du gel. »
Les impressions de lecture de Patryck Froissart 8 étoiles

Titre : Gens des nuages
Auteurs : Jemia et JMG Le Clézio
Editeur : Gallimard 2003
Collection : Folio
ISBN : 2070412164
150 pages


Ce petit livre écrit conjointement par les époux Le Clézio retrace un pèlerinage, un de ces retours aux sources, une de ces quêtes des origines qui constituent, chez JMG Le Clézio, le prétexte de la plupart de ses romans.
Ici, c’est Jemia qui se met à la recherche de ses ancêtres, de sa tribu, les Ouled Khalifa, dont l’épopée est racontée par ailleurs dans le roman de JMG, Désert, et qui y entraîne son mari, dont l’émotion est au moins aussi forte que la sienne, quoique de nature différente, lorsqu’ils retrouvent un cousin de Jemia, Sid Brahim Salem, lorsqu’ils pénètrent dans le mausolée du saint Sidi Ahmed El Aroussi, lorsqu’ils gravissent le Rocher, le Tbeila, dans l’aride Saguia El Hamra.
L’art de la description, de l’expression retenue des sentiments, de la mise en relation du passé et du présent, de la référence à l’histoire, et le talent poétique de JMG se mêlent à la poésie naturelle, innée, congénitale, des gens du désert, des gens des nuages, les Ahel Mouzna, dont semble avoir hérité Jemia, cette poésie consubstantielle à cette région lointaine, qui baigne les lieux d’une atmosphère mystérieuse, fugace, que ne peut saisir l’étranger, qui n’en distingue que des traces, des relents, vite effacés, emportés par le sable et le vent.
« Il se pourrait que le devenir des hommes, fait d’injustice et de violence, ait moins de réalité que la mémoire des lieux, sculptée par l’eau et par le vent.Alors la Seguia el Hamra est bien la source de l’histoire, pour ainsi dire contemporaine des origines. N’est-ce pas là ce que nous sommes venus chercher : le signe de l’origine ? »
Une émouvante communion naît au fil des pages, exprimée pudiquement, entre les lignes, entre Jemia et JMG, et se glisse dans le récit de voyage, en filigrane, une belle histoire d’amour.
Les photos de Bruno Barbey, discrètes, parfois réduites à la dimension d’un timbre-poste, dans un coin de page, comme l’oasis ou le marabout qu’on découvre au détour d’une dune, sont belles, dépouillées, choisies à bon escient.
Un petit livre, certes, mais un bon moment de rêve et d’émotion esthétique.

Patryck Froissart, St Benoît, le 23 novembre 2006


FROISSART - St Paul - 77 ans - 23 novembre 2006