Homère, Iliade
de Alessandro Baricco

critiqué par Grossel, le 11 février 2006
( - 84 ans)


La note:  étoiles
Homère est-il adaptable?
Appréciant Baricco depuis Novecento, pianiste et Soie, je me suis demandé ce qu’il avait voulu faire en proposant une transcription de l’Iliade d’Homère.
Dans cinq pages d’avant-propos, Baricco justifie son entreprise : voulant faire une lecture publique de ce poème épique, il a pensé nécessaire d’adapter le poème à la sensibilité des gens d’aujourd’hui, vite ennuyés si c’est trop long, répétitif, d’où des coupes pour accélérer le récit, un passage au « je », avec vingt et une voix pour favoriser l’identification, la disparition des dieux, justifiée par le fait qu’Homère a composé un poème à « forte ossature laïque », (29 lignes sont consacrées à cette justification, ce qui révèle peut-être que c’est là que le bât blesse), le remplacement de la prosodie par la prose plus compatible avec la sensibilité moderne, avec la « musique qui est la nôtre », quelques adjonctions dont celle de l’aède Démodocos, racontant la chute de Troie et venue de l’Odyssée.
Cette adaptation-traduction (énumérons : de l’original grec à une traduction intégrale récente en italien, retravaillée et adaptée en italien par Baricco , et traduite en français par Françoise Brun, ce que « Borges aurait adoré ») comporte un risque énorme de déperdition de « force de l’original homérique », selon Baricco lui-même.
Si on ne connaît pas l’Iliade, on peut lire ce récit modernisé, surtout s’il sert pour aller vers l’original, une bonne traduction si possible, celle des Classiques de Poche par exemple, par Mario Meunier et préfacée par Fernand Robert.
Le récit est vif, attachant : on ne s’ennuie pas et je comprends que ceux qui ont entendu cette lecture de plusieurs heures à la radio italienne n’aient pas décroché, soient restés dans leur voiture sur un parking romain, captivés.
Mais voilà, et je ne prendrai que cet exemple : la suppression des dieux et conséquemment de l’adjectif « divin » qui chez Homère ne qualifie pas que les dieux mais aussi Achille, Ulysse, un serviteur, un cheval, un fleuve, un rempart, un breuvage, une aurore, Hector, Lacédémone, Élide… On voit bien que cet ensemble est disparate et qu’aucun caractère commun ne peut être trouvé à ces éléments. L’usage de l’épithète vise à attirer l’attention sur tel ou tel objet du chant mais pas sur un de ses caractères distinctifs ou communs. Sur quoi donc ? Sur le simple fait d’être, sur le simple fait que le « divin Ulysse » marche en tête, que le « divin » Achille l’accueille. Homère nous fait nous arrêter et admirer ce qui s’offre, présence s’exposant dans l’Ouvert comme unique, singulière, indépendamment des actions qui vont être accomplies par les héros et qui ne changent rien à leur être : ils sont parce qu’ils sont là. Homère retarde donc sciemment l’action des héros, dédramatise par-là même. Il ne se contente pas de « divin », il utilise des expressions comme « égal, semblable aux dieux ». Par ces expressions, Homère ne cherche pas à comparer tel héros ou telle chose de la nature à tel dieu mais à montrer en quoi, il, elle est incomparable parce qu’unique, singulier, singulière. Autrement dit, alors que dans la vie ordinaire, l’affairement nous empêche de nous attarder, d’admirer, Homère par sa lenteur, ses hyperboles, cherche à modifier notre regard car seul un regard modifié nous donne les yeux pour la beauté du monde. Nietzsche a reconnu dans Homère la « divinisation de tout ce qui existe ». Cela signifie que le monde existe en plénitude, sans manque aucun, ce qui n’a rien à voir avec par exemple, « l’homme, pauvre pêcheur », « la terre, vallée de larmes » du christianisme.
Dernier point et non des moindres : Homère a été l’éducateur des Grecs. Le développement précédent donne une idée de ce qu’a apporté le poète et son Poème surtout, à des générations de Grecs.
C’est la raison pour laquelle je conseille vivement la lecture des Essais sur Homère de Marcel Conche, parus aux PUF, Quadrige, en 2002.
On devine ce que Baricco a perdu, nous fait perdre, comme sens avec son adaptation.
On peut concevoir une adaptation de l’Iliade pour aujourd’hui mais il faudrait que ce soit Homère qui la fasse.
petit rappel historique 7 étoiles

J'ai bien aimé ce livre historique mais raconté avec des mots d'aujourd'hui. Je comprends le succès de ce livre lors de son audition à la radio mais personnellement j'ai préféré la fin du livre plus clair et avec plus de rebondissements. Bien sûr, c'est une histoire de guerre mais que de morts à chaque page tournée...
J'avoue avoir un peu oublié mon histoire scolaire mais me voilà réconciliée avec celle-ci.

Campanule - Orp-Le-Grand - 62 ans - 5 mai 2008


limpidité 7 étoiles

Accordons-lui au moins le mérite d'être limpide et accessible. Je suis en plein dedans et le considérant comme un nouveau roman parmi d'autre je me laisse prendre au jeu du récit personnel que chacun donne des évènements.
C'est un pari réussi me semble-t-il.

Zondine - - 56 ans - 22 février 2006


Homère pour qui? 4 étoiles

Je suis vraiment très partagée avec cette version de l'Illiade proposée par Baricco. Donné en feuilleton à la radio, il y avait là derrière un petit côté "récit d'aventures", tout cela était plutôt vivant et, indiscutablement, cela a attiré des personnes qui n'auraient jamais ouvert Homère.
Je considère donc l'oeuvre de Baricco comme louable, notamment à cause de son travail de lecture et de décryptage.
Il me semble cependant qu'au final, l'essence du texte a disparu. Baricco a modernisé l'Illiade, c'était certes un travail nécessaire mais ô combien délicat. Je n'ai pas retrouvé dans ses lignes ce qui faisait la force du texte de Homère. Comme si, ici, on avait écrit un nouveau texte, se prêtant à de nouvelles mises en scène tant qu théâtre qu'au cinéma. C'est devenu très visuel, et puis trop sommaire par moments. Presque trop moderne. Et la modernité ne s'encombre pas des dieux. C'est là que je décroche complètement, désolée Monsieur Baricco. Du coup, le texte sans contexte n'a plus grand chose à voir avec l'original si ce n'est une trame historique, quelques événements racontés dans un langage remanié et la désagréable sensation qu'il manque quelque chose de très important, de non visuel, de palpable uniquement par l'esprit. Une adaptation qui manque beaucoup de force à mes yeux.

Sahkti - Genève - 50 ans - 12 février 2006