Le narrateur, qui est aussi l’éditeur, est très impliqué dans cette histoire d’amour. Il met en œuvre l’intériorité de son expérience vécue. Ce qui rend son récit d’autant plus véridique, c’est qu’il dévoile les événements, en raison de son état d’âme au moment où il les écrit. Gabrielle Lubin, quarante-deux ans, tombe amoureuse de l’éditeur qui guide son travail. Cette liaison heureuse durera dix ans. Le narrateur a aimé Gabrielle avec passion, mais cette passion s’est atténuée avec l’habitude. Les soixante-quinze premières pages, si bien narrées, nous émeuvent par sa simplicité.

C’est une histoire d’amour bien construite. Elle raconte l’aventure et le point de vue du narrateur, mais c’est Gabrielle qui fait avancer l’intrigue par la prérogative du travail sur l’amour, il faut bien le dire, un peu égoïsme tout de même. Elle domine le narrateur et ira jusqu’à recourir, à l’homme qu’elle a blessé, dans ses moments difficiles. Quel homme bon! Il se donne sans compter et continuera à la protéger également après leur rupture. Parfois, pourtant, il m’arrive de penser, qu’il éprouve de la jalousie, et qu’il se complaît dans sa peine.

En plus d’être psychologique, ce roman est poétique. Je signale un passage qui m’a fait penser à Félix-Antoine Savard : celui des oies sauvages que le couple remarque en se promenant dans le bois, d’où l’oie en tête qui domine et les autres disposées en triangle, tout unies, pour voler, nous renvoie, je crois, au dominant dominé du couple. « (…) il arriva, soudain, qu’une des leurs se laissa distancer. Elle allait, comme à la dérive, en marge de la longue file, et l’écart s’accroissait vite. Et je vis trois ou quatre oiseaux se séparèrent du groupe, vinrent entourer la traînarde et la ramenèrent, (…) j’avais la gorge nouée devant ce phénomène inexplicable, ce courage, cet entêtement. Cet inéluctable aussi, qui me faisait le comparer à l‘amour ».

Le style est agréable à lire et j’avoue en être ressortie un peu bouleversée. Les deux dernières pages sont les plus émouvantes. On y repense, le livre fermé.

Saumar - Montréal - 91 ans - 6 novembre 2012