Le carnet d'or
de Doris Lessing

critiqué par Mieke Maaike, le 9 février 2006
(Bruxelles - 51 ans)


La note:  étoiles
Marx ou Freud ?
Comment être communiste en Angleterre lorsque Staline sévit en Russie et que le maccarthysme règne aux Etats-Unis ? Comment être anti-raciste en Afrique pendant que les puissances coloniales se font la guerre à l’échelle mondiale ? Et comment se poser ces questions quand on est une femme libre qui refuse le rôle d’épouse et de femme au foyer ?

Anna écrit ses carnets. Quatre carnets parce qu’Anna « éprouve le besoin de séparer les choses qui font son existence ». Un carnet noir relatant l’expérience africaine de sa jeunesse, le groupe d’intellectuels de gauche se réunissant à l’hôtel Mashopi, la guerre, la colonisation, l’apartheid, toute la matière qui servira à son premier roman qu’elle n’assumera pas mais qui lui permettra de vivre. Un carnet rouge sur ses relations avec le parti communiste, sur ses doutes d’intellectuelle confrontée à la situation en Russie, sur son engagement politique, sur les amitiés et trahisons qui ponctuent son parcours militant. Le carnet jaune est une nouvelle, l’histoire d’une femme libre, Ella, largement inspirée d’Anna, mais différente à certains égards, une Ella plus forte peut-être. Et un carnet bleu en forme de journal intime, son quotidien de mère, d’amie, d’amante, sa difficile liberté face aux hommes, ses doutes existentiels, ses flirts avec la folie. Puis Anna abandonnera ses carnets un à un pour entamer l’écriture d’un seul carnet contenant toutes les Anna : le carnet d’or.

« Le Carnet d’Or » est un roman d’une structure particulière. Une nouvelle, qui présente Anna au quotidien fin des années ’50, sert de fil conducteur, tandis que le contenu des quatre carnets constitue l’essentiel du roman. Cette structure permet des jeux de miroir entre différents événements, des renvois d’un carnet à l’autre, des interférences entre les carnets et la nouvelle principale et des mises en abîme vertigineuses. Ce roman éclaté est constitué d’une multitude de petites histoires, de facettes de l’existence, de critiques sur le monde d’après guerre. Mais chaque réflexion, chaque personnage, chaque événement trouve sa place afin de donner à l’œuvre toute sa cohérence.

Doris Lessing fait partie de ces icônes féministes des années ’70 (même si elle s’en défend) et est, a juste titre, considérée comme la Simone de Beauvoir anglaise. « Le Carnet d’Or » , qui a reçu le prix Médicis en 1976, fait partie des livres cultes de cette époque. Aujourd’hui, quarante livres plus tard, Doris Lessing est un monument littéraire toujours en piste pour le prix Nobel.
Rassembler ce qui est épars. 9 étoiles

Le Carnet d’Or de Doris Lessing, publié en 1962, est un ouvrage très long, exigeant et foisonnant, où les lecteurs peuvent trouver différentes portes d’entrée, et repartir enrichis et méditatifs. Pas de happy end qui laisserait fourbu mais content, ni de suite à envisager comme pour une saga. Il s’agit plutôt d’une longue épreuve de vie que nous traversons avec Anna.

Anna est omniprésente, personnage principal d’un roman inclus dans Le Carnet d’Or, (Femmes libres), ayant elle-même publié un roman (Frontières de Guerre), inspiré de sa propre vie en Afrique [et de celle de Doris Lessing]. Anna tient également 4 carnets, parfois présentés par un narrateur anonyme. Ces carnets comportent aussi des fictions assumées comme telles : par exemple dans le carnet noir au début, le synopsis de Frontières de Guerre et des commentaires associés, notamment le décodage de l’intrigue et des personnages par rapport à la vie d’Anna. Ou encore le carnet jaune relate une relation amoureuse là encore inspirée de la vie d’Anna, l’héroïne s’appelant cette fois Ella, et les transpositions avec l’entourage d’Anna étant assez évidents. Parfois l’histoire d’Anna se lit comme une pièce de théâtre (purs dialogues et didascalies), parfois elle transparaît par son flux de pensées écrit en temps réel – avec cette performance étonnante qu’en même temps Anna l’écrivain n’arrive plus à trouver l’inspiration pour écrire (un roman). La narration de l’histoire d’Anna s’ancre dans les carnets, en amont ou en aval, après telle ou telle entrée, les différentes occurrences s’éclairant mutuellement. Cette structure donne un peu le vertige, on est souvent perdu entre Femmes Libres et les carnets, dont les couleurs sont censées pointer vers des usages différents mais qui se brouillent facilement. Au final d’ailleurs, c’est un rendu assez fidèle à la vie où différentes situations se mélangent ou semblent se répondre en écho. Une dissection rigoureuse du texte ne serait peut-être pas satisfaisante : il y a un côté impressionniste dans le tableau.

