Fleur de nuit
de Shani Mootoo

critiqué par Féline, le 30 mars 2006
(Binche - 46 ans)


La note:  étoiles
Une lecture exotique
Tyler, après de brillantes études d’infirmier, est engagé à la maison de repos de Paradise. Loin d’être impressionnée par ses diplômes, la directrice l’affecte au nettoyage des bâtiments. Entre deux coups de balai, Tyler rêve de pouvoir s’occuper de ses charmants vieillards. Son souhait est enfin exaucé quand Mala Ramchandin est envoyée à Paradise par le tribunal. Aucune infirmière n’accepte de toucher la vieille dame, au sujet de laquelle courent les rumeurs les plus folles. On aurait retrouvé un cadavre dans la jungle de son jardin ! Mais faute de preuves et au vu de l’état mental de l’accusée, le juge a décidé de la confier au soin de l’hospice de Paradise. Tyler se prend rapidement d’affection pour Mala et l’apprivoise peu à peu.

Au fur et à mesure du récit, l’histoire de Mala se dévoile par bribes. On découvre son enfance malheureuse auprès d’un père alcoolique qui ne se remet pas du départ de son épouse avec la femme qu’ils aimaient tous les deux. Impuissant, on assiste au dénouement tragique de son enfance, qui la libèrera de son bourreau mais la fera aussi sombrer dans la folie.

Shani Mootoo signe un premier roman, dont l’écriture poétique et exotique nous transporte. La construction du récit recèle une pointe d’originalité. Les personnages sont pour la plupart attachants. Mala, qui vivait dans son jardin sauvage, entourée de la nature et des animaux ; Tyler, le jeune infirmier, touchant par son attachement à Mala mais aussi par sa difficulté à assumer son homosexualité ; Ambrose, l’amour de jeunesse de Mala, qui a passé sa vie à dormir, ne se réveillant qu’une fois par mois pour apporter des provisions à la femme qu’il ne peut oublier ; Otoh, le fils d’Ambrose, ou devrait-on dire la fille ? Née Ambrosia, elle ne s’habille que comme un garçon, faisant oublier qu’elle a un jour était une jeune fille.

Une lecture agréable et exotique.
La moiteur des serres tropicales 7 étoiles

Pioché dans le bac d'un bouquiniste du quartier Saint-Michel, voici un étrange bouquin : Fleur de nuit de Shani Mootoo, une indienne qui s'est établie au Canada après avoir vécu à Trinidad.
Fleur de nuit (Cereus blooms at night en VO - le cereus est un cactus tropical qui fleurit la nuit) met en scène des immigrés indiens dans une île des Caraïbes.
Sous la plume expressive de Shani Mootoo, ce roman nous distille un parfum étrange et une puissante ambiance.
Avec une histoire forte déjà, celle d'une drôle de famille : la mère est partie avec une amie, le père se console avec l'une des deux filles, Mala.
Elle finit à l'asile auprès d'un infirmier efféminé qui s'amourache du fils de l'ami d'enfance de Mala ... le ton est donné !

[...] ... une femme que son père avait manifestement confondue avec son épouse et dont la propre mère avait manifestement confondu une autre femme avec son époux ...

Traumatisée par tous ces secrets de famille, Mala se réfugie dans la connaissance des secrets de la nature, à moitié fofolle, à moitié sorcière selon les ragots du village.

[...] Si tu protèges un escargot vivant, à sa mort il se souviendra de toi. [...] Après sa mort, son âme, qui est invisible, veut retrouver sa vieille maison. [...] Attends de trouver des coquilles qui se sont vidées naturellement, mon chou. Ensuite, voilà ce que tu fais : tu les alignes pour que les âmes flottantes des escargots qui les occupaient autrefois puissent les repérer facilement. [...] Alors toi, [...] et tous ceux que tu aimes bénéficierez de la protection des forces bienveillantes de l'univers.

L'an passé on avait découvert avec la suédoise Kerstin Ekman, un roman habité par la physique des corps.
À l'opposé géographique, celui de Shani Mootoo est peuplé des parfums, des odeurs et des senteurs de la nature tropicale.
Une nature envahissante, souvent pourissante puisque la vie se nourrit de la mort.

[...] Quelques pas plus loin, une autre odeur indéfinissable l'assaillit. Chaque bouffée apportée par la brise qui soufflait entre les pilotis le faisait hoqueter. On aurait dit l'épaisse puanteur des latrines débordantes. [...] Dans les rêves où il rencontrait Mala, il respirait des parfums d'herbes, de pots-pourris et de baumes, bref aucune odeur aussi oppressante que celle qui le suffoquait à présent.

Le premier chapitre voit la vieille Mala arriver à l'asile et tout le roman, habilement construit, nous ramène sur les traces de son effroyable passé.

[...] Seigneur ! Par où commencer ? Même les débuts ont leur propre début. C'est une rude tâche.

Car dans la maison de la vieille folle on n'a pas retrouvé que des coquilles vides d'escargots ...

BMR & MAM - Paris - 64 ans - 20 avril 2008


Shani, il est où ton monde ? 9 étoiles

Quel bonheur de lire ce récit si bien critiqué par Féline qu'il est inutile d'en reprendre l'histoire, c'est un véritable coup de coeur que nous avons partagé avec mon épouse.

Ce livre rompt, pour une fois, avec l'image misérabiliste et morbide des hospices et autres mouroirs dont on conte habituellement la vie de leurs malheureux occupants.

Shani nous emmène dans un monde de poésie et de tendresse où la fin de la vie n'est pas forcément sordide et où la différence n'est pas une tare.

Je voudrais vivre dans le monde de Shani et qu'elle me raconte encore des belles histoires comme ça.

Débézed - Besançon - 77 ans - 20 mars 2008