Faut-il avoir peur de l'Amérique ?
de Nicole Bacharan

critiqué par Grossel, le 8 mars 2006
( - 84 ans)


La note:  étoiles
Non mais ou Oui mais?
Faut-il avoir peur de l’Amérique ?
de Nicole Bacharan
au Seuil

Ce livre comprend 7 chapitres précédés d’un avant-propos : Mon Amérique à moi.
Les titres des chapitres sont construits sur le même modèle : il y a toujours un « mais ».
Oui, le rêve américain a encore un sens, mais…
Oui, l’Amérique est vraiment une démocratie, mais…
Oui, les citoyens sont égaux devant la loi, mais…
Non, la religion n’est pas (vraiment) au pouvoir, mais…
Non, l’Amérique n’est pas éclatée en communautés, mais…
Non, il n’y a pas deux Amérique, mais…
Non, l’Amérique ne veut pas dominer le monde, mais…
C’est clair, cet essai est un plaidoyer en faveur de l’Amérique même si l’auteur par les « mais » corrige ce que pourrait avoir d’excessif ce plaidoyer.
Cet essai se justifie, selon l’auteur, par l’anti-américanisme observable en France dans beaucoup de milieux, intellectuels compris, préférant leurs préjugés à la réalité. Ce livre prétend donc nous mettre en présence de la réalité américaine, des réalités américaines devrait-on dire plutôt, étant donné que toute affirmation concernant l’Amérique est contrebalancée par un « mais ».
L’auteur connaît son sujet, nous faisant profiter à chaque chapitre de considérations historiques, portant sur la déclaration d’indépendance, la Constitution voulue par les Pères fondateurs, la terrible guerre de Sécession et ses conséquences jusqu’à aujourd’hui avec le triomphe de la stratégie sudiste et l’arrivée au pouvoir des néo-conservateurs, le mouvement des droits civiques contre la ségrégation, revanche du Sud contre la défaite, le poids des deux dénis fondateurs du pays : l’esclavage des Noirs, l’extermination des Indiens. On s’aperçoit, ce faisant, combien l’histoire peut aider à comprendre.
L’auteur connaît bien aussi la réalité présente du pays, à travers sondages, études statistiques, débats : la situation dans les prisons, la lutte contre la délinquance et le crime avec la tolérance zéro et ce que cela induit quant aux pratiques policières, les programmes d’ « action affirmative », expression traduite de façon erronée par « discrimination positive », contre la marginalisation de la population noire et qui profitent à la population des latinos aujourd’hui,l’évolution des mentalités selon les origines, l’ultra-conservatisme des uns, la tolérance des autres…
Bref, une réalité complexe, pleine de paradoxes : isolationnisme ou interventionnisme ?, réalisme politique ou idéalisme ?, optimisme des ultras, pessimisme des Pères fondateurs, Sud et Nord, côtes est-ouest et continent, démocrates hier et aujourd’hui, républicains hier et aujourd’hui… On apprend quelques clefs pour comprendre sans pouvoir dire où va l’Amérique, persuadé quand même que ce pays est plutôt du côté des valeurs de la démocratie que de la puissance de l’impérialisme ? L’âpreté des débats, des batailles judiciaires, le rôle des médias, l’action des citoyens et des associations, tout cela donne une impression de vie et de vitalité. Si on admet que la politique est le domaine des rapports de forces, limités par la loi commune et le droit, alors l’Amérique n’est pas pire que les pays européens, que la France : il y a des activistes minoritaires très offensifs sur les questions de morale et de mœurs dont il faut se méfier, dont ne se méfie pas assez la majorité, plus tolérante et qui a sans doute gagner, les autres livrant un combat d’arrière-garde mais attention aux réactions du tigre blessé, Sudistes revanchards et autres.
On peut regretter que l’auteur n’aborde pas assez le lobbying, institution ayant pignon sur rue et en particulier les liens entre industriels de l’armement, Pentagone, Congrès…qu’ Eisenhower à la fin de son second mandat avait dénoncé comme le complexe militaro-industriel ; que l’auteur n’aborde pas les questions économiques (le niveau de vie américain se fait sur le dos de qui, en pillant qui et quoi ?),et le déficit américain supporté par le reste du monde ; que l’auteur n’insiste pas davantage sur l’unilatéralisme actuel des USA (refus de signer le protocole de Kyoto, refus de la Cour pénale internationale, 2° guerre d’Irak sous de faux prétextes, pour quelles vraies raisons donc ? pas la diffusion de la démocratie au Moyen-Orient en tout cas, pas pour le moment…) alors que le multilatéralisme semble correspondre à une démarche démocratique
En conclusion, je pense que l’auteur fait trop confiance aux Américains, au peuple américain pour limiter les dérives de leurs gouvernements (fédéral et d’états) et les appétits des intérêts stratégiques des entreprises américaines même mondialisées, surtout mondialisées.
Dernier reproche : une écriture de type journalistique, une absence de sources. Le livre est sincère. Est-il objectif ? À lire tout de même pour faire le point sur ses préjugés et commencer à avoir un autre regard.
À la question : faut-il avoir peur de l’Amérique ? je répondrai Non ! mais en ajoutant que la France, en particulier, l’Europe, plus difficilement, a un rôle essentiel à jouer en s’affirmant à la hauteur de ses valeurs universelles, issues de la Révolution française. En effet, la Constitution américaine, la plus vieille, ne me semble pas supérieure à ce que les fondateurs de la République ont produit.