Ces 580 pages en Poche anglais, 750 en français, nous emmènent dans une réflexion datée vers 1956 à Londres, où deux femmes élèvent seules leur enfant. Déception post-Stalinienne, relations entre femmes « libres » et hommes, relations parents-enfants, tout se mêle jusqu’au paroxysme d’une folie, d’un éclatement de la personnalité. Rassembler ce qui est épars, ou mourir, devient un enjeu majeur. Un des aspects passionnants du roman est la présentation d’un certain activisme politique, l’idéalisme s’opposant à la réalité, aussi bien pour la lutte des classes que l’aide à la décolonisation. Les problématiques passent d’un domaine à l’autre en transversal : par exemple, la difficulté de la relation homme-femme se reflète dans l’indifférence des responsables du PC envers la situation spécifique des femmes au foyer dans les banlieues ouvrières.

Le décorticage des relations amoureuses devient fascinant, à force, voire hypnotisant. On a parfois envie de secouer la tête pour retrouver ses esprits: bien des choses reprochées aux hommes s’appliqueraient sans doute aux femmes aussi (en tout cas aujourd’hui) ; quant à la folie où glisse Anna dans sa relation avec Saul, elle finit par déranger outre mesure. On se prend à l’admonester à notre tour (« mais sors donc ! », « trouve un job et socialise-toi un minimum !»), voire à se désolidariser en imaginant la version de Saul pour ces deux cents dernières pages. Le plus étonnant à mes yeux reste que le roman s’attache à décrire le fonctionnement des hommes dans un détail presque maniaque, et finalement assez peu celui des femmes (en dehors de leur faculté d’empathie envers les hommes en difficulté)

En tout cas Le Carnet d’Or est un livre qui vit dans la pensée du lecteur. Sa force est aussi d’être imparfait, au sens d’inachevé: s’il s’arrête quand Anna a dépassé la crise, il pourrait continuer à la suivre, à nous suivre, dans le désordre et la construction simultanément.

Véranne - - 63 ans - 7 août 2011


Chef d'oeuvre difficile 7 étoiles

Doris Lessing explique dans sa préface qu'elle a voulu réaliser une œuvre qui décrit son époque comme le font les grands romans du XIXème siècle. Dans ce sens elle a totalement réussi.
En dehors des sujets sociaux et politiques de l'après-guerre qui sont abordés avec lucidité et discernement, ce roman dissèque les relations entre sexes dans l'occident moderne et reste tellement d'actualité, 50 ans après...

« Le carnet d'or », paru en 1962, est un roman partiellement autobiographique à la structure complexe et éclatée.
Anna Wulf, romancière d'une trentaine d'années, vit seule avec sa fille de 11 ans, dans le Londres de la fin des années 50.
Au travers de scènes de sa vie quotidienne associées à la découverte des carnets de couleur ou elle consigne souvenirs, doutes existentiels, anecdotes et projets de romans, nous allons connaître la vie affective et sociale d'Anna, sa soif de liberté et son mal-être.
Anna a vécu une partie de sa jeunesse en Afrique Australe au début des années 40. Elle y a fréquenté une jeunesse bourgeoise de gauche sur fond de colonialisme raciste.
Cette partie de sa vie a inspiré son unique roman « Frontières de guerre » qui a connu le succès et lui permet de vivre de ses droits d'auteur.
Elle a été communiste et décrit son idéalisme et ses désillusions, prise au piège entre les crimes staliniens et le maccarthysme.
Sa meilleure amie est Molly, actrice qui elle aussi vit seule avec son fils Tommy, 20 ans.
Richard, l'ex-mari de Molly, est un brillant homme d'affaires de la City...

