Clovis
de Saki

critiqué par Malic, le 30 mars 2006
( - 82 ans)


La note:  étoiles
Humour anglais, du rose au noir
Tom Sharpe, Evelyn Waugh et Roald Dahl ont reconnu leur compatriote Saki ( pseudo de H. H. Munro) comme leur maître et comme le plus grand humoriste d’un pays qui n’en est pourtant pas avare. Au cours de sa brève carrière littéraire interrompue par sa mort à la guerre en 1916, Saki écrivit près de 140 nouvelles dont l’édition intégrale a paru en 2003 aux éditions L’Age d’homme. C’est de cet ouvrage qu’est extrait le recueil « Clovis », nom de l’un des « doubles » de l’auteur, qui fait ici plusieurs apparitions tantôt comme personnage principal tantôt comme simple figurant.

Clovis est une sorte de jeune dandy oisif et qui tient à le rester. Il est charmant, élégant, amateur de cuisine raffinée et affecte un cynisme de tous les instants : « ma mère m’a appris la différence entre le bien et le mal, car il y en a une vous savez, mais j’ai oublié laquelle… » Sa principale utilité dans la vie semble être de semer la panique dans les salons ou les garden-parties. Il se montre génial dans la mise en scène de ces canulars ahurissants qui sont sa spécialité, que ce soit pour venir en aide à un ami, pour préserver ses intérêts ou pour son seul plaisir.
Ce volume de 27 nouvelles contient quelque uns des chefs- d’œuvre incontournables de l’auteur :

« Tobermory », histoire dans laquelle Saki choisit ironiquement un chat, animal taxé d’hypocrisie par tous ceux qui ne le connaissent pas, pour dénoncer l’ hypocrisie humaine, bien réelle celle là.

« La panique de lady Bastable » et « La cure d’agitation », exemples des canulars évoqués plus haut. « La déroute de Tarrington », exemple cette fois du talent d’improvisation verbale de Clovis lorsqu’il s’agit d’écarter un importun.

« Le Chemin de la laiterie », où Saki épingle avec allégresse l’avarice et rétablit une vraie morale au détriment de ses faux-semblants

« Le marieur »,« Le péché secret de Septimus Brope », « L’œuf de Pâques », « Le Tigre de Mrs Packeltide », « La paix de Mowsle Barton », « La réforme de Groby Lington » « Esmé », fantaisies plus ou moins débridées, qui vont du rose au noir et dans lesquelles Saki déploie avec une allégresse constante son sens du paradoxe et du jeu de massacre. C’est un auteur qui même lorsqu’il est noir n’est jamais déprimant.
« La musique sur la colline » : une histoire, fantastique ou réaliste au choix du lecteur, où l’humour se fait très noir et dont l’atmosphère lourde et le pouvoir de suggestion contribuent au malaise, et au bonheur, du lecteur.
« Sredni Vasthar », sans doute le Chef- d’œuvre absolu de Saki. Pas un mot de trop dans cette histoire presque autobiographique dans laquelle un enfant à la vie sans espoir voue un culte à un furet. Un joyau de noirceur et de révolte.
Enfin, une curiosité : « Hermann l’irascible », fable anti- suffragettes drôle mais pour le moins datée, d’une telle mauvaise foi qu’elle en devient désarmante.
Un mot sur la traduction : Gérard Joulié, le traducteur, me semble parfois avoir pris avec le texte anglais des libertés surprenantes. Mais je laisse à plus anglicistes que moi le soin d’en juger.
Attention : plusieurs de ces nouvelles figurent déjà dans les deux volumes de l’anthologie Saki en 10/18 : « La fenêtre ouverte » et « l’omelette byzantine , édition qui me semble le meilleur choix pour découvrir Saki, tant pour la traduction que pour la sélection des textes.» (cf sur Cl la critique de « l’omelette byzantine)
Fables humoristiques 9 étoiles

Parties à cheval pour une chasse au renard, deux ladies se retrouvent avec une hyène apprivoisée qui les suit dans les bois comme un petit chien, tue au passage une petite bohémienne et finit renversée par une automobile... Un des invités de Lord Wilfrid prétend que son chat parle aussi bien qu'un humain. Vérification faite, tout le monde découvre que non seulement l'animal s'exprime de façon parfaitement claire et compréhensible, mais encore qu'il est capable de colporter toutes sortes de ragots et potins voire même les secrets les moins reluisants des uns et des autres... Jalouse des exploits aériens de son amie Loona Bimberton, Mrs Packletide décide de partir chasser le tigre et de lui offrir un collier de dents du fauve pour la faire enrager... Un tableau « La chute d'Icare » tatoué sur le dos d'un voyageur lui cause bien des problèmes insoupçonnés au départ... Hermann l'irascible, le nouveau roi d'Angleterre prend une décision étrange : il n'accorde pas le droit de vote aux femmes, mais les oblige à aller voter à chaque élection sous peine de sanctions...
Ce recueil comporte une trentaine de nouvelles qui sont autant de petits récits, de tableaux, d'historiettes ou de contes écrits d'une manière fluide et délicate et épicés d'un humour très particulier, fait d'un mélange d'ironie, de dérision et même d'une certaine philosophie aussi élégante que détachée. Saki, de son véritable nom Hector Hugh Munro, a une élégance de style qui l'apparente avec Wodehouse pour l'humour british et avec Saint Exupéry pour le côté naïf et rêveur type « Petit Prince ». En effet, Saki se sert énormément des animaux pour dénoncer les travers des hommes. Avec une fausse naïveté confondante, il arrive à imaginer des situations souvent absurdes et presque toujours poétiques qui font de ces nouvelles de charmantes chroniques à déguster sans modération. Le lecteur y trouvera un tableau intéressant de la vie de la gentry britannique, des occupations et des passions des aristocrates désoeuvrés et des gentlemen farmers désabusés de la Belle Epoque. Tous les textes sont impeccablement écrits. Certains atteignent même aux rivages du fantastique comme « Les Ministres de la grâce » où Saki imagine ce que donnerait la gestion du pays si elle était confiée à des anges voire à la beauté de la fable avec « La réforme de Groby Lington » sur le thème de la ressemblance osmotique entre l'humain et son compagnon animal. A lire, même à un siècle de distance...

CC.RIDER - - 66 ans - 7 août 2013