En lisant Tourgueniev
de William Trevor

critiqué par Eireann 32, le 13 mars 2006
(Lorient - 77 ans)


La note:  étoiles
Pauvre Marie-Louise.
Dans une institution pour «dérangés mentaux » qui doit fermer, Marie-Louise voit défiler sa vie. Enfin son absence de vie affective et les raisons qui ont amené sa famille à la faire interner.
Le roman le plus accompli de William Trevor (cela n’engage que moi)
Quand Marie-Louise Dallon dans les années 1950, fille de fermier catholique, épouse Elmer Quarry, commerçant et notable protestant, elle ne sait pas qu’elle entame la longue déchéance d’une existence terne et d’un mariage jamais consommé.
Elle doit vivre avec ses deux belles-sœurs, personnages typiques de vieilles filles acariâtres, et avec un mari faible qui, petit à petit, se met à boire. Elle doit subir les jalousies de cette famille de la bourgeoisie protestante en fin de règne. Comme elle n’attend pas d’enfant, les commérages vont bon train.
Elle connaîtra un court moment de bonheur en retrouvant un de ses cousins dont elle était amoureuse pendant son adolescence, mais cet homme meurt et la tristesse s’installe encore plus pesante.
Un très grand roman sur la solitude et les dégâts que peuvent faire une société et un environnement proche du sectarisme.
Extraits :
-A table, elle serait constamment scrutée par les yeux de fouine des trois Quarry. Des vieilles filles desséchées : pouvait-on plus mal tomber ?
-Quant à son ménage, c’était un combat perdu d’avance. Ce n’était pourtant pas faute de l’avoir mis en garde.
-Pas plus ici qu’en ville, les sœurs n’avaient l’intention de divulguer que leur frère s’était mis à boire. Une fois cette fille partie, il redeviendrait normal en vingt-quatre heures
Un amour inachevé 9 étoiles

« En lisant Tourgueniev » est un très beau roman, d’un grand classicisme, racontant une superbe histoire d’amour. Saule dans sa superbe critique, si personnelle et pudique en donne une très belle lecture. On peut en avoir une autre, complémentaire en resituant cette histoire dans son contexte : l’Irlande des années cinquante aux années quatre-vingt qui n’est déjà plus que les vestiges d’un autre âge où « l’argent est passé aux mains d’une nouvelle bourgeoisie catholique ce qui avait modifié la vie provinciale de fond en comble », où les protestants se prennent encore « pour l’élite à force de ne pas appartenir à la masse » mais dont « la communauté est moins soudée que par le passé ». Dans une société en plein bouleversement, ce roman est aussi l’histoire d’une déchéance symbolisée ici par celle de la dynastie Quarry avec ces sœurs « bouffies de haine » pour ce monde qui n’est plus le leur et ce frère buvant pour oublier sa honte.

Dans cette province étriquée où les méfaits de la bien-pensance sont rejet, incompréhension et enfermement moral mais aussi physique, l’amour de Marie Louise et Robert n’aurait-il pas été perçu comme une incongruité tant il est à l’opposé du monde qui se dit réel ? Cet amour fou n’aurait-il pas effrayé tout le monde ? Et ce monde n’aurait-il pas eu raison de cet amour trop dérangeant, trop innocent si Robert avait vécu ?

Dans ce roman très noir « où la vie va dans tous les sens, avec des allées et venues dans le temps » il y a pourtant quelques moments de grâce: les rencontres entre Marie-Louise et Robert bien sûr, mais aussi la rédemption trop tardive de son mari, le rôle de la lecture et de l’imaginaire qu’elle révèle. C’est par les mots qu’elle lit que Marie-Louise sublime cet amour inachevé et adoucit sa vie volée.

Jlc - - 81 ans - 18 juillet 2012


Une histoire bien triste... 9 étoiles

Marie-Louise, la cadette d'une famille de fermiers protestants irlandais, décide d'accepter les avances d'un commerçant bien établi, qui vit en ville avec ses deux soeurs. Elle n'éprouve aucune attirance pour cet homme plus âgé, cependant elle a peur que personne d'autre ne lui demande sa main. Le mariage est un désastre : son mari est impuissant et noie sa honte dans le whisky. Marie-Louise perd petit à petit la raison, surtout lorsque son cousin qu'elle aimait meurt.

C'est une histoire très triste, qui parle de solitude et d'amour raté. Mais comme souvent, et de manière paradoxale, c'est le genre de tristesse qui fait qu'on se sent mieux après avoir lu le livre : est-ce du au fait qu'on a pu partager un moment d'humanité avec des personnages écorchés par la vie ? En tout cas, ça fait du bien, on se sent rejoint dans sa propre solitude et ses propres difficultés, c'est un petit rayon de soleil. L'auteur a une plume magnifique, et la construction du roman est très réussie, qui alterne les retour en arrière avec la vie de Marie Louise dans une maison de repos.

Saule - Bruxelles - 59 ans - 29 avril 2010