Sur un rythme lent à la progression inégale, les thèmes développés sont incroyablement variés : le racisme, la nostalgie de la jeunesse, les désillusions, l'engagement politique, les conventions sociales et leur transgression, l'amour, la jalousie, l'argent, le couple, la sexualité, l'indépendance de la femme, la solitude, la liberté, l'éducation des enfants, les difficultés de la création artistique, l'intégrité de l'artiste, la dépression, la folie.
Mais tout tourne autour du besoin d'amour et de la recherche du bonheur pour hélas constater que la liberté, l'amitié, l'engagement politique et les passades amoureuses ne suffisent pas pour donner un sens à la vie.

Pour synthétiser, ce roman est la description compartimentée de la vie d'une femme artiste en terme d'amour, de position sociale, de conscience politique. Sa richesse et sa pertinence expliquent qu'il ait été un livre « culte » dans les années 70, tout comme l'obtention du prix Nobel à Doris Lessing.
Mais « Le carnet d'or » est d'une lecture exigeante, avec un style parfois hermétique et d'une fluidité inégale qui met à mal le plaisir du lecteur et son envie. Pour en venir à bout, j'ai lu en parallèle d'autres romans plus accessibles, sinon j'aurai abandonné.
Certes, avec le temps on s'habitue, on prend plaisir à retrouver Anna et ses états d'âme, comme une bonne copine. Mais que c'est long... Les 200 dernières pages, où une Anna en pleine dépression décortique sa relation avec deux hommes tous aussi déboussolés qu'elle, ont été pour moi un calvaire.
Dommage qu'un aussi grand livre soit si difficile à aborder.
A lire en s'armant d'une patience qui en vaut cependant la peine.

Poignant - Poitiers - 57 ans - 8 novembre 2010


Daté et instructif 7 étoiles

Rédiger une critique de cet ouvrage est difficile vu la complexité du livre et des réactions qu’il suscite en moi…

Pour commencer, le thème et la structure très particulière de ce roman. Londres dans les années 50. Le personnage central est Anna, que nous accompagnons à travers un récit fait par un narrateur externe dans lequel s’intercalent les carnets où Anna consigne ses souvenirs et ses expériences, chaque carnet étant réservé à un aspect de sa vie.
La plus proche amie d’Anna est Molly avec laquelle elle partage une maison (pendant un temps), le statut de communiste plus ou moins repenti, de féministe ou femme « libérée », de mère divorcée (un grand fils pour Molly et une petite fille pour Anna), le métier d’artiste (comédienne pour Molly, écrivain d’un unique roman à succès qui lui assure des revenus suffisant pour Anna). L’expérience intérieure d’Anna est faite de souvenirs très forts de son séjour en Afrique, de ses déchirements, de ses multiples liaisons, de sa fille.

Cette lecture a constitué une expérience personnelle enrichissante car elle m’a fait découvrir de l’intérieur des univers mentaux qui me sont éloignés ou inconnus, des situations que je connaissais qu’intellectuellement et pour lesquels mon intérêt était plus que limité. Je dégagerai ici trois ou quatre thèmes de l’univers intime, social et politique où les mutations et changements de repère de la société entrent en résonance avec ceux que connaît Anna au niveau personnel. Les mutations sont d’autant plus douloureuses qu’on sent percer l’échec, pas encore totalement avoué dans les années 50, de certains mouvements intellectuels.
Le Carnet d’Or a souvent été associé au mouvement féministe, à la libération de la femme, à la lutte entre les sexes, illustrés par des réflexions très dures et très amères. A cette dimension social répondent immédiatement les états d’âmes et problèmes sexuels féminins d’Anna (sujets qui m’étaient jusque là totalement hermétiques). La conjonction des deux fait ressortir les limitations de cette pseudo liberté conquise dans une logique d’affrontement : malgré ses revendications d’indépendance et ses multiples partenaires Anna souffre car elle a avant tout besoin d’être aimée et rêve d’une relation stable.
Le Carnet d’Or se fait également l’écho de la désillusion et du doute qui étreint les communistes, une fois passée la période d’idéalisme et d’espérance, lorsque se révèlent l’ampleur des crimes staliniens, le caractère bureaucratique et mensonger du parti communiste, avec ces échecs que chacun ressent mais qu’aucun n’ose avouer en public pour ne pas subir la réprobation du système.
Au fur et à mesure que les convictions de la femme libre et communiste vacillent devant l’échec pratique et théorique des idéologies, la crise morale d’Anna ne fait que s’amplifier. La psychanalyse se révèle insuffisante pour endiguer la folie qui monte jusqu’à l’effondrement et l’émiettement de sa personnalité, puis sa douloureuse reconstruction. Comme quoi il n’y a rien de pire que de rester chez soi à vivre de ses rentes en se regardant le nombril ; avoir un vrai boulot aide certainement à conserver un minimum d’équilibre !

