Carnets d'Orient, tome 1 : Carnets d'Orient
de Jacques Ferrandez

critiqué par Shelton, le 26 février 2006
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Attention, bédé de qualité... Ouvrez les yeux !
Le 24 mai 1836, le peintre Joseph Constant découvre l’Algérie, cette terre que les Français viennent de conquérir, enfin presque… C’est l’occasion, le prétexte, pour Jacques Ferrandez, de nous raconter un pays, sa lumière, sa réalité. L’auteur ne le fait pas par hasard puisqu’il appartient à cette catégorie de personnes que l’on appelle les « pieds noirs »… Alors, un petit voyage aux sources, ça ne se refuse jamais…
Mais je me souviens que lors d’une de mes premières rencontres avec l’auteur, il affirmait haut et fort, que jamais il ne raconterait la guerre d’Algérie, seulement la conquête, et la vie d’un département français… La guerre, c’était trop risqué, trop chaud… Heureusement, il changera d’avis en cours de route… et on ne sait toujours pas où il arrêtera son histoire de l’Algérie, puisqu’elle n’est pas encore terminée et qu’il avoue sans complexe :
« Quand je termine un album, je ne peux pas dire ce qui se passera après… Un autre album, pourquoi pas ? Avec quels personnages ? J’en sais rien et ce n’est pas le plus important… »
Mais, au point où nous en sommes, découvrons l’Algérie avec ce peintre français et son ami Mario qui est arrivé à Alger avant lui… et qui a même eu la chance de rencontrer Eugène Delacroix, enfin de loin :
« Lors de son passage ici, il y a quatre ans, je venais d’installer mon atelier… Je sais qu’il a pu entrer dans le harem du Chaouch du port… »
Et Mario va y entraîner Joseph… d’où une rencontre importante pour cet européen, mais surtout pour nous car Djemilah va être la première femme d’Algérie que l’on va croiser et qui va nous donner le ton de cette histoire : fascination et enchantement, mystère et humanité… Bref, dès le premier volume de cette fresque, Jacques Ferrandez nous montre que le résultat sera grand, hors normes, profond et probablement sans égal dans la bande dessinée…
L’idée de mélanger vignettes de bédé et page d’un carnet de voyage imaginaire, car souvenir d’un pays qu’il n’avait pas encore visité à l’époque du premier volume, est très forte et permet un ton d’une liberté totale…
Mais comme cette histoire est aussi, surtout, celle de la colonisation de l’Algérie par la France, nous allons prendre le temps de comprendre tous ces métropolitains qui vont se croiser à Alger et dans tout le pays. Certes, les militaires ne sont pas toujours à leur avantage dans ces planches mais, soyons honnêtes, ils ne sont pas les pires… Jacques Ferrandez n’est pas manichéen dans ses galeries de portraits, les bons et humains se retrouvent dans tous les camps et les salauds aussi…
Pour Joseph Constant, cette expérience algérienne restera un souvenir, un passage, une étape, mais pour nous, lecteurs de Ferrandez, ces carnets doivent rester dans nos mémoires car nous les retrouveront et ils auront un lien très important dans la fresque…
« L’Orient est une femme que nous voulons prendre et posséder en allant jusqu’au viol… L’Orient est une femme qui nous échappera toujours… ».
Mais Carnets d’Orient de Jacques Ferrandez est une série de bande dessinée que nous croyons toujours comprendre… et pourtant à chaque lecture nous voyons un nouvel éclat de lumière que nous n’avions pas perçu à la lecture précédente… Mais je crois que c’est le signe d’une grande œuvre littéraire : à chaque lecture on la comprend différemment ! Alors pour ceux qui ne connaissent pas, en avant ! Sans aucune hésitation !
Rêve d'Orient 9 étoiles

En 1836, le jeune peintre Joseph Constant débarque à Alger, plein de rêves orientalistes et de belles idées romantiques. Son ami, Mario Puzzo, portraitiste des notables locaux, l'attend au port et lui fait visiter le harem du Chaouch. Il y croise le regard bleu de la belle Djemila, fille d'une esclave géorgienne capturée lors d'une razzia. Il en tombe éperdument amoureux et semble payé de retour car elle l'invite à la rejoindre sur sa terrasse à la nuit tombée. Mais l'Algérie est loin d'être pacifiée totalement. De nombreuses tribus sont encore en rébellion. L'émir Abd El Kader semble jouer double jeu. Et par principe, les Arabes refusent toute union avec « les infidèles ». La partie ne sera pas facile pour Joseph qui ira jusqu'à apprendre l'arabe et à se convertir à l'islam.
Un premier tome passionnant qui laisse bien présager de la suite. Les situations ne sont pas manichéennes et la vision d'ensemble de cette période troublée de l'histoire de l'Algérie semble traitée avec objectivité et honnêteté ce qui n'était pas évident avec un sujet aussi sensible. Les personnages sont attachants et leur différence permet d'afficher des points de vue opposés sur les évènements. Le dessin est agréable bien qu'un tantinet naïf. Trois graphies différentes pour les textes selon que l'on parle arabe ou français ou qu'il s'agisse d'extraits du carnet de voyage de l'auteur, lequel est agrémenté de jolies aquarelles. Une belle réussite.

CC.RIDER - - 66 ans - 14 août 2011