Ces quelques traits laissent deviner que le livre ne laisse pas le lecteur en repos ! Ma lecture de ce (très) long ouvrage s’est faite par à coups, avec parfois des efforts fastidieux pour m’obliger à avancer et à d’autres moments une grande surprise en voyant le bond en avant qu’avait fait mon marque-page, sans aucun effort de ma part, à travers des passages d’une grande fluidité. Au détour d’un chapitre on a le bonheur trop rare de trouver une formule extraordinairement ciselée et percutante ou bien une description d’une force évocatrice inouïe.

Romur - Viroflay - 50 ans - 21 décembre 2009


Identification d'une femme 7 étoiles

Ces lignes viennent en complément de ce que Mieke Maaike et Saint-Germain-Des-Prés ont déjà très bien dit. Ma lecture en est cependant différente, montrant ainsi qu’on peut entrer dans ce livre important par bien des portes.

Ce gros roman a été perçu par beaucoup de femmes comme une révolution. Bien avant 68, Doris Lessing écrivait que « la grande révolution de notre époque n’est ni russe ni chinoise. C’est celle des femmes contre les hommes. » On sait comment ont sombré dans l’arbitraire, le mépris et parfois l’horreur les pseudo vaisseaux du « progrès du genre humain ». Mais on sait aussi comment les femmes sont devenues « l’avenir de l’homme » selon Aragon qui, là, ne s’est pas trompé.

Oui ce livre est important. Une femme parle des femmes, et donc aussi d’elle-même, d’une façon totalement nouvelle pour l’époque et qui reste tout à fait moderne. Elle raconte les femmes des années cinquante qui voulaient vivre libres, ne pas dépendre (enfin pas trop) d’un homme ou des hommes mais qui, si elles savaient ce qu’elles refusaient, ne savaient pas bien encore ce qu’elles voulaient. Elle décrit un temps de contradictions quand apparaissent tout à la fois la chasse aux sorcières du maccarthysme et les failles idéologiques du système soviétique

Ces cinq carnets composent « l’identification d’une femme »- titre que j’emprunte à Michaelangelo Antonioni, un des cinéastes qui a le mieux compris et raconté les femmes au cinéma, - une femme qui représente sa génération et celles qui suivront car si depuis les années d’après guerre les femmes ont changé (ou plus exactement la condition des femmes a changé), c’est probablement bien souvent dans le sens que recherchait Doris Lessing. Au détour d’une page, en appui du récit, on trouve des remarques essentielles. Ainsi la romancière décrit admirablement ce sentiment de triomphe de la femme qui conquiert un homme mais qui est bien vite emporté par le sentiment de jalousie de « l’autre », rivale aussi réelle que fantasmée. Elle esquisse le portrait de cette « captive complaisante » d’un homme dont elle sait bien qu’il la détruira ou l’abandonnera. Elle vit la « peine tendre » des possibilités qui ne se réalisent jamais. Et elle est la première à oser parler de l’orgasme qui « vient du désir que l’homme a d’une femme et de la confiance qu’il prend en ce désir » ce qui est un bel hommage rendu aux hommes, tout au moins à quelques uns.

Car les hommes sont malmenés et Doris Lessing fustige leur égoïsme (« Oh bien sûr, aucun de vous ne demande rien – seulement tout et juste le temps qui vous arrange »), leur arrogance (celle de ces hommes qui n’admettront jamais qu’« il n’y a pas de femmes frigides, il n’y a que des hommes incompétents »), leur faiblesse (« C’est toujours la même chose : quand un homme prend l’air blessé dans sa virilité, on ne peut pas supporter cela, on a besoin de lui remonter le moral »), leur lâcheté (« Il s’en va. Elle songe pour la centième fois que tous ces hommes intelligents agissent à un niveau tellement bas dans leur vie affective qu’ils semblent des êtres différents »). Quel homme ne se reconnaîtrait pas, fût-ce un tout petit peu dans ce miroir sans complaisance?

Mais ne vous méprenez pas, ce roman n’est pas un livre féministe au sens étroit et caricatural où on l’entend parfois aujourd’hui. Lessing regrette ces hommes qui ont « besoin d’une femme pour la soumettre, pour l’envoûter physiquement [car] la plupart des hommes sont devenus incapables de dominer la femme de cette façon sans se sentir coupables ». Cette femme aime les hommes, ne peut s’en passer; elle souffre de la perte de leur identité forte et se justifie ainsi : « Il existe de moins en moins d’hommes véritables. Alors nous tentons de créer des hommes » et il n’est pas certain que ce soit une réussite. Surtout ce roman s’achève sur une très belle note d’espoir (pour un homme) : « Vivre avec un homme, aimer. C’est une des choses que je réussis le mieux ».

La littérature et l’engagement des intellectuels sont les autres grands thèmes qu’aborde Doris Lessing. Elle situe très bien la contradiction entre la volonté de ces femmes qui veulent être libres et changer le monde et un parti qui veut les faire vivre en circuit fermé, coupées des vraies réalités.
Voilà, sur le fond, bien des raisons pour lire ce carnet d’or. Et pourtant, j’ai été terriblement déçu par la forme. J’ai trouvé ce roman beaucoup trop long, alourdi par des passages pesants et, à mon avis, peu intéressants comme cette chasse aux pigeons qui s’étire de page en page. Certes la construction est habile, encore que parfois artificielle et la lecture en est difficile ; j’ai souvent été dérouté. Les personnages secondaires manquent de « charisme » et on les oublie vite alors que dans un autre roman, « Le rêve le plus doux », Doris Lessing montre tout son talent dans la peinture de personnages dont beaucoup me sont encore familiers. « Femmes libres », roman dans le roman, est plutôt une sorte de pièce de théâtre dont les ressorts dramatiques sont écrasés par trop d’introspection. C’est ce qui donne à cet ouvrage son caractère trop intellectuel, sans véritable émotion. On ne vit pas la vie des personnages, on les écoute, on les comprend mais ils restent trop distants ou trop différents pour nous ressembler.

Un fonds prodigieusement important et qui décrit les relations des femmes et des hommes comme peu d’écrivains l’ont fait mais desservi par une forme globale que j’ai trouvée ennuyeuse. Dans sa préface, l’auteur recommande de « sauter les pages qui traînent ». Je n’ai pas su.
Elle écrit encore : « Un livre qui vous ennuie à 20 ou 30 ans vous ouvrira ses portes quand vous en aurez 40 ou 50. Ne lisez pas un livre quand ce n’est pas le bon moment pour vous. » Ce n’était manifestement pas le bon moment pour moi.

Mais peut-être l’est-ce pour vous ?


PS: L'attribution d’étoiles me paraît ici bien arbitraire en raison de mon admiration et de ma déception mêlées. 3.5 est une fausse moyenne. N'en tenez pas trop compte…si vous avez le courage de lire cette critique jusqu’au bout !

Jlc - - 80 ans - 27 décembre 2008


Puissant 9 étoiles

Eh bien quelle brique ! Non pas que ça me fasse habituellement peur, mais ici, j’avoue que ma lecture a souvent été le fruit d’un effort. Pour « l’histoire », si tant est que l’on puisse parler d’histoire, je vous renvoie à la critique de Mieke Maaike. Doris Lessing passe d’un carnet à l’autre sans nous donner la clé de lecture avant la page 400 et des poussières (« un noir qui concernera Anna Wulf l’écrivain, un rouge pour la politique, un jaune où j’écrirai des histoires à partir de mon expérience, et un bleu où j’essaierai de tenir mon journal ») : cela génère de la confusion au départ et puis bien sûr les choses s’éclaircissent, mais pour moi ce fut un obstacle qui a découragé ma lecture.

Ceci dit, la non linéarité du texte est salutaire. Cette technique de passer d’un carnet à l’autre, et donc de faire appel au flash-back par-ci par-là, empêche la monotonie et finit par créer, à la fin, une image cohérente du personnage, obtenue à force d’allers et retours dans les carnets, qui sont autant de traits de pinceaux, tantôt épais et appuyés, tantôt fins et précis.

Enfin, et surtout, je reste baba devant la profusion imaginative de Doris Lessing. Ca part dans tous les sens, les idées jaillissent, les histoires s’enchaînent à n’en plus finir. Quand on se dit : « bon ça y est, elle a dit tout ce qu’elle pouvait sur le sujet », elle arrive encore à nous surprendre, à creuser davantage, à affiner, compléter, ajouter, développer, …

Un tout grand livre, difficile ai-je trouvé, à la lecture exigeante, mais d’une rare puissance…

Saint-Germain-des-Prés - Liernu - 56 ans - 6 novembre 2008